furé se reproduire en grande abondance dans la Sainte-Barbe, et surtout dans la cale de notre navire; peut-être est-il nécessaire d'en indiquer l'origine. Quelque exactement calfatées que puissent être les coutures d'un bâtiment, il est impossible néanmoins que dans plusieurs endroits elles ne laissent transsuder une portion d'eau plus ou moins grande, surtout pendant les violentes tempêtes où ces coutures, par le choc des vagues, jouent entre elles, comme disent les marins. Voici donc, independamment de tous les petits accidens particuliers, une cause permanente qui tend à réunir dans le fond du navire ou de la cale une quantité d'eau quelconque. Dans ce même lieu sont accumulées de ces masses de fer, connues sous le nom de gueuses, et qui composent le lest. Par l'action seule de l'eau sur ce métal, il doit s'ensuivre une combinaison, dont l'effet nécessaire est de produire un dégagement de gaz hydrogène dans tout l'intérieur de la cale; ce dégagement y devient d'autant plus rapide et plus considérable, que l'eau dont il s'agit, surchargée de plusieurs sels, exerce une action dissolvante plus énergique, et que développe encore la température généralement très-élevée du fond de la cale: en même temps que ce gaz hydrogène se dégage, il reçoit de plusieurs substances végétales ou animales en décomposition dans son propre foyer, les qualites nuisibles, l'odeur sulfureuse dont j'ai parlé plusieurs fois. Il est facile, à la vérité, sur un vaisseau bien tenu, de s'opposer, sinon à sa formation, du moins à la plupart des accidens que ce gaz peut produire; on y parvient surtout en pompant très-souvent les fluides épanches dans la cale, en y introduisant fréquemment de grandes masses d'eau fraiche, soit pour la laver, soit pour entrainer au-dehors toutes les substances en décomposition, soit enfin pour en rafraichir la température; mais dans les vaisseaux où ces petits soins sont négligés, l'oxide de fer noir qui se forme abondamment par la décomposition du lest, venant à se méler aux débris des substances végétales ou même animales en fermentation, il en résulte une espèce de boue fétide et noire, dont les exhalaisons ont été souvent, à bord des vaisseaux, la source funeste d'épidémies désastreuses. On peut concevoir dès lors, combien cette partie du navire doit être l'objet de la sollicitude des officiers et des médecins de la marine; c'est de là que s'élèvent la plupart des gaz nuisibles, des odeurs infectes qui rendent si désagréable I habitation dans les vaisseaux. Le thermomètre et l'hygromètre m'ont fourni constamment des données précieuses sur l'état d'insalubrité plus ou moins grande de ce lieu, le dégagement des gaz, et conséquemment la décomposition de l'eau et celle des substances animales ou végétales, se trouvant assez généralement en raison du degré de la température et de l'humidité combinées ensemble; leur usage ne sauroit donc être trop soigneusement recommandé. Il en est de même de l'emploi fréquent des moyens sanitaires dont je viens de parler, et auxquels il faut ajouter spécialement l'appareil pour le gaz muriatique oxigéne; c'est là surtout qu'il pourroit être mis en usage avec le plus de succès et sans aucun inconvénient. Les dernières observations dont je viens de parler, furent à peu près le terme de mes travaux en ce genre; malgré les sollicitations du commandant lui-même, je fus forcé d'en faire le sacrifice à des considérations particulières qu'il seroit inutile de rappeler ici. Tant il est vrai que pour bien faire, il ne suffit pas toujours d'en avoir les moyens et le desir! Je me consolai d'ailleurs de ce contre-temps par la certitude que j'avois acquise de l'avantage des observations météorologiques à bord des vaisseaux, et je conserve encore aujourd'hui la conviction intime que la continuation de pareils soins, et la surveillance particulière qu'ils nécessitoient, auroient été d'une grande utilité pour le reste du voyage; ils n'auroient pas prévenu, sans doute, mais peut-être ils auroient ralenti la marche du scorbut terrible qui ravagea notre équipage. Quoi qu'il en soit, le peu de bien que j'ai pu faire en ce genre, en prouvant l'utilité de ces expériences, fera sans doute apprécier les avis et les soins des officiers de santé de la marine, et pourra contribuer dès-lors au perfectionnement de notre médecine navale, trop étrangère encore aux secours qu'elle peut emprunter de cette physique médicale, dont, avec tant de gloire et de succès, M. Hallé sut utiliser et faire ressortir les nombreuses applications. Quoi de plus facile, par exemple, et quoi de plus nécessaire aussi que de mettre à la disposition des officiers de santé en chef de chacun des vaisseaux français, un bon baromètre marin, quelques thermomètres et deux hygromètres ? Quelles suites précieuses d'observations on acheteroit à ce foible prix sur la constitution de tous les climats du globe! que de matériaux importans on acquerroit à la médecine navale, à la physique! De quels avantages ces instrumens ne feroient-ils pas jouir les marins eux-mêmes! Je ne parlerai pas simplement d'une estime plus exacte, d'une appréciation plus rigoureuse des révolutions atmosphériques que le baromètre et l'hygromètre peuvent leur fournir souvent, et qui, parmi les officiers de notre expédition, ont décidé la fortune de ces instrumens; je veux parler de la santé des équipages et de leur conservation. Indépendamment de tout ce que je viens de dire à cet égard, combien de fois, par exemple, dans un mouillage, ou même dans un établissement à terre, les variations atmosphériques ayant été reconnues trop dangereuses par l'action des instrumens météorologiques, ne seroit-il pas facile d'en préserver les équipages à peu de frais et sans inconvénient! Ainsi, dans le fond de cette mème baie desChiens-Marins, où j'observai des variations de 20° de température, et de 33° d'humidité dans les vingt-quatre heures, ceux des matelots de la corvette le Naturaliste qui couchoient à terre, ayant été presque tous attaqués de fortes diarrhées, pouvoit-on aller en chercher la cause ailleurs que dans ces vicissitudes effrayantes et journalières de l'atmosphère ? Et lorsque, par les résultats des observations météorologiques, on étoit arrivé à l'étiologie véritable de cette espèce d'épidémie, ces mêmes résultats pouvoient-ils ne pas conduire un esprit observateur à des mesures aussi simples qu'efficaces, que les naturels de ce rivage, tourmentés, sans doute, par des changemens aussi funestes, ont su disposer autour d'eux pour en écarter la dan gereuse influence, mais qui vraisemblablement ne furent pour ces peuplades grossières, que le fruit d'une trop longue expérience et de trop longs malheurs (1)? Par le secours de ces mêmes instrumens, combien de fois ne se trouveroit-on pas forcé de mieux raisonner l'exposition à l'air libre des matelots, et ces déménagemens routiniers connus sous le nom de branlc-bas? Combien de fois ne pourroit-on-paз introduire, avec autant d'avantage que de facilité, quelques modifications salutaires, soit dans la distribution des vivres soit dans la succession des diverses espèces d'alimens embarqués? En voyant chaque jour le thermomètre s'abaisser instantanément de plusieurs degrés, et l'hygromètre indiquer 8 ou même 10o d'humidité de plus, à l'heure précisément où, par l'ordre de notre chef, on venoit inonder d'eau de mer, et le pont (1) Ce paragraphe recevra son explication dans le chapitre XXX dela relation de notre voyage, où je décris les habitations singulières de la terre d'Endracht. du vaisseau, et les gaillards, et la grande chambre pour les nétoyer, quel capitaine moins opiniâtre que le nôtre, ne s'empresseroit pas de proscrire un usage aussi funeste! quel officier ne préféreroit pas le simple grattage à sec, à ces monstrueuses ablutions d'eau salée, qui remplissent chaque jour l'intérieur du navire d'une atmosphère humide et froide, et qui n'ont pas peu contribué, je le pense, à développer cette terrible épidémie scorbutique qui détruisit notre équipage sur les côtes de la Terre Napoléon et de la Terre de Diémen! Pour des hommes étrangers aux détails des longues navigations, la plupart de ces précautions pourront peut-être paroître minutieuses; mais en réfléchissant sur l'importance que leur donnèrent toujours les navigateurs les plus célèbres et les plus heureux surtout, on demeurera convaincu que l'emploi de cette foule de petits moyens, indifferens en apparence, et surtout isolément, constituent néanmoins la base essentielle de cette hygiène navale, consacrée par des succès si précieux sous les Bougainville, les Cook, les Vancouver et les Marchand: c'est surtout à bord du bâtiment de ce dernier navi gateur, que la médecine préservative signala, d'une manière éclatante, tout ce qu'on peut attendre de ces petits soins. M. de Fleurieu, dans sa relation du voyage que je viens de citer, a consacré le juste éloge du médecin du Solide, M. Roblet; et pendant mon séjour à l'île de France, ayant eu l'occasion de connoître cet homme respectable, j'ai pu fortifier de son propre suffrage, tout ce que je viens d'exposer ici d'apperçus utiles au perfectionnement de la médecine nautique qui lui doit tant. L'application heureuse qu'il a su faire des bains de sable chaud au traitement curatif du scorbut en pleine mer, les succès brillans qu'il en a obtenus, et que doivent confirmer ceux du médecin de la corvette le Naturaliste, M. Bellefin, doivent rendre son nom cher à tous les amis de l'art et de l'humanité. En payant donc à ce médecin, aussi savant que modeste, ma foible part du tribut d'éloges qu'on lui doit pour les progrès utiles qu'il a fait faire à l'hygiène navale, qu'il me soît permis de rappeler une phrase bien remarquable de Vancouver, et. bien propre elle seule à faire connoître toute l'importance de pareils services trop peu connus et trop tot oubliés. Après. avoir parlé du perfectionnement de cette partie de la médecine, perfectionnement qu'il attribue surtout au génie bienfaisant de Cook, Vancouver ajoute : « C'est à cet inestimable : >> progrès que la Grande-Bretagne doit, en grande partie, >> le haut rang qu'elle tient aujourd'hui parmi les nations. » Si c'est à l'école d'un peuple à qui les hommes sont si précieux, parce que sa population est dans une grande disproportion avec ses établissemens, qu'il faut aller puiser les principes de la conservation des marins, c'est à la Société célèbre devant laquelle j'ai l'honneur de parler (1), qu'il appartient de les proclamer et de les utiliser dans notre partie.... TABLEAU DES Expériences faites pour déterminer les proportions relatives de l'humidité des diverses parties de la corvette le Geographe. 22 octobre 1800, à midi, par 49° 36' de latitude nord, et 6° 44' de longitude ouest; à la suite de plusieurs jours de gros temps qui n'avoient pas permis d'ouvrir les sabords d'aucune partie du vaisseau. Thermom. (Sur la dunette....... 8°,5. les sabords fermés..14°,5. Hygrom. (Sur la dunette.......78°,0. 23 octobre 1800, à midi, par 48° de latitude nord, et par 8° 43' de longitude occident.; la cessation du mauvais temps avoit permis d'ouvrir les sabords et de nétoyer les diverses parties du vaisseau. Thermom. m. Sur la dunette.......11°,5. Hygrom. Sur la dunette..... 85°,0. (1) Ce travail a été soumis à la Société de l'Ecole de Médecine de Paris, qui l'a jugé digne d'être inséré dans le recueil de ses Mémoires, |