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faits; mais d'où vient que ce peuple étoit ainsi dépravé? Le gouvernement dont on nous parle comme d'un objet de regrets, avoit eu le temps de former la nation qui s'est montrée si coupable. Les prêtres, dont l'enseignement, l'exemple et les richesses sont propres, nous dit-on, à faire tant de bien, avoient présidé à l'enfance de la génération qui s'est déchaînée contre eux. La classe soulevée en 1789 devoit être accoutumée à ces priviléges de la noblesse féodale, si particulièrement agréables, nous assure-t-on encore, à ceux sur lesquels ils doivent peser. D'où vient donc que tant de vices ont germé sous les institutions anciennes? Et qu'on ne prétende pas que les autres nations de nos jours se seroient montrées de même, si une révolution y avoit eu lieu. L'influence françoise a excité des insurrections en Hollande et en Suisse, et rien de pareil au jacobinisme ne s'y est manifesté. Pendant les quarante années de l'histoire d'Angleterre, qu'on peut assimiler à celle de France sous tant de rapports, il n'est point de période comparable aux quatorze mois de la terreur. Qu'en faut-il conclure? Qu'aucun peu-. ple n'avoit été aussi malheureux depuis cent ans que le peuple françois. Si les nègres à Saint

Domingue ont commis bien plus d'atrocités encore, c'est parce qu'ils avoient été plus opprimés.

Il ne s'ensuit certes pas de ces réflexions, que les crimes méritent moins de haine; mais, après plus de vingt années, il faut réunir à la vive indignation des contemporains, l'examen éclairé qui doit servir de guide dans l'avenir. Les querelles religieuses ont provoqué la révolution d'Angleterre ; l'amour de l'égalité, volcan souterrain de la France, agissoit aussi sur la secte des puritains; mais les Anglois alors étoient réellement religieux, et religieux protestans, ce qui rend à la fois plus austère et plus modéré. Quoique l'Angleterre, comme la France, se soit souillée par le meurtre de Charles Ier., et par le despotisme de Cromwell, le règne des jacobins est une affreuse singularité, dont il n'appartient qu'à la France de porter le poids dans l'histoire. Cependant on n'a point observé les troubles civils en penseur, quand on ne sait pas que la réaction est égale à l'action. Les fureurs des révoltes donnent la mesure des vices des institutions; et ce n'est pas au gouvernement qu'on veut avoir, mais à celui qu'on a eu long-temps, qu'il faut s'en prendre de l'état moral d'une nation. On dit aujourd'hui que les François sont pervertis par

la révolution. Et d'où venoient donc les penchans désordonnés qui se sont si violemment développés dans les premières années de la révolution, si ce n'est de cent ans de superstition et d'arbitraire?

Il sembloit en 1793 qu'il n'y eût plus de place pour des révolutions en France, lorsqu'on avoit tout renversé, le trône, la noblesse, le clergé, et que les succès des armées devoient faire espérer la paix avec l'Europe. Mais c'est précisément quand le danger est passé, que les tyrannies populaires s'établissent: tant qu'il y a des obstacles et des craintes, les plus mauvais hommes se modèrent; quand ils ont triomphé, leurs passions contenues se montrent sans frein.

Les Girondins firent de vains efforts pour mettre en activité des lois quelconques après la mort du roi ; mais ils ne purent faire accepter aucune organisation sociale : l'instinct de la férocité les repoussoit toutes. Hérault de Séchelles proposa une constitution scrupuleusement démocratique, l'assemblée l'adopta; mais elle ordonna qu'elle fût suspendue jusqu'à la paix, Le parti jacobin vouloit exercer le despotisme, et c'est bien à tort qu'on a qualifié d'anarchie ce gouvernement. Jamais une autorité plus forte

n'a régné sur la France; mais c'étoit une bizarre sorte de pouvoir : dérivant du fanatisme populaire, il inspiroit l'épouvante à ceux mêmes qui commandoient en son nom; car ils craignoient toujours d'être proscrits à leur tour par des hommes qui iroient plus loin qu'eux encore dans l'audace de la persécution. Le seul Marat vivoit sans crainte dans ce temps, car sa figure étoit si basse, ses sentimens si forcenés, ses opinions si sanguinaires, qu'il étoit sûr que personne ne pouvoit se plonger plus avant que lui dans l'abîme des forfaits. Robespierre ne put atteindre lui-même à cette infernale sécurité.

Les derniers hommes qui, dans ce temps, soient encore dignes d'occuper une place dans l'histoire, ce sont les Girondins. Ils éprouvoient sans doute au fond du cœur un vif repentir des moyens qu'ils avoient employés pour renverser le trône; et quand ces mêmes moyens furent dirigés contre eux, quand ils reconnurent leurs propres armes dans les blessures qu'ils recevoient, ils durent sans doute réfléchir à cette justice rapide des révolutions, qui concentre dans quelques instans les événemens de plusieurs siècles.

Les Girondins combattoient chaque jour et à chaque heure avec une éloquence intrépide

contre des discours aiguisés comme des poignards, et qui renfermoient la mort dans chaque phrase. Les filets meurtriers dont on enveloppoit de toutes parts les proscrits, ne leur ôtoient en rien l'admirable présence d'esprit qui seule peut faire valoir tous les talens de l'orateur.

reaux,

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M. de Condorcet, lorsqu'il fut mis hors la loi, écrivit sur la perfectibilité de l'esprit humain un livre qui contient sans doute des mais dont le système général est inspiré par l'espoir du bonheur des hommes; et il nourrissoit cet espoir sous la hache des bourdans le moment même où sa propre destinée étoit perdue sans ressource. Vingt-deux des députés républicains furent traduits devant le tribunal révolutionnaire, et leur courage ne se démentit pas un instant. Quand la sentence de mort leur fut prononcée, l'un d'entre eux, Valazé, tomba du siége qu'il occupoit; un autre député condamné comme lui, se trouvant à ses côtés, et, croyant que son collègue avoit peur, le releva rudement avec des reproches; il le releva mort. Valazé venoit de s'enfoncer un poignard dans le cœur, d'une main si ferme, qu'il ne respiroit plus une seconde après s'être frappé. Telle est cependant l'in

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