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directoire, et lui demanda, pour seul prix de tous ses services, la grâce de son colonel; les directeurs furent inflexibles: ils appeloient justice une égale répartition de malheur.

Deux jours après le supplice de M. d'Ambert, je vis entrer dans ma chambre, à dix heures du matin, le frère de M. de Norvins de Monbreton, que j'avois connu en Suisse pendant son émigration. Il me dit, avec une grande émotion, que l'on avoit arrêté son frère, et que la commission militaire étoit assemblée pour le juger à mort; il me demanda si je pouvois trouver un moyen quelconque de le sauver. Comment se flatter de rien obtenir du directoire, quand les prières du général Bernadotte avoient été infructueuses, et comment se résoudre cependant à ne rien tenter pour un homme qu'on connoît, et qui sera fusillé dans deux heures si personne ne vient à son secours? Je me rappelai tout à coup que j'avois vu, chez Barras, un général Lemoine, celui que j'ai cité à l'occasion de l'expédition de Quiberon, et qu'il m'avoit paru causer volontiers avec moi. Ce général commandoit la division de Paris, et il avoit le droit de suspendre les jugemens de la commission militaire établie dans cette ville. Je remerciai

Dieu de cette idée, et je partis à l'instant même avec le frère du malheureux Norvins; nous entrâmes tous les deux dans la chambre du général, qui fut bien étonné de me voir. Il commença par me faire des excuses sur sa toilette du matin, sur son appartement; enfin je ne pouvois l'empêcher de revenir continuellement à la politesse, quoique je le suppliasse de n'y pas donner un instant, car cet instant pouvoit être irréparable. Je me hâtai de lui dire le sujet de ma venue, et d'abord il me refusa nettement. Mon cœur tressailloit à l'aspect de ce frère qui pouvoit penser que je ne trouvois pas les paroles faites pour obtenir ce que je demandois. Je recommençai mes sollicitations, en me recueillant pour rassembler toutes mes forces: je craignois d'en dire trop, ou trop peu; de perdre l'heure fatale après laquelle c'en étoit fait, ou de négliger un argument qui pouvoit frapper au but. Je regardois tour à tour la pendule et le général, pour voir laquelle des deux puissances, son âme ou le temps, approchoit le plus vite du terme. Deux fois le général prit la plume pour signer le sursis, et deux fois la crainte de se compromettre l'arrêta; enfin il ne put nous refuser, et grâces lui soient encore rendues. Il donna le papier sau

veur, et M. de Monbreton courut au tribunal, où il apprit que son frère avoit déjà tout avoué; mais le sursis rompit la séance, et l'homme innocent a vécu.

C'est notre devoir à nous autres femmes de secourir dans tous les temps les individus accusés pour des opinions politiques, quelles qu'elles puissent être; car qu'est-ce que des opinions dans les temps de partis? Pouvons-nous être certains que tels ou tels événemens, telle ou telle situation, n'auroient pas changé notre manière de voir? Et, si l'on en excepte quelques sentimens invariables, qui sait comment le sort auroit agi sur nous?

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TOME II.

CHAPITRE XXVI.

Traité de Campo-Formio en 1797. Arrivée du général Bonaparte à Paris.

LE directoire n'étoit point enclin à la paix, non qu'il voulût étendre la domination françoise au-delà du Rhin et des Alpes, mais parce qu'il croyoit la guerre utile à la propagation du système républicain. Son plan étoit d'entourer la France d'une ceinture de républiques telles que celles de Hollande, de Suisse, de Piémont, de Lombardie, de Gènes. Partout il établissoit un directoire, deux conseils de députés, enfin une constitution semblable en tout à celle de France. C'est un des grands défauts des François, résultat de leurs habitudes sociales, que de s'imiter les uns les autres, et de vouloir qu'on les imite. Ils prennent les variétés naturelles dans la manière de penser de chaque homme, ou même de chaque nation, pour un esprit d'hostilité contre eux.

Le général Bonaparte étoit assurément moins sérieux et moins sincère dans l'amour des idées républicaines que le directoire, mais il

avoit beaucoup plus de sagesse dans l'appréciation des circonstances. Il pressentit que la paix alloit devenir populaire en France, parce que les passions s'apaisoient, et qu'on étoit las des sacrifices; en conséquence il signa le traité de Campo-Formio avec l'Autriche. Mais ce traité contenoit la cession de la république de Venise, et l'on ne conçoit pas encore comment il parvint à déterminer ce directoire, qui pourtant étoit, à certains égards, républicain, au plus grand attentat qu'on pût commettre d'après ses propres principes. A dater de cet acte, non moins arbitraire que le partage de la Pologne, il n'a plus existé dans le gouvernement de France aucun respect pour aucune doctrine politique, et le règne d'un homme a commencé quand celui des principes a fini.

Le général Bonaparte se faisoit remarquer par son caractère et son esprit autant que par ses victoires, et l'imagination des François commençoit à s'attacher vivement à lui. On citoit ses proclamations aux républiques cisalpine et ligurienne. Dans l'une on remarquoit cette phrase: Vous étiez divisés et pliés par la tyrannie; vous n'étiez pas en état de conquérir la liberté. Dans l'autre : Les vraies conquêtes, les seules qui ne coûtent point de regrets, ce sont

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