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renadiers entrèrent dans l'orangerie, où les députés étoient rassemblés, et les chassèrent en marchant en avant d'une extrémité de la salle à l'autre, comme s'il n'y avoit eu personne. Les députés repoussés contre le mur furent forcés de s'enfuir par la fenêtre dans les jardins de Saint-Cloud avec leur toge sénatoriale. On avoit déjà proscrit des représentans du peuple en France; mais c'étoit la première fois depuis la révolution qu'on rendoit l'état civil ridicule en présence de l'état militaire; et Bonaparte, qui vouloit fonder son pouvoir sur l'avilissement des corps aussi-bien que sur celui des individus, jouissoit d'avoir su, dès les premiers instans, détruire la considération des députés du peuple. Du moment que la force morale de la représentation nationale étoit anéantie, un corps législatif, quel qu'il fût, n'offroit aux yeux des militaires qu'une réunion de cinq cents hommes beaucoup moins forts et moins dispos qu'un bataillon du même nombre, et ils ont toujours été prêts depuis, si leur chef le commandoit, à redresser les diversités d'opinion comme des fautes de discipline.

Dans les comités des cinq cents, en présence des officiers de sa suite et de quelques amis des directeurs, le général Bonaparte tint un dis

TOME II.

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cours qui fut imprimé dans les journaux du temps. Ce discours offre un rapprochement singulier et que l'histoire doit recueillir. Qu'ontils fait, dit-il, en parlant des directeurs, de cette France que je leur ai laissée si brillante? Je leur avois laissé la paix, et j'ai retrouvé la guerre; je leur avois laissé des victoires, et j'ai retrouvé des revers. Enfin,qw'ont-ils fait de cent mille François que je connoissois tous, mes compagnons d'armes, et qui sont morts maintenant ? Puis terminant tout à coup sa harangue d'un ton plus calme, il ajouta : Cet état de choses ne peut durer, il nous mèneroit dans trois ans au despotisme. Bonaparte s'est chargé de hâter l'accomplissement de sa prédiction.

Mais ne seroit-ce pas une grande leçon pour l'espèce humaine, si ces directeurs, hommes trèspeu guerriers, se relevoient de leur poussière, et demandoient compte à Napoléon de la barrière du Rhin et des Alpes, conquise par la république; compte des étrangers arrivés deux fois à Paris; compte de trois millions de François qui ont péri depuis Cadix jusqu'à Moscou; compte surtout de cette sympathie que les nations ressentoient pour la cause de la liberté en France, et qui s'est maintenant changée en aversion invétérée. Certes les directeurs n'en seroient pas

pour cela plus à louer; mais on en devroit conclure que de nos jours une nation éclairée ne peut rien faire de pis que de se remettre entre les mains d'un homme. Le public a plus d'esprit qu'aucun individu maintenant, et les institutions rallient les opinions beaucoup plus sagement que les circonstances. Si la nation françoise, au lieu de choisir ce fatal étranger, qui l'a exploitée pour son propre compte, et mal exploitée même sous ce rapport; si la nation françoise, dis-je, alors si imposante, malgré toutes ses fautes, s'étoit constituée elle-même, en respectant les leçons que dix ans d'expérience venoient de lui donner, elle seroit encore la lumière du monde.

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CHAPITRE III.

Comment la constitution consulaire fut
établie.

Le sortilège le plus puissant dont Bonaparte se soit servi pour fonder son pouvoir, c'est, comme nous l'avons déjà dit, la terreur qu'inspiroit le nom seul du jacobinisme, bien que tous les hommes capables de réflexions sachent parfaitement que ce fléau ne peut renaître en France. On se donne volontiers l'air de craindre les partis battus, pour motiver des mesures générales de rigueur. Tous ceux qui veulent favoriser l'établissement du despotisme rappellent avec violence les forfaits commis par la démagogie. C'est une tactique très-facile ; aussi Bonaparte paralysoit-il toute espèce de résistance à ses volontés par ces mots : Voulez-vous que je vous livre aux jacobins ? Et la France alors plioit devant lui, sans que des hommes énergiques osassent lui répondre : Nous saurons combattre les jacobins et vous. Enfin même alors on ne l'aimoit pas, mais on le préféroit ; il s'est presqué toujours offert en concurrence avec une

autre crainte, afin de faire accepter sa puissance comme un moindre mal.

Une commission, composée de cinquante membres des cinq cents et des anciens fut chargée de discuter, avec le général Bonaparte, la constitution qu'on alloit proclamer. Quelquesuns de ces membres qui avoient sauté la veille par la fenêtre, pour échapper aux baïonnettes, traitoient sérieusement les questions abstraites des lois nouvelles, comme si l'on avoit pu supposer encore que leur autorité seroit respectée. Ce sang- froid pouvoit être beau s'il eût été joint à de l'énergie; mais on ne discutoit les questions abstraites que pour établir une tyrannie; comme du temps de Cromwell on cherchoit dans la Bible des passages pour autoriser le pouvoir absolu.

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Bonaparte laissoit ces hommes, accoutumés à la tribune, dissiper en paroles leur reste de caractère; mais quand ils approchoient, par théorie, trop près de la pratique, il abrégeoit toutes les difficultés en les menaçant de ne plus se mêler de leurs affaires, c'est-à-dire, de les terminer par la force. Il se complaisoit assez dans ces longues discussions, parce qu'il aime beaucoup lui-même à parler. Son genre de dissimulation en politique n'est pas le silence;

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