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sous date du 12 août 1880, tendant à ce qu'il soit prononcé par jugement avec dépens:

1o Que la Compagnie doit lui tenir compte du temps qui a été perdu dans la construction du grand tunnel, par suite des ordres donnés par elle et des circonstances mentionnées dans la demande.

2o Que le temps dont il doit lui être tenu compte conformément à la conclusion no 1, est de 780 jours, ce chiffre étant toutefois soumis à la modération du Tribunal.

A l'appui de ces conclusions, l'Entreprise allègue, entre autres : a) < Il est indispensable qu'on sache le plus tôt possible à quel moment doit être fixée l'époque d'achèvement du grand tunnel. Jusqu'à ce que cette époque ait été déterminée, l'Entreprise ignore si elle doit précipiter ses travaux, ou si elle doit les conduire en ne prenant en considération que les meilleures conditions de bon marché. >

b) Il est urgent que les experts qui seront appelés à formuler leur opinion devant le Tribunal fédéral puissent visiter le tunnel avant qu'il soit complètement revêtu, et pendant qu'on peut se rendre compte de certaines difficultés du travail. ›

c) Enfin, si cette question des délais avait été introduite dans le règlement des situations définitives, elle y aurait apporté un élément de complication tout à fait fâcheux. ›

Dans sa réponse, la Cie du Gothard conclut, en première ligne, à ce qu'il plaise au Tribunal fédéral dire que la partie défenderesse n'est point tenue à entrer en matière sur le fond de la demande, en d'autres termes, écarter, comme action préjudicielle, ladite demande dans sa forme actuelle. A l'appui de sa conclusion principale, la Compagnie fait valoir ce qui suit :

Toute action personnelle doit avoir en vue une prestation: or, l'action actuelle ne réalise point cette condition, puisqu'elle se borne à conclure à ce que la défenderesse reconnaisse que le délai d'achèvement du tunnel doit être prorogé de 780 jours. Une semblable action préjudicielle n'est pas recevable en l'état, puisque sa portée est encore absolument indéterminée. Le seul intérêt que l'Entreprise pourrait avoir à une solution préliminaire de la question de délai, serait de soumettre le tunnel, avant son achèvement, à l'examen des experts à désigner par le Tribunal fédéral; mais l'Entreprise peut atteindre le même but par une preuve à perpétuelle mémoire, dans le sens des art. 168 et 169 de la proc. civ. féd.

A supposer qu'on veuille considérer la présente action, non point comme préparatoire, mais comme action indépendante, elle n'en serait pas moins irrecevable en effet, l'Entreprise n'a aucun intérêt pécuniaire à la question de la seule prorogation de délai prise en elle-même; le Tribunal fédéral est incompétent pour se nantir d'une pareille question, isolée de l'influence qu'elle doit avoir sur les primes et retenues, puisque dans ce cas la valeur de l'objet du litige doit être envisagée comme nulle.

Dans sa réplique, l'Entreprise conclut à ce qu'il plaise au juge délégué prononcer, sans autre débat, sur le mérite de l'exception soulevée et l'écarter par les motifs ci-après :

Une demande personnelle peut aussi tendre à obtenir, pour le demandeur, la libération totale ou partielle d'une obligation; l'Entreprise a écrit à la Compagnie, estimant avoir le droit d'être libérée de l'obligation de livrer le grand tunnel au 1er octobre 1880; la Compagnie a refusé d'entrer en pourparlers; l'Entreprise demande aux tribunaux sa libération. Rien de plus correct qu'une pareille action.

Quant à la procédure à suivre pour liquider cette question préjudicielle, il est de règle, devant le Tribunal fédéral, que le juge délégué prononce sur les incidents et tranche toutes les questions préju dicielles, de manière que l'affaire étant soumise au Tribunal lui-même, elle puisse être liquidée en une seule séance.

La réplique reprend d'ailleurs, au fond, les conclusions de la demande, avec l'adjonction suivante : <En conséquence, le règlement des indemnités prévues à l'art. 7 du contrat du 7 août 1872 doit s'opérer entre parties, en regard du jour qui sera fixé par le jugement du Tribunal comme délai d'achèvement des travaux. ›

Dans son mémoire du 6 décembre 1880, la Direction du Gothard se borne à développer la fin de non-recevoir soulevée par elle en réponse, tout en se réservant le droit de dupliquer au fond, pour le cas où son exception serait repoussée. Elle présente encore, en faveur de l'admission de son moyen exceptionnel, les arguments dont

suit le résumé :

Quelles que soient les divergences qui puissent diriger les parties sur la question des primes et retenues, il est incontestable que cette question n'est point en jeu actuellement, la demande n'en faisant aucune mention et déclarant, au contraire, expressément que l'Entreprise veut soumettre uniquement la question de délai, séparée de toute supputation en argent, à l'appréciation du juge.

Lors même que la demande eût été, dans l'origine, conçue comme l'a été plus tard la réplique, elle n'en devrait pas moins être écartée à titre d'action préjudicielle : une pareille action ne saurait, en effet, être intentée que si le demandeur justifie avoir un intérêt juridique au règlement préliminaire d'un rapport de droit; or, ce n'est nullement le cas dans l'espèce. La prestation à laquelle la Compagnie doit être tenue ne peut être que le paiement des primes; or, ces primes, quelle que puisse être la prorogation du délai de construction, ne peuvent en aucun cas échoir avant l'achèvement du tunnel. En ce qui concerne les retenues, l'Entreprise n'est point recevable non plus à ouvrir une action, puisque la Compagnie n'a encore rien

retenu.

Le juge délégué ne saurait trancher lui-même la question préliminaire, soit fin de non-recevoir opposée à la demande : il ne s'agit point, en effet, ici d'un acte préparatoire de la procédure, mais de la solution à donner au procès lui-même, soit à la question de savoir si la demande doit dors et déjà être écartée en l'état; un semblable jugement ne peut procéder que du Tribunal en corps.

Statuant sur ces faits et considérant en droit:

I. La défenderesse a contesté en première ligne son obligation d'entrer en matière, en alléguant que les conditions d'une action ne sont pas réalisées en l'espèce. Cette exception n'est pas, il est vrai, péremptoire à teneur de la loi sur la proc. civ. féd.; celle-ci, en effet, ne reconnaît, à ses art. 92-95, comme telle que l'exception d'incompétence (v. arrêts du 17 mai 1879, en la cause Vaud et Genève, Rec., V, p. 186; du 21 décembre 1877, Cie S.-O. et Confédération, ibid., III, p. 780; du 15 décembre 1876, Christ-Simener c. Confédération, ibid., II, p. 512; du 31 août 1878, Schaffner c. BâleVille, ibid., IV, p. 464). Il n'est, dès lors, pas douteux que la défenderesse n'ait eu l'obligation d'entrer éventuellement en matière sur le fond de la cause, malgré l'exception formulée par elle en réponse. En revanche, le demandeur estime qu'à teneur des prescriptions de la proc. civ. féd., toutes les exceptions doivent être présentées cumulativement avec le fond, et qu'ainsi l'exception tirée de l'irrecevabilité de l'action ne peut être jugée qu'après la clôture de la procédure sur la preuve, lorsque tous les moyens d'attaque et de défense sont préparés de façon à ce que l'affaire soit en état d'être terminée.

Cette opinion est toutefois erronée; en effet, si l'art. 97 de la loi de proc. susvisée, invoqué par le demandeur à l'appui de sa manière de voir, statue que le juge d'instruction doit préparer la procédure par la fixation des faits qui se rapportent à la cause et par l'audition de la preuve, de manière que l'affaire soit en état d'être terminée dans une seule et même audience du Tribunal, cette disposition a bien, à la vérité, voulu placer toute la procédure probatoire dans la compétence du juge délégué et éviter ainsi que le Tribunal ordonne des débats on statue préliminairement sur certains moyens isolés; mais elle n'a pas eu l'intention de forcer soit le Tribunal, soit le juge d'instruction, à entrer en matière sur des exceptions ou des conclusions éventuelles, ni de les contraindre à entreprendre à leur égard une procédure probatoire, lorsque le litige est prêt à être terminé en ce qui concerne l'un des divers moyens de défense présentés. En effet, dans un cas semblable, une procédure probatoire est superflue et, par conséquent, sans importance, puisqu'il va de soi que toutes les preuves superflues sont des preuves sans importance.

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Or, c'est un principe de procédure généralement admis, — conforme aux prescriptions de l'art. 45 de la proc. civ. féd. et également appliqué dans les art. 121, 129 et 146 ibid., qu'aussitôt que l'état du dossier le permet, il y a lieu de prononcer le jugement définitif, sans qu'il soit nécessaire d'ordonner une procédure probatoire sur des faits non décisifs.

On pourrait même sans inconvénient majeur, en présence de l'organisation actuelle du Tribunal fédéral, faire de certaines exceptions l'objet d'un jugement préliminaire, à la condition que ces exceptions préjugent les autres, et que leur admission puisse avoir pour conséquence de rendre inutile une procédure probatoire longue et coûteuse. Tandis, en effet, qu'un semblable mode de procéder aurait pu, sous l'ancienne organisation du Tribunal fédéral, telle qu'elle existait lors de la mise en vigueur de la procédure civile fédérale, contribuer à prolonger le procès, il ne saurait aujourd'hui avoir la même conséquence; bien au contraire, selon les circonstances, il serait de nature à en activer le dénouement, et doit être dès lors suivi, aussi bien par ce motif qu'en évitation de frais, dans l'intérêt bien entendu des deux parties.

II. En ce qui concerne l'exception elle-même, les deux parties admettent d'un commun accord que le terme fixé pour l'achèvement

du grand tunnel, par l'art. 7 du contrat du 7 août 1872, était le 1er octobre 1880. L'article précité dispose, en outre, que la Cie du . Gothard paiera 5000 fr. de prime à M. Louis Favre pour chaque jour de gagné; que, par contre, L. Favre subira une retenue de 5000 fr. pour chaque jour de retard pendant les six premiers mois, et de 10,000 fr. pour chaque jour de retard durant les seconds six mois. Au bout de l'année, L. Favre sera dépossédé et son cautionnement deviendra la propriété de la Çie du Gothard.

III. La partie demanderesse a conclu à ce qu'il soit prononcé que la Compagnie défenderesse doit lui tenir compte du temps qui a été perdu dans la construction du grand tunnel par suite des ordres donnés par elle et des circonstances mentionnées dans la demande, et que le temps dont il doit lui être tenu compte soit fixé à 780 jours. Par contre, la demande ne conclut pas à ce que le juge détermine, actuellement déjà, les conséquences juridiques résultant de cette prorogation de délai. La conclusion prise en réplique et tendant à faire prononcer < que le règlement des indemnités prévues à l'art. 7 du contrat du 7 août doit s'opérer entre parties, en regard du jour qui sera fixé par le jugement du Tribunal comme délai d'achèvement des travaux, › ne peut être prise en considération en présence de l'opposition formulée par la partie défenderesse contre cette extension de la demande, et vu les prescriptions de l'art. 46 de la loi de proc. civ. féd., statuant que les parties sont liées à la demande telle qu'elle a été formulée primitivement, et que cette demande peut subir des restrictions seulement, mais aucune extension.

IV. Le Tribunal fédéral se trouve ainsi en présence d'une action ensuite de laquelle le juge a à constater l'existence d'un rapport de droit, avant que les conséquences de ce rapport, au point de vue du fond de la cause, fassent l'objet des conclusions prises; la demande apparaît ainsi comme une action préparatoire on préjudicielle. La procédure civile fédérale ne contient aucune disposition relative à la recevabilité de ces actions présentant un caractère exceptionnel; la législation lucernoise, applicable, aux termes de l'art. 14 de la convention précitée, aux contestations nées entre parties et soumises au jugement du Tribunal fédéral, garde également le silence à leur égard. La question doit, dès lors, être résolue conformément aux principes généraux du droit.

V. A teneur de ces principes, de semblables actions préjudi

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