Pagina-afbeeldingen
PDF
ePub

ART DES CONSTRUCTIONS

1

L'inauguration du canal de Corinthe. Corinthe dans l'antiquité.

Travaux pour le percement de l'isthme de 1880 à 1893. — Degré d'utilité du nouveau canal.

L'isthme de Corinthe est cette étroite bande de terre qui relie la Morée (autrefois le Péloponèse) au continent de la Grèce. C'est à travers cet isthme qu'a été creusé un canal maritime, dont l'inauguration a eu lieu le 6 août 1893, au milieu d'une pompe officielle destinée à glorifier un ensemble de travaux qui n'ont pas été sans présenter de grandes difficultés techniques, avec des dépenses à l'avenant.

A dix heures et demie du matin, le yacht royal Sphactérie, portant le roi Georges, la reine Olga, la famille royale de Grèce et leur suite, est arrivé à Isthmia, où il a été salué par l'escadre cuirassée grecque, par une division de l'escadre anglaise de la Méditerranée et le croiseur russe Donetz. Le yacht royal était escorté par quatre torpilleurs, sous le commandement du prince Georges de Grèce, et suivi par le steamer Samos, beau bateau de la Compagnie Panhellénique de navigation, sur lequel avaient pris place les ministres, le corps diplomatique et quelques invités de la Société hellénique du canal de Corinthe. Derrière venaient le bateau à vapeur Iris, portant les autres invités de la Société, puis les vapeurs Crète, Thétis et Égine, bondés de passagers. En même temps, un grand nombre de curieux étaient amenés

d'Athènes et du Pirée, par les trains de la Compagnie des chemins de fer du Péloponèse, et renforçaient la foule des habitants de Corinthe et des villages environnants, qui occupaient déjà les deux berges du canal.

On regrettait l'absence du pavillon français. Notre nation n'avait pas été invitée à la cérémonie : ce qui doit paraître un oubli assez étrange, quand on sait combien les capitaux français ont été sollicités et employés pour l'accomplissement de cette œuvre technique. Il est vrai qu'il n'y avait pas eu d'invitation faite aux nations étrangères ce qui n'a pas empêché les Anglais, qui pensent qu'aucun événement maritime important ne peut se passer de leur présence, d'envoyer dans les eaux du Pirée, plusieurs jours à l'avance, une division de leur escadre de la Méditerranée, avec ordre de se tenir prête à participer à l'inauguration. Les Russes, qui entretiennent un croiseur en permanence dans les mers de Grèce, avaient suivi cet exemple. Anglais et Russes, quoique non invités, ont été fort courtoisement reçus; on leur a su gré d'avoir contribué par leur présence à rehausser l'éclat de la fête.

A onze heures, le roi, la famille royale et les invités. sont descendus à terre, pour assister à la cérémonie de la bénédiction du canal par l'évêque de Corinthe. A l'issue de la cérémonie religieuse, le roi Georges a prononcé un discours dans lequel, après avoir rappelé les origines anciennes du projet de percement de l'isthme, il a rendu hommage à l'initiative du général Türr, à qui était réservé l'honneur de reprendre l'œuvre ébauchée par les empereurs romains. Il a signalé ensuite le rôle des capitaux français qui ont servi à fonder l'ancienne Société internationale aussi bien que la nouvelle Société hellénique, et il a terminé en souhaitant que cette inauguration fût pour la Grèce le signal d'une nouvelle ère de travail utile et pratique.

M. Syngros, président de la Société hellénique, a répondu en quelques mots, et il a prié la reine de couper un ruban de soie tendu d'un côté à l'autre du canal, pour

symboliser l'ouverture de l'isthme de Corinthe à la communication universelle.

Le ruban a été coupé par la reine, au milieu des vivats de l'assistance.

A midi précis, tout le monde étant remonté à bord, le Sphactérie est entré dans le canal, salué de nouveau par les salves d'artillerie des navires de guerre et suivi par le cortège des bateaux à vapeur.

La traversée du canal s'est effectuée en une demi-heure en moyenne. Après avoir séjourné pendant quelque temps dans le golfe de Corinthe, de manière à permettre aux navires qui les suivaient de sortir du canal, le Sphactérie, le Samos, le Donetz et les autres navires ont repassé le canal dans le même ordre que précédemment, et de là ils sont rentrés au Pirée.

La vitesse de marche des navires dans le canal a été de 6 nœuds, sauf pour les torpilleurs, qui l'ont traversé avec une vitesse de 10 nœuds.

Dans ces conditions, il n'y avait le long des berges qu'un clapotis insignifiant; il est vrai que le plus grand navire qui ait pris part à l'inauguration, le steamer Samos, n'a qu'un déplacement de 1250 tonneaux.

Il ne faut pas croire que l'exécution du canal de Corinthe, malgré sa faible longueur, ait marché sans ambages. Les travaux ont été, tout au contraire, longs, difficiles et coûteux. Il a fallu plus d'une fois changer le plan des opérations et même le tracé du canal. Le terrain. était d'une toute autre nature qu'on ne l'espérait, le matériel d'excavation a dû être plus d'une fois modifié.

Nous donnerons une idée de la série d'études et de travaux qu'a nécessités cette laborieuse entreprise. Mais pour les comprendre, il faut que nous remontions jusqu'à l'antiquité; car il est intéressant de savoir qu'un canal a été entrepris et poussé assez loin dans l'isthme par l'em- pereur Néron, et que le percement effectué dans notre siècle a suivi le tracé des ingénieurs grecs et romains.

Ce fut Périandre, tyran, c'est-à-dire roi, de Corinthe, qui, en 602 avant Jésus-Christ, conçut le premier le projet d'un canal accessible aux trirèmes. Par malheur, les prêtres du temple de Neptunc étaient opposés à cette entreprise. Ils craignaient de voir la foule déserter leurs autels si un canal venait à donner passage aux vaisseaux sans qu'ils eussent à recevoir les passagers à l'un des ports de l'isthme et les conduire à leur temple. Les augures menacèrent Périandre de la colère des dieux, qui anéantiraient sa ville s'il persistait à les irriter par un travail impie, et Périandre dut renoncer à son projet.

Trois siècles après Périandre (328 ans avant J.-C.), un des successeurs d'Alexandre le Grand, Démétrius Poliorcète, confie à des ingénieurs égyptiens la mission d'étudier le creusement d'un canal à travers l'isthme, et il les charge d'en établir les plans.

Cette fois, on eut affaire aux savants, qui mirent l'embargo sur l'œuvre projetée. Les géomètres grecs, consultés sur l'opportunité du projet de Démétrius Poliorcète, déclarèrent qu'il existait une différence de niveau entre les deux mers Ionienne et Corinthienne, et que, si on les joignait l'une à l'autre, tout le pays serait infailliblement submergé.

Chose étrange et tenace que l'erreur humaine! Et comme elle se transmet bien d'âge en âge! Les savants grecs déclaraient que le niveau de la mer de Corinthe était plus élevé que celui de la mer d'Égine, comme, vingt siècles plus tard, les savants français de l'expédition d'Égypte devaient poser en fait qu'il existe une différence de niveau entre la Méditerranée et la mer Rouge! Cette erreur n'a pas empêché, de nos jours le percement de l'isthme de Suez; mais au temps de Démétrius Poliorcète elle suffit pour arrêter le projet du canal hellénique.

Corinthe joua un grand rôle dans les longues dissensions politiques qui divisèrent la Grèce. Au cinquième

[ocr errors]
[ocr errors]

siècle avant notre ère, elle fit, à deux reprises, la guerre aux Athéniens, et fut deux fois battue. En 433 avant Jésus-Christ, elle prit part à la guerre du Péloponèse, qui avait eu pour cause la rébellion des colonies de Corinthe contre la mère patrie. Au quatrième siècle, ce fut Sparte que Corinthe eut pour ennemie, et ce fut Corinthe qui commença cette guerre, dont le dénouement fut le traité d'Antalcidas (387 ans avant J.-C.).

Conquise par Philippe, roi de Macédoine, Corinthe reçut une garnison macédonienne et n'en fut délivrée que par Aratus, de Sicyone (243 ans avant J.-C.), qui rallia la ville, redevenue indépendante, à la ligue Achéenne. C'est à Corinthe que s'assemblaient les députés de la confédération. Tout alla bien d'abord; la ligue Achéenne jeta quelque éclat sur la Grèce vieillie et ralluma sa gloire, qui allait s'éteindre.

La belle situation de Corinthe l'avait fait surnommer par les Grecs Amphithalassos (la cité aux deux mers). De ses deux ports, le Lechaon et le Cenchreæ, le premier était ouvert sur l'Europe, le second sur l'Asie. Son antiquité, sa position formidable, qui la rendait la clef du Péloponèse, ses richesses, son luxe, sa noble passion pour les arts, ses temples qui égalaient en nombre les dieux et demi-dieux de l'Olympe et de la terre, les chefsd'oeuvre de l'art, tableaux, statues, vases, ciselures, sculptures, dont elle était, pour ainsi dire, encombrée, enfin ses courtisanes renommées dans toute la Grèce, en avaient fait le rendez-vous des grands et des riches.

Le luxc et la renommée de Corinthe devaient attirer la cupidité des Romains. Ses habitants avaient eu, nous l'avons dit, la témérité de se mettre à la tête de la ligue Achéenne, qui avait fini par braver ouvertement les Romains. Ils furent cruellement punis d'avoir osé s'attaquer au peuple-roi. Le consul Mummius marcha sur Corinthe, et mit le siège devant cette ville. Les habitants,

« VorigeDoorgaan »