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Par Ernest Bouchard. Moulins, 1870, in-8. LES DE LINGENDES. Etude biographique et littéraire, par le même. Moulins, 1868, in-8. -Se trouve à la librairie AUBRY.

S'il est un goût qui doive être développé et entretenu en France de préférence à tous les autres, c'est celui des études sérieuses, soit historiques, soit littéraires. On a beaucoup écrit sur l'histoire de France; les livres ne sont pas ce qui nous manque, Dieu merci! mais ils sont trop souvent inspirés par une passion, composés pour soutenir une thèse, plus ou moins sincère, qui aveugle l'auteur et ne lui laisse pas voir la réalité des choses.

Aujourd'hui, dans chacune de nos provinces, tend à se former un parlement littéraire et scientifique, devant lequel comparaissent tour à tour les hommes instruits du pays, où chacun dit ce qu'il sait, pour le seul amour de la vérité. Ce sont les témoins de l'histoire qui rassemblent les pièces du grand procès d'où doivent sortir un jour les annales sincères de la nation.

M. Bouchard est un de ces hommes qui réunissent et coordonnent les preuves de leur histoire provinciale et qui apportent chaque année un nouveau témoignage dont l'histoire générale tirera son profit. J'ai rendu compte ici même d'une étude des plus intéressantes sur les Guerres de religion et les Troubles de la Fronde en Bourbonnais, par M. Bouchard. Aujourd'hui, c'est d'un livre sur les poètes bourbonnais du XIV au XVIe siècle qu'il s'agit, et d'un

travail sur la famille de Lingendes, qui a donné à la France un orateur sacré, un évêque et un poëte.

Le Bourbonnais n'occupe certainement pas le premier rang parmi les provinces qui honorent la littérature française; M. Bouchard a pu toutefois y compter en 400 ans une quinzaine de poëtes qui méritent d'être conservés à la postérité. Le premier en date est Jean Dupin, ou Durpain, qui a composé une œuvre satirique mêlée de prose et de vers, intitulée : le Champ vertueux de bonne vie, dont le manuscrit se trouve à la bibliothèque d'Orléans, et peut-être aussi l'Evangile des femmes, dont le manuscrit est à la bibliothèque nationale de Paris.

Nous trouvons ensuite Henri Baude, dont M. Quicherat a publié les vers pleins de grâce et d'esprit, dans le Trésor des pièces rares ou inédites (Paris, Aubry, 1866, petit in-8); Pierre de Nesson, dont les poésies sont restées manuscrites, et Jeannette de Nesson, dont aucune œuvre ne subsiste. Enfin, Jean et Jacques Robertet, qui, tout en remplissant de hautes charges financières, ne dédaignaient pas les lettres, complètent la série des poëtes bourbonnais du xv° siècle.

Le xvi nous offre Claude Billard, sieur de Courgenay, auteur d'un long poëme héroïque intitulé l'Église triomphante, et de huit tragédies aussi ampoulées que peu intéressantes, dans lesquelles toutefois on rencontre quelques vers bien frappés; Antoine Mizauld, médecin-astrologue, et Blaise de Vigenère, traducteur aussi prolixe que fécond, mais dont le style naïf n'est point sans grâce et atteint quelquefois le charme d'Amyot.

Avec le xvII siècle les noms abondent, dit M. Bouchard; et il nous fait connaître un certain nombre de poetes par des citations bien choisies et par les titres de leurs ouvrages. C'est d'abord le jésuite Aubery, auteur de nombreux vers latins et professeur de belles-lettres dans différents colléges, où son ordre l'envoya successivement.

Estienne Bournier lui succède. Celui-ci est un poète français, dont M. Bouchard nous cite un sonnet et une stance fort bien tournés, qui font regretter que la notice n'ait pas été un peu plus développée. Il eût été bon d'expliquer, par exemple, ce que signifie le titre que Bournier a donné à son livre: Jardin d'Apollon et de Clémence. Clémence serait, selon Viollet-Le-Duc, la fondatrice des Jeux fle

raux, Clémence Isaure, dont le poëte aurait souvent disputé et quelquefois conquis les fleurs.

La notice sur le baron de Chouvigny de Blot, le chansonnier de la Fronde, que madame de Sévigné avait agréablement surnommé Blot l'Esprit, est suffisamment étendue, ainsi que celles sur le jésuite Jean de Saint-Aubin, orateur sacré, professeur, poëte latin et français, sur Gaulmier le maître des requêtes, et le chanoine Pierre Bizot, auteur de l'Histoire métallique de la république de Hollaude. Mais M. Bouchard a réservé avec justice tous ses soin et un tiers de son livre à Jean de Lingendes, le charmant et poétique auteur des Changements de la bergère Iris, mort tout jeune, à la fleur d'un talent qui eût pu devenir du génie.

Au commencement du XVIIe siècle, la famille de Lingendes occupait un rang élevé dans la littérature et dans la société. En 1868, M. Bouchard a consacré à cette famille, et en particulier au P. Claude de Lingendes, une notice importante par les détails qu'elle renferme et par le talent avec lequel l'auteur a fait ressortir en particulier les mérites du père de Lingendes, qui serait certes un de nos premiers prédicateurs s'il n'eût été absorbé dans le rayonnement de ces orateurs glorieux qui s'appellent Bossuet, Fléchier, Massillon, Bourdaloue. Ce fut lui toutefois que choisit la bienheureuse mère de Chantal pour les consolations de l'heure dernière, et l'oraison funèbre de cette sainte femme, qu'il prononça à Paris, au couvent de la Visitation Sainte-Marie, fait autant d'honneur à son éloquence qu'à sa piété. M. Bouchard en a donné des extraits remarquables d'après la Vie de sainte Chantal (Paris, Hérissant, 1752, in-12). Son ouvrage capital est un recueil de quarante-et-un sermons pour le Carême Conciones in Quadragesimam (Parisiis, F. Muguet, 1661, 3 vol. in-4), plusieurs fois réimprimé, et en dernier lieu à Montrouge, en 1844, dans la collection Migne.

« Ces divers discours, dit M. Bouchard, outre leur mérite dogmatique, moral et oratoire, attestent encore la vaste érudition de leur auteur; car avec des citations empruntées aux Apôtres et aux Pères de l'Église, on en lit d'autres tirées des ouvrages de Cicéron, de Sénèque, de Socrate, de Platon, du poëte Martial, d'Aristote, de l'historien latin Velleius Paterculus, de l'historien grec Appien, de l'écrivain militaire latin Végèce, etc., etc.

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Nous ne suivrons point M. Bouchard dans son appréciation des mérites du P. de Lingendes; nous nous bornerons à remarquer que ce prédicateur avait adopté une méthode de composition que bien peu d'orateurs de nos jours seraient capables de lui emprunter. Ses sermons, qu'il prononçait en français, c'était en latin qu'il les pensait et qu'il les écrivait, s'inquiétant avant tout du raisonnement, de la passion, des images. Les paroles lui venaient ensuite d'elles mêmes.

Le père Claude de Lingendes était le frère cadet du poète. Il naquit à Moulins en 1591 et mourut en 1660 à Paris.

Leur cousin, qui portait le prénom de Jean, comme le poète. acquit également une certaine réputation comme prédicateur. Në aussi à Moulins, en 1595, il fut précepteur du comte de Moret, et successivement évêque de Sarlat, puis de Macon, où il mourul in 1665.

Mais l'homme le plus remarquable de la famille, celui dont les Quvres mériteraient à juste titre une réimpression, que prépare depuis plusieurs années un Moulinois, homme de goût et d'esprit, M. Alfred Avisard, est certainement l'auteur des Changements de la bergère Iris, tant il est vrai que les vers vieillissent moins que la prose, et qu'au milieu du nautrage de tant d'écrivains, les poètes d'autrefois qui survivent en majorité,

Dans leur vieux style encore ont des grâces nouvelles.

M. Bouchard a adopté pour date de la naissance de Lingendes l'année 1580, bien que d'autres auteurs le fassent naître vers 1586. Il ne croit pas que le poëte ait pu, à 19 ou 20 ans, publier les Changement d'Iris, son principal ouvrage. Et cependant, comme le défaut de ce poëme consiste surtout dans une absence de plan et une exubérance de sentiment qui le font tourner jusqu'à la fin dans le cercle de cet amour sans cesse offert, sans cesse rejeté, nous croirions volontiers que c'est une œuvre de première jeunesse. Plus múr, il aurait su mieux se contraindre, ménager ses effets, et d'une œuvre imparfaite il eût su tirer un chef-d'œuvre. Quoi qu'il en soit, le poëme est une imitation ou plutôt une réminiscence de la Diane de Montemayor, qui faisait alors les délices de la cour; mais en dépit

de ce rapprochement qu'il a cherché, l'auteur parle d'après son cœur. Bien qu'alambiqué dans certains passages, son style revient souvent au naturel et l'on sent qu'il exprime ce qu'il a ressenti luimême. C'est lui, Lingendes, qu'il a peint sous les traits du berger Philène, et c'est une dame de la cour, une grande dame, qu'il laisse entrevoir sous le voile de l'inconstante Iris. M. Bouchard a bien à demi soulevé ce masque, mais un autre avant lui l'avait dénoué. Peut-être n'a-t-il pas voulu déflorer le travail d'un ami,pour lui laisser toute la primeur de sa découverte ? Je serai moins discret. Je ne vois aucun mal à dire ce que M, Avisard a fort bien établi, c'est que le nom d'Iris désigne la princesse de Conti, à laquelle Lingendes a dédié son poëme, après lui avoir voué un amour qui peut-être eut son jour de triomphe et de joie, mais que suivirent de longues amertumes. La fille du Balafré, la belle Louise dé Lorraine, était aussi fougueuse dans ses passions que son père était vaillant au combat, et de Bellegarde à Bassompierre e tutti quanti, personne, pas même le malicieux Tallemant des Réaux, n'a pu dresser la liste de ses amants heureux. C'est d'elle et seulement d'elle que Lingendes a pu écrire ces stances fameuses :

Connoissant votre humeur, je veux bien, ma Sylvic,
Que passant votre temps

Avec tous les amants dont vous estes suivie,
Vous les rendiez contents.....

J'approuve vos plaisirs et qu'il vous soit loisible
D'en jouir bien à point;

Car donnant tant d'amour il seroit impossible
Que vous n'en eussiez point.....

Mais feignez d'être sage, et ne faites pas gloire
De me savoir trahir,

Me décelant un mal que je ne veux pas croire,
De peur de vous haïr.

Car j'enrage de voir qu'un page vous apporte
Si souvent le bonjour,

Pendant qu'un autre encore altend à votre porle.......

Mais en voilà assez pour prouver que Lingendes était réellement

inspiré et qu'il occupe un rang élevé parmi nos poëtes amoureux.

Quand l'édition de MM. Avisard et Bouchard aura vu le jour, on

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