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fiantes à tous ceux qu'on lui présentoit. Êtesvous marié? demandoit-il à l'un des convives. Combien avez-vous d'enfans? disoit-il à l'autre. Depuis quand êtes-vous arrivé? Quand partezvous? Et autres interrogations de ce genre qui établissent la supériorité de celui qui les fait sur celui qui veut bien se laisser questionner ainsi. Il se plaisoit déjà dans l'art d'embarrasser, en disant des choses désagréables : art dont il s'est fait depuis un système, comme de toutes les manières de subjuguer les autres en les avilissant. Il avoit pourtant, à cette époque, le désir de plaire, puisqu'il renfermoit dans son esprit le projet de renverser le directoire, et de se mettre à sa place; mais, malgré ce désir, on eût dit qu'à l'inverse du prophète, il maudissoit involontairement, quoiqu'il eût l'intention, de

bénir.

Je l'ai vu un jour s'approcher d'une Françoise très-connue par sa beauté, son esprit et la vivacité de ses opinions; il se plaça tout droit devant elle comme le plus roide des généraux allemands, et lui dit: Madame, je n'aime pas que les femmes se mêlent de politique. « Vous » avez raison, général, lui répondit-elle : mais » dans un pays où on leur coupe la tête, il est » naturel qu'elles aient envie de savoir pour

» quoi. » Bonaparte alors ne répliqua rien. C'est un homme que la résistance véritable apaise; ceux qui ont souffert son despotisme, doivent en être autant accusés que lui-même.

Le directoire fit au général Bonaparte une réception solennelle qui, à plusieurs égards, doit être considérée comme une époque dans l'histoire de la révolution. On choisit la cour du palais du Luxembourg pour cette cérémonie. Aucune salle n'auroit été assez vaste pour contenir la foule qu'elle attiroit; il y avoit des spectateurs à toutes les fenêtres et sur tous les toits. Les cinq directeurs, en costume romain, étoient placés sur une estrade au fond de la cour, et près d'eux les députés des deux conseils, les tribunaux et l'institut. Si ce spectacle avoit eu lieu avant que la représentation nationale eût subi le joug du pouvoir militaire, le 18 fructidor, on y auroit trouvé de la grandeur; une belle musique jouoit des airs patriotiques, des drapeaux servoient de dais au directoire, et ces drapeaux rappeloient de grandes victoires.

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Bonaparte arriva très-simplement vêtu, suivi de ses aides de camp, tous d'une taille plus haute que la sienne, mais presque courbés par le respect qu'ils lui témoignoient. L'élite

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de la France alors présente couvroit le général victorieux d'applaudissemens; il étoit l'espoir de chacun républicains, royalistes, tous voyoient le présent ou l'avenir dans l'appui de sa main puissante. Hélas! de tous les jeunes gens qui crioient alors vive Bonaparte, combien son insatiable ambition en a-t-elle laissé vivre ?

M. de Talleyrand, en présentant Bonaparte au directoire, l'appela le libérateur de l'Italie et le pacificateur du continent. Il assura que le général Bonaparte détestoit le luxe et l'éclat, misérable ambition des âmes communes, et qu'il aimoit les poésies d'Ossian, surtout parce qu'elles détachent de la terre. La terre n'eût pas mieux demandé, je crois, que de le laisser se détacher d'elle. Enfin Bonaparte parla luimême avec une sorte de négligence affectée, comme s'il eût voulu faire comprendre qu'il aimoit peu le régime sous lequel il étoit appelé à servir.

Il dit que depuis vingt siècles le royalisme et la féodalité avoient gouverné le monde, et que la paix qu'il venoit de conclure étoit l'ère du gouvernement républicain. Lorsque le bonheur des François, ajouta-t-il, sera assis sur de meilleures lois organiques, l'Europe entière

sera libre. Je ne sais s'il entendoit par les lois organiques de la liberté, l'établissement de son pouvoir absolu. Quoi qu'il en soit, Barras, alors son ami, et président du directoire, lui répondit, en le supposant de bonne foi dans tout ce qu'il venoit de dire; il finit par le charger spécialement de conquérir l'Angleterre, mission un peu difficile.

On chanta de toutes parts l'hymne que Chénier avoit composé pour célébrer cette journée. En voici le dernier couplet.

Contemplez nos lauriers civiques!

L'Italie a produit ces fertiles moissons;

Ceux-là croissent pour nous au milieu des glaçons;
Voici ceux de Fleurus, ceux des plaines belgiques.
Tous les fleuves surpris nous ont vus triomphans ;
Tous les jours nous furent prospères.

Que le front blanchi de nos pères

Soit couvert de lauriers cueillis par leurs enfans.
Tu fus long-temps l'effroi, sois l'honneur de la terre,
O république des François !

Que le chant des plaisirs succède aux cris de guerre,
La victoire a conquis la paix.

Hélas! que sont-ils devenus ces jours de gloire et de paix, dont la France se flattoit il y a vingt années! Tous ces biens ont été dans les mains d'un seul homme : qu'en a-t-il fait ?

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CHAPITRE XXVII.

Préparatifs du général Bonaparte pour aller en Égypte. Son opinion sur l'invasion de la

Suisse.

LE général Bonaparte, à cette même époque, à la fin de 1797, sonda l'opinion publique relativement aux directeurs; il vit qu'ils n'étoient point aimés, mais qu'un sentiment républicain rendoit encore impossible à un général de se mettre à la place des magistrats civils. Un soir il parloit avec Barras de son ascendant sur les peuples italiens, qui avoient voulu le faire duc de Milan et roi d'Italie. Mais je ne pense, dit-il, à rien de semblable dans aucun pays. «Vous faites bien de n'y pas son» ger en France, répondit Barras; car, si le » directoire vous envoyoit demain au Temple, il » n'y auroit pas quatre personnes qui s'y opposas» sent. » Bonaparte étoit assis sur un canapé à côté de Barras ; à ces paroles il s'élança vers la cheminée, n'étant pas maître de son irritation; puis, reprenant cette espèce de calme apparent dont les hommes les plus passionnés

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