Pagina-afbeeldingen
PDF
ePub

d'articles déjà compris dans le récolement de 1422 fît double emploi, car la description est presque toujours absolument identique de part et d'autre. Mais, outre les légères différences qu'on peut relever dans cette seconde partie de l'inventaire, elle entre dans des détails précieux sur la destination des objets enlevés par ordre du régent. Aussi, après avoir vainement cherché un système d'abréviation, nous avons dû reconnaître que le mieux était encore de publier intégralement le texte du document.

Jusqu'à la mort de Charles VI, le dépôt confié à Jean Duval paraît demeurer intact. Les obsèques du roi de France fournirent un premier prétexte pour puiser dans le garde-meuble royal. Dès le 16 octobre 1423, les religieux de Saint-Denis prennent livraison d'un tapis à fleurs de lis destiné à décorer la chapelle où devait être déposé le corps du souverain. Successivement, Jean Duval livre, à trois reprises différentes, en vertu de mandements datés du 23 décembre 1423, diverses suites de tentures ou de tapisseries employées aux obsèques de Charles VI.

Bientôt, le régent ne gardera plus de ménagement. Son neveu n'est-il pas, en vertu du traité de Troyes, le possesseur légitime du trône de France? Le duc de Bedford a donc le droit de disposer à sa fantaisie de tous les meubles trouvés dans la succession de Charles VI. Aussi nul ne se fait-il scrupule de demander, pour l'usage de sa maison ou de sa chapelle, les plus riches tentures. En 1424 et en 1425, Duval doit livrer aux officiers du duc des séries considérables de riches étoffes. Les pièces les plus précieuses de la collection sont pourtant respectées et restent entre ses mains jusqu'en 1432. Enfin, le 5 octobre 1432, Jehan Brigge, garde de la tapisserie et garde-robe du régent, enlève d'un seul coup une suite considérable de tentures demandées par son maître, et notamment les pièces les plus précieuses du mobilier royal. Il suffira de citer les joutes de Saint-Denis, les joutes de SaintInglevert, l'histoire de Duguesclin, les tapis Boucicaut, la conquête de l'Angleterre, la bataille des Trente, les Preuses, Girard de Commercy, Lyon de Bourges, la chambre dite de Fortune, celle de Bonne Renommée, des sujets champêtres ou galants, toute la fleur de la collection royale. Peu de temps après, le 30 janvier 1434, survient le doyen de la chapelle du prince, Alain Kyrketon, un Anglais aussi, qui se fait livrer les tapisseries à sujets religieux. Un nouvel ordre du régent, en date du 16 novembre 1434, enjoint au dépositaire de la tapisserie de

remettre certaines étoffes à un autre de ses officiers, Richard Merbury.

Le mobilier royal est au pillage. On ne prend même plus la peine de donner à Duval décharge des articles enlevés. Le garde de la tapisserie est réduit à dresser une liste des objets dont il n'a pu obtenir le reçu, et cette liste tient des pages entières. Pour couvrir autant que possible sa responsabilité, Duval note avec soin le nom des personnages qui se sont partagé les débris du dépôt confié à sa garde en faisant appel à leur témoignage. Puis, ce sont les grands seigneurs français ou les princes de l'Église traîtres à leur patrie qui, pour prix de leur félonie, obtiennent une partie des dépouilles de leur ancien maître. Parmi les noms de ces hommes de proie, avides à la curée, figurent ceux du trop fameux évêque de Beauvais, Pierre Cauchon, et de l'évêque de Thérouenne. Ils avaient bien gagné cette récompense par le rôle odieux qu'ils avaient accepté dans le procès de la Pucelle.

On a le regret de trouver confondus dans cette foule de traîtres quelques anciens serviteurs de Charles VI, venant, eux aussi, réclamer leur part du pillage. Qu'un tendeur des chambres de tapisserie s'adjuge une tenture comme celle de Sémiramis, en dédommagement du salaire qu'il n'a pu se faire payer, cela se conçoit à la rigueur; mais on admet moins aisément que le chambellan de Charles VI n'ait d'autre préoccupation, au lendemain de la mort de son maître, que de revendiquer un lot considérable de tapisseries auxquelles il prétend avoir droit en raison de son office. C'est sans doute le prix de son adhésion à la cause anglaise.

Un certain nombre d'articles sortis du garde-meuble pour les obsèques du roi furent ensuite vendus. Jean Duval a grand soin de noter, pour sa décharge, les noms des acquéreurs. Parmi d'obscurs marchands de Paris, de Troyes, figurent des personnages plus connus et jusqu'à un premier président du Parlement de Paris, Philippe de Morvilliers.

Jean Duval, comme on le sait par le décompte de ses gages placé à la fin de l'inventaire, avait cessé de vivre le 18 décembre 1433. C'est donc à sa veuve qu'incomba le soin de remettre au successeur de son mari les objets dédaignés par l'avidité des officiers du régent. Le 25 novembre 1436, Jehan Fromont, maître des comptes, commis à la garde des meubles du roi, étant à Paris, reçoit d'elle un certain nombre d'articles comprenant la tapisserie de l'empereur Ottovien (Octavien) ou Auguste.

Enfin, un dernier chapitre de cinq numéros énumère un certain nombre de pièces portées à l'inventaire et que Duval déclarait n'avoir jamais reçues de son prédécesseur. A la fin se trouve ajoutée une mention relative au tapis d'Hercule, « lequel, dit le rédacteur, a esté tout dessiré, pourry et gasté à tendre en la court du duc de Bedford, de monseigneur de Thérouenne, monseigneur de Noyon, et ailleurs, à plusieurs festes, tellement qu'il est tout venu à néant et n'a pu savoir ledit Duval que sont devenues les pièces. » Comment Duval a-t-il pu oublier que cette pièce figurait parmi les tapisseries vendues, et que Regnault Doriac l'avait encore payée, malgré son état de délabrement, 86 livres 8 sous parisis?

En dépit de toutes ces précautions et réserves, il reste encore quelques objets portés à l'inventaire de 1422 dont nous ignorons le sort1. Par contre, une cinquantaine d'articles reparaissent plusieurs fois dans la seconde partie du compte de Duval. Il est possible qu'une erreur de numéros se soit produite, et cependant la vérification des descriptions de toutes les pièces livrées sur l'ordre du régent a permis de constater qu'elles répondaient au signalement de l'inventaire.

Ce document suggérerait encore plus d'une remarque curieuse. Il présente des renseignements authentiques sur la valeur de la haute lisse au commencement du xv° siècle. Comme on sait d'ailleurs, par les comptes de l'époque, le prix de revient d'une aune de tapisserie, il serait facile d'établir la comparaison entre le prix d'acquisition d'une pièce neuve et l'évaluation du même morceau après quelques années d'usage. Dans une étude sur les travaux de Nicolas Bataille, tapissier parisien et auteur de la tapisserie à la devise des joutes de Saint-Denis, exécutée de 1398 à 1400, nous avons constaté que le tarif variait, suivant la finesse et la qualité de la matière, suivant aussi la complication du dessin, entre 18 ou 24 sous l'aune carrée pour les tentures communes à décor très simple, et allait jusqu'à 9 francs 10 sous ou 10 francs l'aune pour les grandes tentures à personnages et à sujets compliqués, comme celle qui représentait les joutes de Saint-Denis. Sur ces bases, fournies par un très grand nombre d'exemples, il est aisé d'établir le chiffre de la dépense des belles tentures gaspillées par

1. Ce sont les numéros suivants: 21, 39, 45, 65, 66, 67, 69, 72, 73, 78, 80, 83, 167, 187, 193, 195, 199, 208, 220, 230, 235, 242, 243, 245, 246, 259, 261, 268, 271, 272, 273, 288, 293, 315, 319, 328.

les Anglais. A prendre seulement les évaluations de notre inventaire, le mobilier royal présentait une valeur considérable quand il passa dans les mains des conquérants.

Les bouleversements politiques de la France à cette époque expliquent l'extrême rareté des tentures contemporaines des règnes de Charles V et de Charles VI, quand nous avons tant de témoignages écrits de l'activité des métiers parisiens ou artésiens aux environs de l'an 1400. Ce butin ne profita guère aux Anglais,. puisqu'aucune de ces tapisseries historiques ne se retrouve aujourd'hui dans les collections royales ou aristocratiques de la GrandeBretagne. Il faut bien en prendre son parti ces précieuses représentations de la vie chevaleresque ou des grandes scènes historiques du moyen âge sont à jamais perdues pour l'art.

L'examen minutieux des sujets décrits dans l'inventaire du roi Charles, à défaut des monuments originaux, donnerait matière à une étude pleine d'intérêt. En effet, l'histoire de la tapisserie se rattache intimement, on l'a déjà dit, non seulement à l'histoire de l'art, mais à celle des mœurs, du costume, de l'industrie, même à l'histoire littéraire. On peut en tirer aussi des éclaircissements sur la vogue des romans de chevalerie, des épopées, des fabliaux en faveur dans les châteaux royaux ou les demeures seigneuriales. Nous avons tâché de donner sur ce point des explications très développées, et, pour arriver à un résultat qui ne laissât pas trop à désirer, nous avons eu recours aux lumières des savants qui se sont voués spécialement à l'étude de notre littérature ancienne1. Grâce à leur obligeante érudition, nous avons pu retrouver et signaler presque toutes les sources originales des compositions empruntées aux légendes héroïques ou mystiques du moyen âge. Peut-être jugera-t-on que nous avons multiplié outre mesure les commentaires et les notes; il nous a semblé qu'un texte de cette nature ne saurait être entouré de trop d'éclaircissements.

On s'étonnera à coup sûr de ne retrouver dans les listes qui suivent presque aucun des tapis à images portés sur l'inventaire, aujourd'hui publié, du roi Charles V. Comment expliquer ce fait singulier? Faut-il admettre que les oncles de Charles VI avaient

1. Je dois des remerciments tout particuliers à MM. Gaston Paris, Auguste Longnon et Léon Gautier, et je saisis avec empressement cette occasion de leur payer ma dette de reconnaissance.

fait main basse, durant sa minorité, sur les riches trésors trouvés dans le château du Louvre après le décès de leur frère? Ou bien les tapisseries de haute lisse ne pouvaient-elles résister plus de trente ou quarante années aux déplacements continuels qu'on leur faisait subir, à la négligence de leurs gardiens? On serait tenté d'admettre cette dernière explication en voyant la quantité de tapisseries déchirées, usées, mangées des rats, livrées aux réparateurs en réputation dès la fin du XIV ou les premières années du xv° siècle. S'il ne restait plus rien ou presque rien, lors de la mort de Charles VI, de la riche collection de son père, à bien plus forte raison ne doit-on pas s'étonner que les somptueuses tentures dont on va lire la description aient disparu depuis longtemps 1.

Jules GUIFFREY.

COMPOTUS PARTICULARIS JOHANNIS DU VAL, CUSTODIS TAPPICERIE REGIS A XVI FEBRUARI M CCCC XXI USQUE AD XVIII DECEMBRIS M CCCC XXXIII 2.

Henry3, par la grace de Dieu Roy de France et d'Angleterre, à noz amez et feaulx conseilliers les gens de noz Comptes à Paris, salut

1. Les numéros placés en tête des articles ont été ajoutés pour la commodité des renvois et des citations.

2. Archives nationales, KK. 54, registre en parchemin gr. in-4°, composé de 52 feuillets ou 104 pages, avec son ancienne couverture en parchemin, sur laquelle est inscrit le titre latin suivi de quelques mols ajoutés et à peu près illisibles. A la suite du titre que nous donnons, on distingue encore ces mots : non clausus nec (examinatus ?), et un peu plus bas : Ponendus in senestra [camera?] compotorum particularium. La première page du registre n'a pas d'autre titre que le mot Coppie. L'inventaire des tapisseries de Charles VI a été résumé, avec la citation textuelle des articles les plus curieux, dans l'Histoire générale de la tapisserie, publiée par MM. J. Guiffrey, E. Müntz et Al. Pinchart. Paris, Dalloz, in-fol., 1877-1885. Voy. Tapisseries françaises, p. 25 à 30. 3. Henri VI, roi d'Angleterre depuis le 31 août 1422, avait pris, comme son père, le roi Henri V (1413-1422), le titre de roi de France, en vertu et exécution du traité de Troyes (1420). Il avait épousé Anne de Bourgogne, sœur du duc Philippe le Bon, à qui son frère fit élever dans l'église des Célestins un tom

« VorigeDoorgaan »