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1855

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V.5-6

JAN 43

BIOGRAPHIE

GÉNÉRALE

DEPUIS LES TEMPS LES PLUS RECULÉS JUSQU'A NOS JOURS.

BEAUMARCHAIS (François-Joseph de la Barre DE), littérateur français, vivait dans la première moitié du dix-huitième siècle, et résida, selon toute apparence, en Hollande. On a de lui: Lettres sérieuses et badines sur les ouvrages des savants et sur d'autres matières; la Haye, 1729, in-12; Histoire des Sept Sages par M. de Larrey, avec les remarques par M. de Beaumarchais; la Haye, 1734, 4 vol. in-12; Métamorphoses d'Ovide, traduites par du Ryer, avec remarques par de Beaumarchais; la Haye, 1744, 4 vol. in-12.

Lelong. Bibliothèque historique de la France.

BEAUMARCHAIS (Pierre-Augustin CARON DE), littérateur célèbre, né à Paris le 24 janvier 1732 (1), mort le 19 mai 1799. Il était fils d'un horloger (2), et scul garçon dans une famille qui comptait cinq filles. Son enfance n'eut rien de cette tristesse rêveuse qui se rencontre quelquefois dans le caractère des hommes doués du génie comique: elle fut gaie, folâtre, espiègle, et la parfaite image de son esprit et de son talent (3). Il fit de médiocres études dans une institution particulière, désignée, dans le manuscrit inédit de Gudin, sous le nom d'École d'Al

(1) Caron, qui prit à vingt-cinq ans le nom de Beaumarchais, naquit dans une boutique d'horloger située rue Saint-Denis, presque en face de la rue de la Ferronnerie, non loin de cette maison du piller des Halles où l'on a cru longtemps à tort que Molière avait reçu le jour. (M. de Loménie, Beaumarchais, sa vie et son temps, dans la Revue des Deux Mondes, 1er octobre 1852, p. 33.) (2) André-Charles Caron (né le 26 avril 1698), originaire de Lizy-sur-Ourcq, près de Meaux, et appartenant à une famille calviniste, rentra dans le giron de l'Église catholique le 7 mars 1721, et épousa, l'année suivante, Marie-Louise Pichon, dont le père, sur l'acte de mariage, est qualifié bourgeois de Paris. (M. de Loménie, ibid., p. 36.)

(3) M. de Loménie, Revue des Deux Mondes, ibid., P. 39.

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B

| fort (1). Il n'y resta que jusqu'à treize ans. Nous devons au spirituel auteur de la Galerie des Contemporains, à M. de Loménie, la publication d'une lettre inédite, mélangée de prose et de vers, que Beaumarchais écrivit, à cet âge, à ses deux sœurs en Espagne. Voici cette première production, sortie de la plume du vrai Chérubin; elle témoigne d'une rare précocité :

« Dame Gullbert (2) et compagnie,
J'ai reçu la lettre polie

Qui par vous me fut adressée,
Et je me sens l'âme pressée

D'une telle reconnaissance,

Qu'en Espagne tout comme en France
Je vous aime de tout mon cœur,

Et tiens à un très-grand honneur
D'être votre ami, votre frère.
Songez à moi à la prière.

Votre lettre m'a fait un plaisir infini, et in'a tiré

(1) Alfort paraît être ict le nom du chef de l'institution; car l'École veterinaire d'Alfort ne fut fondée qu'en 1767, c'est-à-dire à une époque où Beaumarchais avait trente-cinq ans.

(2) Mme Guilbert était le nom de la sœur aînée de Beaumarchals. Elle avait épousé l'architecte Guilbert, établi à Madrid, et qui mourut fou. Veuve, sans fortune, elle revint, en 1772, en France avec ses deux enfants. Beaumarchais leur fit à tous trois une pension. Sa seconde sœur, nommée Lisette dans la correspondance de famille, fut la fiancee de Clavigo, l'héroïne de l'épisode romanesque raconté dans les mémoires contre Goezman, et dont Goethe a fait un drame. La troisième sœur, Madeleine-Françoise, fut mariée en 1756 à un horloger célèbre, nommé Lépine. De ce mariage naquit un fils, officier dans la guerre d'Amérique, mort sans postérité, et une fille mariée à un autre horloger, M. Raguet, qui ajouta à son nom celui de son beau-père, et duquel est issu M. Raguet-Lépine, ancien pair de France sous LouisPhilippe. La quatrième et la plus distinguée des sœurs de Beaumarchais s'appelait Julie; elle ne se maria jamais, et consacra sa vie entière aux intérêts de son frère, qu'elle aimait tendrement. La cinquième, Jeanne, trèsbonne musicienne, reçut de son frère, devenu homme de cour, le nom plus aristocratique de Mlle de Boisgarnier. Elle épousa, en 1767, M. de Miron, qui devint secrétaire des commandements du prince de Conti, et mourut ca 1773.

1

d'une mélancolie sombre qui m'obsédait depuis quel que temps, me rendait la vie à charge, et me fait vous dire avec vérité

Que souvent il me prend envie
D'aller au bout de l'univers,
Éloigné des hommes pervers,
Passer le reste de ma vie.

Mais les nouvelles que j'ai reçues de vous commencent à jeter un peu de clair dans ma misanthropie. En m'égayant l'esprit, le style aisé et amusant de Lisette change mon humeur noire insensiblement en douce langueur; de sorte que, sans perdre l'idée de ma retraite, il me semble qu'un compagnon dé sexe différent ne laisserait pas de répandre des charmes dans ma vie privée.

A ce projet l'esprit se monte,

Le cœur y trouve aussi son compte,
Et, dans ses châteaux en Espagne,
Voudrait avoir gente compagne
Qui joignit à mille agréinents
De l'esprit et des traits charmants;
Beau corsage à couleur d'ivoire,
De ces yeux sûrs de leur victoire,
Tels qu'on en voit en toi, Guilbert.
Je lui voudrais cet air ouvert,
Cette taille fine et bien faite

Qu'on remarque dans la Lisette;

Je lui voudrais de plus la fraîcheur de Fanchon (1);
Car, comme bien savez, quand on prend du galon...

. Cependant la crainte que vous me reprochiez d'avoir le goût trop charnel, et de négliger pour des beautés passagères les agréments solides, j'ajouterai que

Je voudrais qu'avec tant de grâce
Elle eût l'esprit de la Bécasse (2).
Un certain goût pour la paresse,

Qu'on reproche à Tonton (3) sans cesse,
A mon Iris sièrait assez

Dans mon réduit, où, jamais occupés,
Nous passerions le jour à ne rien faire,
La nuit à nous aimer. Voilà notre ordinaire.

Mais quelle folie à moi de vous entretenir de mes rêveries! Je ne sais si c'est à cause qu'elles font fortune chez vous que l'idée m'en est venue, et encore de rêveries qui regardent le sexe, moi qui devrais détester tout ce qui porte cotillon ou cornette, pour tous les maux que l'espèce m'a faits. Mais patience! me voici hors de leurs pattes; le meilleur est de n'y jamais rentrer. »

Cette pièce inédite de Beaumarchais-Chérubin est doublement curieuse en ce que, cinquante ans après, elle fut ainsi commentée en marge par Beaumarchais-Géronte :

‹ Premier mauvais et littéraire écrit, par un polisson de treize ans sortant du collége, à ses deux sœurs qui venaient de passer en Espagne. Suivant l'usage des colléges, on m'avait plus occupé de vers latins que des règies de la versification française. Il a toujours fallu refaire son éducation en sortant des mains des pédants. Ceci fut copié par ma pauvre sœur Julie, qui avait entre onze et douze ans, et dans les papiers de laquelle je le retrouve après plus de cinquante ans (4). »

Le jeune collégien, si précoce, interrompit ses études pour apprendre à faire des montres, ou,

(1) La troisième sœur (Françoise) de Beaumarchais. (2) Julie, la quatrième sœur.

(3) Cinquième sœur de Beaumarchais.

(4) M. de Loménte, dans la Revue Des deux Mondes, 1er octobre 1852.

comme il disait plus tard, « à mesurer le temps. >> Mais un penchant irrésistible pour la musique, joint à des goûts moins innocents, lui fit bientôt négliger sa profession. Son père feignit alors de le chasser du logis, mais sans l'abandonner tout à fait à lui-même. Le jeune Caron promit d'être plus sage à l'avenir, et, piqué d'honneur, se livra avec ardeur à l'étude de l'horlogerie. A vingt ans il se fit connaître par l'invention d'une nouvelle espèce d'échappement; « première preuve, dit La Harpe, et premier essai de cette sagacité naturelle qui peut s'étendre à tout. » Cette invention fut assez importante pour qu'un horloger alors célèbre, Lepaute, la lui disputât (Mercure, sept. 1753). Le différend fut porté devant l'Académie des sciences, qui décida en faveur du jeune Beaumarchais (1). Ce premier succès lui valut le titre d'horloger du roi, et lui donna ses entrées à la

cour.

« Dès que Beaumarchais parut à Versailles, dit Gudin (papiers inédits), les femmes furent frappées de sa haute stature, de sa taille svelte et bien prisc, de la régularité de ses traits, de son teint vif et animé, de son regard assuré, de cet air dominant qui semblait l'élever au-dessus de tout ce qui l'environnait, et enfin de cette ardeur involontaire qui s'allumait en lui à leur aspect. » La femme d'un contrôleur clerc d'office s'éprit du séduisant horloger, et, pour avoir l'occasion de faire plus ample connaissance, elle lui porta une montre à arranger. « Le jeune artiste, continue Gudin, brigua l'honneur de reporter la montre aussitôt qu'il en aurait réparé le désordre. Cet événement, qui semblait commun, disposa de sa vie et lui donna un nouvel être. » Au bout de quelques mois, M. Franquet (c'était le norn du contrôleur) reconnut que ses infirmités l'einpêchaient de remplir convenablement sa charge : il la céda au jeune Caron, moyennant une rente viagère. Ce dernier, renonçant à sa profession, fut investi de la charge de contrôleur clerc d'office par brevet du roi, en date du 9 novembre 1755 (2). Deux mois après son entrée à la cour, il épousa Mme Franquet devenuc veuve; et dès 1757 il ajouta au nom de Caron le nom plus

(1) Le rapport, fait au nom de l'Académic par Camus et Montigny, est en date du ↳ mars 1754. On y lit << que le sieur Caron doit être regardé comme le véritable auteur du nouvel échappement de montres, et que le sieur Lepaute n'a fait qu'imiter cette invention; que l'é chappement de pendule présenté à l'Académie le 4 août. par le sieur Lepaute, est une suite naturelle de l'échappement des montres du sieur Caron, et que, dans l'application aux pendules, cet échappement est inférieur à celui de Graham, mais qu'il est, dans les montres, le plus parfait qu'on y ait encore adapté, quoiqu'il soit en même temps le plus difficile à exécuter. »

(2) Les attributions de cette charge sont ainsi définies dans l'Etat de la France pour 1749: « Les contrôleurs clercs d'office font les écrous ordinaires et cahiers extraordinaires de la dépense de la maison du rol. Ils ont 600 livres de gages, dont ils ne touchent que 450, et des livrées en nature, environ 1500 livres. Les contrôleurs sont du corps du bureau dans les repas et festins extraordinaires où le bâton n'est pas porte; ils servent la table du roi l'épée au côté, et mettent eux-mêmes les plats sur la table. »

aristocratique de Beaumarchais, qu'il devait illustrer (1). Quatre ans plus tard, en 1761, il acheta, moyennant 85,000 francs, la charge « très-noble et très-inutile » de secrétaire du roi, et il acquit alors le droit de dire au juge Goezman, qui lui reprochait sa roture: «< Savez-vous bien que je prouve déjà près de vingt ans de noblesse; que cette noblesse est bien à moi, en bon parchemin scellé du grand sceau de cire jaune; qu'elle n'est pas, comme celle de beaucoup de gens, incertaine et sur parole, et que personne n'oserait me la disputer, car j'en ai la quittance? »

Moins d'un an après ce mariage, il perdit sa femme, le 29 septembre 1757, après huit jours de maladie. << La coïncidence, fait remarquer M. de Loménie, de la mort d'un vieillard infirme, bientôt suivie de la mort d'une femme de trente et un ans, atteinte d'une affection déjà ancienne, et mariée à un jeune homme de vingtcinq ans dont elle était fort éprise; cette coïncidence n'avait en elle-même, physiologiquement parlant, rien d'extraordinaire; aussi ne fut-elle d'abord remarquée de personne. Ce ne fut que plus tard, lorsque la destinée de Beaumarchais devint assez brillante pour exciter l'envie, que l'on fit circuler contre lui ces atroces rumeurs d'empoisonnement, si communes au dix-huitième siècle; et lorsque par une fatalité déplorable, après avoir perdu encore sa seconde femme, il se trouva engagé dans une lutte contre des adversaires qui ne respectaient rien, ces calomnies abominables prirent une telle consistance, qu'il eut la douleur d'être obligé de s'en défendre publiquement, d'en appeler au témoignage des quatre médecins qui avaient soigné la première de ses femmes, des cinq médecins qui avaient soigné la seconde, et de prouver que la mort de l'une et de l'autre, loin de l'enrichir, l'avait ruiné. » Ce fut à cette occasion que Voltaire dit ce mot, souvent répété : « Ce Beaumarchais n'est point un empoisonneur : il est trop drôle. »> Fort jeune encore, Beaumarchais aimait, comme on l'a vu, la musique de passion; il chantait avec goût, et jouait habilement de la flûte et de la harpe, dont il perfectionna le mécanisme.

Les filles de Louis XV, Mmes Victoire et Adélaïde, tantes de Louis XVI, voulurent l'entendre; elles l'admirent à leurs concerts, et ensuite dans leur société. Le crédit très-marqué dont il jouissait auprès de ces princesses lui attira des haines secrètes. Un grand de la cour le voyant passer en habit de gala dans la galerie de Versailles, et voulant l'humilier, s'approche et lui dit : « Je vous rencontre bien à propos; ma montre est dérangée, faites-moi le plaisir d'y donner un coup d'œil. » Beaumarchais répondit qu'il avait toujours eu la main très-maladroite. On insiste, il prend la montre et la laisse tomber, en s'écriant : « Je vous l'avais bien dit! >>

(1) II emprunta, selon Gudin, ce nom à un « très netit fief appartenant à sa femme.

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Beaumarchais songeait alors sérieusement à employer son crédit au profit de sa fortune, et à compléter son éducation. Il y a dans ses papiers de cette époque, dit M. de Loménie, une masse de brouillons écrits de sa main, sur lesquels il jette sans ordre ses propres idées, mêlées à des citations empruntées à une foule d'auteurs sur toutes sortes de sujets; je remarque dans ces citations une certaine prédilection pour les écrivains du seizième siècle, pour Montaigne, et surtout pour Rabelais, dont le style indiscipliné, abondant, hardi, fécond en épithètes, déteint parfois, en effet, sur la prose du Barbier de Séville et du Mariage de Figaro, et s'y combine de temps en temps avec des formes un peu maniérées qui rappellent Marivaux.... Les premiers essais poétiques de Beaumarchais n'annoncent pas un talent bien original. Sa vocation pour la poésie et les lettres ne paraît pas encore très-prononcée. La nécessité de se pousser, de faire son chemin, d'avoir un carrosse et des revenus, lui semble plus urgente que celle de cultiver les Muses. Sous ce rapport, il pense comme son patron Voltaire, qui dit quelque part : « J'avais vu tant de gens de lettres pauvres et méprisés, que j'en avais conclu dès longtemps « que je ne devais pas en augmenter le nombre. Il faut être dans ce monde enclume ou marteau : j'étais né enclume. » On sait comment Voltaire devint marteau : un riche fournisseur, PârisDuverney, lui procura un intérêt considérable dans les vivres de l'armée pendant la guerre de 1741. Les produits de cette première opération, placés dans le commerce et bien dirigés, finirent par donner au patriarche de Ferney cent trente mille livres de rente. Il était écrit que le même homme qui avait enrichi Voltaire commencerait la fortune de Beaumarchais. » -Avis aux financiers qui désirent que leur nom passe à la postérité.

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Duverney avait construit, avec le concours de madame de Pompadour, l'École militaire du Champ-de-Mars; il sollicitait en vain depuis plusieurs années une visite officielle du roi, qui devait être comme une sorte de consécration de cet établissement. Froidement reçu par la reine et le Dauphin, il eut l'idée de s'adresser au jeune harpiste qu'il voyait si en faveur auprès de Mmes de France. Cette fois il réussit. Beaumarchais détermina les princesses, dont il dirigeait les concerts, à visiter l'édifice du Champ-de-Mars; et quelques jours après, Louis XV, stimulé par ses filles, vint à son tour combler les vœux de Duverney. Le vieux financier reconnaissant fit la fortune de son jeune ami, en l'engageant dans des spéculations heureuses, dont il avait avancé les fonds. Quelque temps après, Beaumarchais acheta la charge de «< lieutenant général des chasses aux bailliage et capitainerie de la varenne du Louvre. >> C'était la vice-présidence du tribunal de chasses, siégeant au Louvre, et qui avait pour président le duc de la Vallière, capitaine géné

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BEAUMARCHAIS

ral. I venait chaque semaine s'asseoir en robe longue sur les fleurs de lis, et juger gravement, disait-il, non les pâles humains, mais les pâles lapins.

En 1764, on trouve Beaumarchais à Madrid, poursuivant des spéculations industrielles, et occupé à venger sa sœur cadette en faisant, par son influence, destituer et chasser de la cour Clavigo, qui avait faussé sa promesse de mariage. Il quitta l'Espagne après un an de séjour; et s'il avait échoué dans ses plans de finances, il portait dans sa tête Figaro, Almaviva, Bartholo, Basile, Rosine, ces types qui devaient le rendre riche de gloire. En avril 1768, il épousa la veuve d'un garde général des Menus-Plaisirs, madame Levêque, née Geneviève-Madeleine Watebled, qui lui apporta une brillante fortune; et, pour se consoler de la chute de son drame (les Deux Amis), il se fit marchand de bois, en exploitant avec son associé Duverney une grande partie de la forêt de Chinon, qu'il avait achetéc. Après environ deux ans de mariage, Beaumarchais perdit en 1770 sa seconde femme, des et les calomniateurs ajoutaient suites de couche; ce second veuvage aux rumeurs répandues sur le premier.

Les longs procès que lui suscitèrent des haines
implacables, imprimèrent à la vie de Beaumar-
chais une direction nouvelle. Dans ces luttes
acharnées il fut forcé de déployer toutes les res-
sources de son esprit; et ayant contre lui la
robe et l'épée, il s'adressa (chose jusqu'alors
inouïe) à un juge invisible, quoique toujours
présent, l'opinion publique.

Pour prévenir toute matière à procès, Beau-
marchais avait, par un acte fait double sous
seing privé, liquidé ses comptes avec le vieux
Duverney. Dans cet acte, « Beaumarchais fait
remise à Duverney de 160,000 francs de ses bil-
lets au porteur, et consent à la résiliation de
leur société pour la forêt de Chinon. De son
côté, Duverney déclare Beaumarchais quitte de
toutes dettes envers lui, reconnaît lui devoir la
somme de 15,000 francs payable à volonté, et
s'oblige à lui prêter pendant huit ans, sans in-
térêts, une somme de 75,000 francs. Ces deux
clauses n'étaient point encore remplies, lorsque
Duverney mourut le 17 juillet 1770 (1), à quatre-
vingt-sept ans, laissant une fortune d'environ
1,500,000 francs (2). » N'ayant pas d'héritier
direct, il avait choisi pour légataire universel
un de ses petits-neveux, un certain comte de
la Blache, maréchal de camp, qui depuis long-
temps disait de Beaumarchais « Je hais cet
homme comme un amant aime sa inaîtresse.
Cet héritier non-seulement déclare faux l'acte
dont Beaumarchais demandait l'exécution, mais
il tira de cette prétendue fausseté de l'arrété de

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(1) Cet épisode, revêtu des formes les plus dramatiqués, se trouve dans le se mémoire contre Goezman.

(2) M. de Loménie, 4 article sur Beaumarchais, dans la Revue des Deux Mondes, 15 novembre 1882, p. 672.

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compte une créance de 139 livres. Beaumarchais
gagna le procès, qui dura plus de sept ans, par
un arrêt définitif du parlement de Provence en
date du 21 juillet 1778; mais avant cette issue il
passa par des péripéties qui piquèrent viveznent
la curiosité du public. Ainsi, au moment où il
allait l'emporter, le duc de Chaulnes, homme vio-
lent, et jaloux d'une jolie artiste, M" Ménard,
lui chercha querelle : « Il voulait, disait-il, tuer
dents. » Il faut lire dans l'article de M. de Lomé-
Beaumarchais, et lui arracher le cœur avec les
nie (Revue des Deux Mondes, 15 novembre
1852, p. 685-694) ces scènes dégoûtantes, où un
grand seigneur se conduisait en porte-faix, et
révoltante. Beaumarchais, au moment où il de-
qui furent suivies d'une procédure indigne et
fut enfermé, par une lettre de cachet, au For-
vait gagner son procès avec le comte de la Blache,
l'Évêque, et n'en sortit qu'au bout de deux
mois et demi d'une détention sans cause, après
avoir écrit au hautain duc de la Vallière une
lettre suppliante. Goezman, conseiller au par-
lement si décrié établi par le chancelier Mau-
Beaumarchais, pour obtenir des audiences du
peou, avait été chargé du rapport de l'affaire.
rapporteur, se décida, sur l'avis du libraire Lejay,
à faire à Mure Goezman un présent de cent quinze
louis, dont quinze devaient être destinés au se-
crétaire du conseiller, et une montre enrichie de
diamants. Me Goezman accepta le présent, el
promit de tout restituer, dans le cas où Beaumar-
chais perdrait son procès. Ce cas arriva. « La
dame renvoya fidèlement les cent louis et la
montre; mais Beaumarchais s'étant informé
auprès du secrétaire, à qui dans le cours du
procès il avait déjà donné dix louis, s'il avait
reçu en plus de Me Goezmán quinze louis, ap-
prit que cette dame n'avait rien donné au se-
crétaire, et que les quinze louis étaient restés
dans sa poche. Irrité déjà de la perte d'un pro-
cès aussi important pour sa fortune et son hon-
permit cette spéculation détournée, et il se décida
neur, il trouva mauvais que Me Goezinan se
à lui écrire pour lui réclamer les quinze louis.
Cette démarche était grave; car si cette dame,
refusant la restitution, niait l'argent reçu, si
Beaumarchais insistait, si la chose faisait du
Ses amis cherchèrent à l'en détourner; mais la
bruit, il pouvait en surgir un procès dangereux.
démarche, offrant des périls, offrait aussi des
avantages. Persuadé, à tort ou à raison, qu'il
n'avait perdu son procès que parce que son ad-
versaire avait donné plus d'argent que lui au
dangers d'une lutte personnelle avec ce magis-
juge Goezinan, Beaumarchais, en affrontant les
nalité, et faciliter d'autant la cassation du ju-
trat, pouvait espérer de le convaincre de vé
qu'il avait prévue arriva. Me Goezman, obligée
gement rendu sur son rapport. L'éventualité
d'avouer le détournement des quinze louis en
les restituant, ou de nier qu'elle les ont reçus,
prit ce dernier parti: elle déclara qu'on lui avait

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