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CHAPITRE XXV.

Anecdotes particulières.

IL en coûte de parler de soi, dans une époque 'surtout où les récits les plus importans commandent seuls l'attention des lecteurs. Néanmoins, je ne puis me refuser à repousser une inculpation qui me blesse. Les journaux chargés, en 1797, d'insulter tous les amis de la liberté, ont prétendu que, voulant la république, j'approuvois la journée du 18 fructidor. Je n'aurois sûrement pas conseillé, si j'y avois été appelée, d'établir une république en France; mais, une fois qu'elle existoit, je n'étois pas d'avis qu'on dût la renverser. Le gouvernement républicain, considéré abstraitement et sans application à un grand état, mérite le respect qu'il a de tout temps inspiré, et la révolution du 18 fructidor, au contraire, doit toujours faire horreur, et par les principes tyranniques dont elle partoit, et par les suites affreuses qui en ont été la conséquence nécessaire. Parmi les individus dont le directoire étoit composé, je ne connoissois que Barras ; et, loin d'avoir

le moindre crédit sur les autres, quoiqu'ils ne pussent ignorer combien j'aimois la liberté, ils me savoient si mauvais gré de mon attachement pour les proscrits, qu'ils donnèrent l'ordre sur les frontières de la Suisse, à Versoix, près de Coppet, de m'arrêter et de me conduire en prison à Paris, à cause, disoient-ils, de mes efforts pour faire rentrer les émigrés. Barras me défendit avec chaleur et générosité; et c'est lui qui m'obtint la permission de retourner en France quelque temps après. La reconnoissance que je lui devois entretint entre lui et moi des relations de société.

M. de Talleyrand étoit revenu d'Amérique un an avant le 18 fructidor. Les honnêtes gens en général désiroient la paix avec l'Europe, qui étoit alors disposée à traiter. Or, M. de Talleyrand paroissoit devoir être, ce qu'on l'a toujours trouvé depuis, un négociateur fort habile. Les amis de la liberté souhaitoient que le directoire s'affermit par des mesurés constitutionnelles, et qu'il choisit dans ce but des ministres en état de soutenir le gouvernement. M. de Talleyrand sembloit alors le meilleur choix possible pour le département des affaires étrangères, puisqu'il vouloit bien l'accepter. Je le servis efficacement à cet égard,

en le faisant présenter à Barras par un de mes amis, et en le recommandant avec force. M. de Talleyrand avoit besoin qu'on l'aidât pour arriver au pouvoir; mais il se passoit ensuite très-bien des autres pour s'y maintenir. Sa nomination est la seule part que j'aie eue dans la crise qui a précédé le 18 fructidor, et je croyois ainsi la prévenir; car on pouvoit espérer que l'esprit de M. de Talleyrand amèneroit une conciliation entre les deux partis. Depuis, je n'ai pas eu le moindre rapport avec les diverses phases de sa carrière politique.

La proscription s'étendit de toutes parts après le 18 fructidor; et cette nation, qui avoit déjà perdu sous le règne de la terreur les hommes les plus respectables, se vit encore privée de ceux qui lui restoient. On fut au moment de proscrire Dupont de Nemours, le plus chevaleresque champion de la liberté qu'il y eût en France, mais qui ne pouvoit la reconnoître dans la dispersion des représentans du peuple par la force armée. J'appris le danger qu'il couroit, et j'envoyai chercher Chénier le poëte, qui, deux ans auparavant, avoit à ma prière prononcé le discours auquel M. de Talleyrand dut son rappel. Chénier, malgré tout ce qu'on peut reprocher à sa vie, étoit susceptible d'être

attendri, puisqu'il avoit du talent, et du talent dramatique. Il s'émut à la peinture de la situation de Dupont de Nemours et de sa famille, et courut à la tribune, où il parvint à le sauver, en le faisant passer pour un homme de quatrevingts ans, quoiqu'il en eût à peine soixante. Ce moyen déplut à l'aimable Dupont de Nemours, qui a toujours eu de grands droits à la jeunesse par son âme.

Chénier étoit un homme à la fois violent et susceptible de frayeur; plein de préjugés, quoiqu'il fût enthousiaste de la philosophie; inabordable au raisonnement quand on vouloit combattre ses passions, qu'il respectoit comme ses dieux pénates. Il se promenoit à grands pas dans la chambre, répondoit sans avoir écouté, pâlissoit, trembloit de colère, lorsqu'un mot qui lui déplaisoit frappoit tout seul ses oreilles, faute d'avoir la patience d'entendre le reste de la phrase. C'étoit néanmoins un homme d'esprit et d'imagination, mais tellement dominé par son amour-propre, qu'il s'étonnoit de lui-même, au lieu de travailler à se perfectionner.

Chaque jour accroissoit l'effroi des honnêtes gens. Quelques mots d'un général qui m'accusa publiquement de pitié pour les conspi

rateurs, me firent quitter Paris pour me retirer à la campagne; car, dans les crises politiques, la pitié s'appelle trahison. J'allai donc dans la maison d'un de mes amis, où je trouvai, par un hasard singulier, l'un des plus illustres et des plus braves royalistes de la Vendée, le prince de la Trémouille, qui étoit venu dans l'espoir de faire tourner les circonstances en faveur de sa cause, et dont la tête étoit à prix. Je voulus lui céder un asile dont il avoit plus besoin que moi; il s'y refusa, se proposant de sortir de France, puisqu'alors tout espoir de contre -révolution étoit perdu. Nous nous étonnions avec raison que le même coup de vent nous eût atteints tous les deux, quoique nos situations précédentes fussent très-diverses.

Je revins à Paris; tous les jours, on trembloit pour quelques nouvelles victimes enveloppées dans la persécution générale qu'on faisoit subir aux émigrés et aux prêtres. Le marquis d'Ambert, qui avoit été colonel du général Bernadotte avant la révolution, fut pris et traduit devant une commission militaire : terrible tribunal, dont l'existence, hors de l'armée, suffit pour constater qu'il y a tyrannie. Le général Bernadotte alla trouver le

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