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Des vingt mois pendant lesquels la république a existé en France, depuis le mois de novembre 1795 jusqu'au 18 fructidor (4 septembre 1797.)

Il faut rendre justice aux directeurs, et plus encore à la puissance des institutions libres, sous quelque forme qu'elles soient admises. Les vingt premiers mois qui succédèrent à l'établissement de la république, présentent une période d'administration singulièrement remarquable. Cinq hommes, Carnot, Rewbell, Barras, Lareveillère, Letourneur, choisis par la colère, et ne possédant pas pour la plupart des facultés transcendantes, arrivèrent au pouvoir dans les circonstances les plus défavorables. Ils entrèrent au palais du Luxembourg qui leur étoit destiné, sans y trouver une table pour écrire, et l'état n'étoit pas plus en ordre que le palais. Le papier monnoie étoit réduit presque au millième de sa valeur nominale; il n'y avoit pas cent mille francs en espèces au trésor public; les subsistances étoient encore si rares, que l'on

contenoit à peine le mécontentement du peuple à cet égard; l'insurrection de la Vendée duroit toujours; les troubles civils avoient fait naître des bandes de brigands, connus sous le n om de chauffeurs, qui commettoient d'horribles excès dans les campagnes ; enfin presque toutes les armées françoises étoient désorganisées.

En six mois le directoire releva la France de cette déplorable situation. L'argent remplaça le papier sans secousse; les propriétaires anciens vécurent en paix à côté des acquéreurs de biens nationaux ; les routes et les campagnes redevinrent d'une sûreté parfaite; les armées ne furent que trop victorieuses; la liberté de la presse reparut; les élections suivirent leur cours légal, et l'on auroit pu dire que la France étoit libre, si les deux classes des nobles et des prêtres avoient joui des mêmes garanties que les autres citoyens. Mais la sublime perfection de la liberté consiste en ceci, qu'elle ne peut rien faire à demi. Si vous voulez persécuter un seul homme dans l'état, la justice ne s'établira jamais pour tous; à plus forte raison, lorsque cent mille individus se trouvent placés hors du cercle protecteur de la loi. Les mesures révolutionnaires ont donc gâté la constitution dès

l'établissement du directoire : la dernière moitié de l'existence de ce gouvernement, qui a duré en tout quatre années, a été si misérable sous tous les rapports, qu'on a pu facilement attribuer le mal aux institutions elles-mêmes. Mais l'histoire impartiale mettra cependant sur deux lignes très-différentes la république avant le 18 fructidor, et la république après cette époque, si toutefois ce nom peut encore être mérité par les autorités factieuses qui se renversèrent l'une l'autre, sans cesser d'opprimer la masse la masse sur laquelle elles retomboient.

Les deux partis extrêmes, les jacobins et les royalistes, attaquèrent le directoire dans les journaux, chacun à sa manière, pendant la première période directoriale, sans que le gouvernement s'y opposât et sans qu'il en fût ébranlé. La société de Paris étoit d'autant plus libre, que la classe des gouvernans n'en faisoit pas partie. Cette séparation avoit et devoit avoir sans doute beaucoup d'inconvéniens à la longue; mais, précisément parce que le gouvernement n'étoit pas à la mode, tous les esprits ne s'agitoient pas, comme ils se sont agités depuis, par le désir effréné d'obtenir des places, et il existoit d'autres objets d'intérêt et d'activité.

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Une chose surtout digne de remarque sous le directoire, ce sont les rapports de l'autorité civile avec l'armée. On a beaucoup dit que la liberté, comme elle existe en Angleterre, n'est pas possible pour un état continental, à cause des troupes réglées, qui dépendent toujours du chef de l'état. Je répondrai ailleurs à ces craintes sur la durée de la liberté, toujours exprimées par ses ennemis, par ceux même qui ne veulent pas permettre qu'une tentative sincère en soit faite. Mais on ne sauroit trop s'étonner de la manière dont les armées ont été conduites par le directoire jusqu'au moment où, craignant le retour de l'ancienne royauté, il les a lui-même malheureusement introduites dans les révolutions intérieures de l'état.

Les meilleurs généraux de l'Europe obéissoient à cinq directeurs, dont trois n'étoient que des hommes de loi. L'amour de la patrie et de la liberté étoit encore assez puissant sur les soldats eux-mêmes, pour qu'ils respectassent la loi plus que leur général, si ce général vouloit se mettre au-dessus d'elle. Toutefois la prolongation indéfinie de la guerre a nécessairement mis un grand obstacle à l'établissement d'un gouvernement libre en France; car,

d'une part,

l'ambition des conquêtes commençoit à s'emparer de l'armée, et de l'autre, les décrets de recrutement qu'on obtenoit des législateurs, ces décrets avec lesquels on a depuis asservi le continent, portoient déjà des atteintes funestes au respect pour les institutions civiles. On ne peut s'empêcher de regretter qu'à cette époque les puissances encore en guerre avec la France, c'est-à-dire, l'Autriche et l'Angleterre, n'aient pas accédé à la paix. La Prusse, Venise, la Toscane, l'Espagne et la Suède avoient déjà traité, en 1795, avec un gouvernement beaucoup moins régulier que celui du directoire; et peut-être l'esprit d'envahissement, qui a fait tant de mal aux peuples du continent comme aux François eux-mêmes, ne se seroit-il pas développé, si la guerre avoit cessé avant les conquêtes du général Bonaparte en Italie. Il étoit encore temps de tourner l'activité françoise vers les intérêts politiques et commerciaux. On n'avoit jusqu'alors considéré la guerre que comme un moyen d'assurer l'indépendance de la nation; l'armée ne se croyoit destinée qu'à maintenir la révolution; les militaires n'étoient point un ordre à part dans l'état ; enfin il y avoit encore en France quelque enthousias

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