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qu'on puisse se permettre, et que le reste de cet ouvrage, j'espère, confirmera, c'est que le remède aux passions populaires n'est pas dans le despotisme, mais dans le règne de la loi. Le fanatisme religieux présente un avenir indéfini qui exalte toutes les espérances de l'imagination; mais les jouissances de la vie sont aussi sans bornes aux yeux de ceux qui ne les ont pas goûtées. Le Vieux de la Montagne envoyoit ses sujets à la mort, à force de leur accorder des délices sur cette terre, et l'on voit souvent les hommes s'exposer à mourir pour mieux vivre. D'autre part, la vanité s'exalte par la défense des supériorités qu'elle possède; elle paroît moins coupable que les attaquans, parce qu'une idée de propriété s'attache même aux injustices, lorsqu'elles ont existé depuis long-temps. Néanmoins les deux élémens du fanatisme religieux et du fanatisme politique subsistent toujours: la volonté de dominer, dans ceux qui sont au haut de la roue, l'ardeur de la faire tourner dans ceux qui sont en bas. Tel est le principe de toutes les violences: le prétexte change, la cause reste, et l'acharnement réciproque demeure le même. Les querelles des patriciens et des plébéiens, guerre des esclaves, celle des paysans, celle

la

qui dure encore entre les nobles et les bourgeois, toutes ont eu également pour origine la difficulté de maintenir la société humaine, sans désordre et sans injustice. Les hommes ne pourroient exister aujourd'hui ni séparés, ni réunis, si le respect de la loi ne s'établissoit pas dans les têtes tous les crimes naitroient de la société même qui doit les prévenir. Le pouvoir abstrait des gouvernemens représentatifs n'irrite en rien l'orgueil des hommes, et c'est par cette institution que doivent

s'éteindre les flambeaux des furies. Ils se sont allumés dans un pays où tout étoit amourpropre, et l'amour-propre irrité, chez le peuple, ne ressemble point à nos nuances fugitives; c'est le besoin de donner la mort.

Des massacres, non moins affreux que ceux de la terreur, ont été commis au nom de la religion; la race humaine s'est épuisée pendant plusieurs siècles en efforts inutiles pour contraindre tous les hommes à la même croyance. Un tel but ne pouvoit être atteint, et l'idée la plus simple, la tolérance, telle que Guillaume Penn l'a professée, a banni pour toujours, du nord de l'Amérique, le fanatisme dont le midi a été l'affreux théâtre. Il en est de même du fanatisme politique ; la liberté seule peut le

calmer. Après un certain temps, quelques vérités ne seront plus contestées, et l'on parlera des vieilles institutions comme des anciens systèmes de physique, entièrement effacés par l'é vidence des faits.

Les différentes classes de la société n'ayant presque point eu de relations entre elles en France, leur antipathie mutuelle en étoit plus forte. Il n'est aucun homme, même le plus criminel, qu'on puisse détester quand on le connoît, comme quand on se le représente. L'orgueil mettoit partout des barrières, et nulle part des limites. Dans aucun pays, les gentilshommes n'ont été aussi étrangers au reste de la nation : ils ne touchoient à la seconde classe que pour la froisser. Ailleurs, une certaine bonhomie, des habitudes même plus vulgaires, confondent davantage les hommes, bien qu'ils soient légalement séparés; mais l'élégance de la noblesse françoise accroissoit l'envie qu'elle inspiroit. Il étoit aussi difficile d'imiter ses manières que d'obtenir ses prérogatives. La même scène se répétoit de rang en rang, l'irritabilité d'une nation très-vive portoit chacun à la jalousie envers son voisin, envers son supérieur, envers son maître ; et tous les individus, non contens de dominer,

s'humilioient les uns les autres. C'est en multipliant les rapports politiques entre les divers rangs, en leur donnant les moyens de se servir mutuellement, qu'on peut apaiser dans le cœur la plus horrible des passions, la haine des mortels contre leurs semblables, l'aversion mutuelle des créatures dont les restes doivent tous reposer sous la même terre, et se ranimer en même temps au dernier jour.

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CHAPITRE XVI.

Du Gouvernement appelé le règne de la

terreur.

On ne sait comment approcher des quatorze mois qui ont suivi la proscription de la Gironde, le 31 mai 1793. Il semble qu'on descende comme le Dante de cercle en cercle, toujours plus bas dans les enfers. A l'acharnement contre les nobles et les prêtres on voit succéder l'irritation contre les propriétaires, puis contre les talens, puis contre la beauté même; enfin, contre tout ce qui pouvoit rester de grand et de généreux à la nature humaine. Les faits se confondent à cette époque, et l'on craint de ne pouvoir entrer dans une telle histoire, sans que l'imagination en conserve d'ineffaçables traces

de

sang. L'on est donc forcé de considérer philosophiquement des événemens sur lesquels on épuiseroit l'éloquence de l'indignation, sans jamais satisfaire le sentiment intérieur qu'ils font éprouver.

Sans doute, en ôtant tout frein au peuple, on l'a mis en mesure de commettre tous les for

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