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seul s'était permis jusqu'aujourd'hui de présenter au public comme commentaires de son crayon. Cependant l'argot des ateliers ou celui de ces petites dames, la langue des rapins, ou le javanais, ne sont pas tellement connus qu'une grammaire ou qu'un dictionnaire soient inutiles même aux initiés. C'est le secret du succès d'un livre qui en est à sa cinquième édition et que son auteur, M. Lorédan Larchey intitule modestement: les Excentricités du langage1. On croit à un livre de fantaisie, et on est tout étonné de se trouver en présence d'une étude philologique, bien écrite, bien classée, qui cite des autorités, qui parle de l'usage, qui remonte à la racine du mot, tout comme s'il s'agissait de la langue de Corneille dans un dictionnaire de M. Littré. Quelques lignes de l'introduction donneront d'ailleurs la mesure du livre. L'auteur s'excuse de son entreprise, tout en en démontrant l'utilité.

« Par quatre fois, dit-il, les bontés de la critique et les suffrages du lecteur ont appris aux excentricités du langage qu'elles répondaient non à un caprice, mais à un besoin trèsvif et très-particulier que nous appellerons le besoin de savoir ce qui se dit, par opposition au besoin de savoir ce qui doit se dire, le seul que nos lexiques satisfont généralement.

On ne saurait en effet négliger la connaissance de ce qui se dit. Non pas que nous en recommandions le moins du monde l'emploi ! Non pas que nous voulions porter la moindre atteinte au respect de la langue officielle ! Mais il est toujours bon de se rendre compte des choses, ne serait-ce que pour les mille nécessités de la vie sociale, à Paris même, où un puriste peut se trouver exposé au risque de ne pas comprendre un certain français. Puis, n'y a-t-il rien de plus à gagner dans ces études

1. Dentu, in-18, xxiv-335 pages. Il a paru, dans les derniers jours de l'année, un autre livre sur le même sujet, la Langue verte de M. Delvau (même librairie). Une grande dispute a eu lieu entre les auteurs de ces deux ouvrages. M: Lorédan farchey a élevé contre son confrère et leur commun éditeur une accusation de plagiat et de contrefaçon qui n'a pas été portée devant les tribunaux. Nous dirons, à propos du second livre jusqu'à quel point ces plaintes étaient fondées.

de langage? Le néologisme peut être utile en plusieurs cas. Montaigne le dit, et Montaigne a son poids. On ne saurait dédaigner non plus les réflexions de Nodier, de Balzac, sans omettre celles de M. de Jouy, qui n'était pas certes un révolutionnaire. D'ailleurs l'histoire n'est-elle pas là pour nous empêcher de condamner à la légère des mots sans crédit aujour d'hui, mais que leur fortune peut relever demain ? Ne nous montre-t-elle point Caillière, l'auteur des Mots à la mode signalant comme des intrus, les adjectifs haineux, respectable, désœuvré; le substantif impolitesse !... Ceci se passait dès 1693. En 1726, l'abbé Desfontaine dans son Dictionnaire néologique condamnait à son tour l'usage de détresse, scélératesse, naguères, encourageant, érudit, inattaquable, entente, improbable, etc., etc.

Ne nous pressons donc point de proscrire et considérons les Excentricités du langage comme une réserve d'enfants perdus où notre armée régulière peut recruter quelques auxiliaires utiles.

L'argot d'ailleurs est un langage essentiellement français. Il emprunte fort peu à l'étranger, quoi qu'on en ait dit. Conime beaucoup de patois provinciaux, il a conservé les traces de notre vieille langue. Quant au reste, il ne l'a pas précisément inventé, il se l'est plutôt approprié en modifiant selon ses besoins le parler usuel. »>

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Ce que Vidocq écrivait en 1837, que « l'argot n'était plus seulement la langue des tavernes et des mauvais lieux, mais aussi celle des théâtres » est encore plus vrai en 1866, depuis que Giboyer et fanfan Benoiton ont fait accepter et applaudir sur deux de nos premières scènes littéraires des mots loustics et des traits carabinés. Du théâtre au salon, la distance n'est pas bien grande : les modes de l'un arrivent vite jusqu'à l'autre, et, le costume aidant, le langage ne se fait pas faute de pénétrer partout. D'ailleurs quelle vivacité, quel pittoresque, quelle précision dans la plupart de ces termes nouveaux ou que l'argot renouvelle! Poser, avoir du chic, faire sa tête, avoir le sac, être épatant, être empoigné, enlevé, piocher, blaguer, etc., sont déjà des mots courants, ou des locutions qui font leur chemin dans le monde. Aujourd'hui elles sont partout comprises, mais demain elles

seront partout employées. De là à les écrire, y a-t-il bien loin?

Et, pour tout dire, trouverait-on ailleurs que dans cette seconde couche du français des mots pour rendre certaines nuances que la langue académique n'a pas su prévoir, ou certaines énergies devant lesquelles l'Institut se voile la face? Le parler que j'aime, a dit Montaigne, tel sur le papier qu'à la bouche, c'est un parler succulent et nerveux, court et serré; non tant délicat et peigné, comme véhément et brusque; plutôt difficile qu'ennuyeux; déréglé, décousu et hardi; chaque lopin y fasse son corps! - non pédantesque, mais plutôt soldatesque, comme Suétone appelle celui de Jules César. Il est donc probable que le grand écrivain du seizième siècle eût beaucoup pardonné à l'argot de notre temps, et que les nouvelles façons de parler qui nous envahissent presque de vive force, n'eussent pas trouvé en lui un bien ardent adversaire.

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Il ya dans ce mouvement de la langue populaire faisant irruption dans la langue littéraire ou bourgeoise, un enseignement qui ne doit pas nous échapper. Les classes populaires jusqu'aujourd'hui comptées pour rien, dès qu'il s'agissait d'art et de littérature, témoignent qu'elles ont, elles aussi, un goût et un langage, et qu'il faut tenir compte de leur influence. C'est le suffrage universel s'introduisant dans les questions littéraires et artistiques et s'y faisant une part en dépit des protestations des gens distingués. Il ne tient qu'à lui de se la faire aussi large qu'il le voudra. Nous ne sommes plus au temps de Voltaire, et notre langue que l'auteur de Mérope traitait de « gueuse fière a un peu abandonné de ses étroites prétentions et ses dédaigneuses répugnances. Elle aura bien fait, si les excentricités sans raison comme les trivialités sans esprit, sont tenues toujours à l'écart par les délicatesses de l'oreille et de convenances. Le livre de M. Lorédan Larchey sera la source féconde où les gens de goût pourront puiser, avec discrétion sans

doute, mais sans trop de timidité, lorsqu'ils voudront comprendre une de ces mille nuances de pensée et d'action qui se multiplient dans la vie moderne, ou exprimer avec bonheur une de ces idées essentiellement gauloises, qui ne peuvent se rendre que par un gallicisme. M. Larchey cite à ce sujet plusieurs locutions très-usitées, qui toutes offrent un sens philosophique dont on ne peut méconnaître la portée. L'usage de dire ça n'est pas drôle en présence d'un grand malheur prouve, dit-il, que la vieille gaieté française est impérissable Il n'y a réellement de fâcheux à ses yeux que ce qui ne peut lui offrir un côté plaisant ; et Dieu sait où elle ne vient pas à bout de le découvrir. » Tant mieux pour la gaieté et même pour la langue française.

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Ce sont ces excentricités de langage, ces locutions neuves, choisies et employées à propos par les bons esprits, qui lui ôteront ce que les grammairiens et les puristes lui ont donné de trop précieux et de guindé, de trop régulier et de mathématique. C'est ainsi que, faisant un retour sur elle-même, elle reprendra un peu de ce nerf et de cette couleur que lui désirait Montaigue, tout en conservant cette précision correcte qui est son essence même, et qui répond si bien à notre caractère national: en fait de langage, comme en toutes choses, nous sommes si empressés à nous soumettre aux règles et à nous en forger, tout en murmurant contre elles !

VARIÉTÉS.

1

Livres d'enseignement pour les filles. Les femmes savantes
modernes devant Molière. M. Feillet.

Si nous en jugeons par les livres qu'on entreprend d'écrire pour elles, l'éducation des filles est en train de se transformer et un avenir prochain nous donnera des femmes aussi instruites que nos bacheliers, sinon davantage. On a déjà parlé, dans ces derniers temps, de jeunes bachelières. Les facultés de Bordeaux, de Montpellier, de Paris, leur ont délivré des diplômes; et, chose assez curieuse, la galanterie peut-être y aidant, on a remarqué que les candidates voyaient leurs copies bien placées et étaient reçues avec d'excellentes notes. L'université a des égards pour la robe celle des ecclésiastiques avait déjà souvent assuré, dans les concours, beaucoup d'indulgence et de faveur. Le sort en est jeté; l'auteur des Femmes savantes aura perdu son temps, et le bonhomme Chrysale ses colères. Les femmes sauront du grec, et n'iront plus se jeter, pour l'amour du grec, au cou du premier pédant qui passe pour en savoir. C'est nous qui leur dirons à notre tour:

:

Ah! pour l'amour du grec, souffrez qu'on vous embrasse.

Je ne trouve pas le savoir déplacé chez une femme; je crois même qu'une jeune fille, intelligente comme quel

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