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avides, et la découverte de l'imprimerie, loin d'être, comme on l'a dit, la sauvegarde de la liberté, seroit l'arme la plus terrible du despotisme, si les journaux, qui sont la seule lecture des trois quarts de la nation, étoient exclusivement soumis à l'autorité. Car, de même que les troupes réglées sont plus dangereuses que les milices pour l'indépendance des peuples, les écrivains soldés dépravent l'opinion bien plus qu'elle ne pouvoit se dépraver, quand on ne communiquoit que par la parole, et que l'on formoit ainsi son jugement d'après les faits. Mais, lorsque la curiosité pour les nouvelles ne peut se satisfaire qu'en recevant un appoint de mensonges; lorsqu'aucun événement n'est raconté sans être accompagné d'un sophisme; lorsque la réputation de chacun dépend d'une calomnie répandue dans des gazettes qui se multiplient de toutes parts, sans qu'on accorde à personne la possibilité de les réfuter; lorsque les opinions sur chaque circonstance, sur chaque ouvrage, sur chaque individu, sont soumises au mot d'ordre des journalistes, comme les mouvemens des soldats aux chefs de file c'est alors que l'art de l'imprimerie devient ce que l'on a dit du canon, la dernière raison des rois.

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Bonaparte, lorsqu'il disposoit d'un million d'hommes armés, n'en attachoit pas moins d'importance à l'art de guider l'esprit public par les gazettes; il dictoit souvent lui-même des articles de journaux qu'on pouvoit reconnoître aux saccades violentes du style; on voyoit qu'il auroit voulu mettre dans ce qu'il écrivoit, des coups au lieu de mots. Il a dans tout son être un fond de vulgarité que le gigantes

que de son ambition même ne sauroit toujours cacher. Ce n'est pas qu'il ne sache très-bien, un jour donné, se montrer avec beaucoup de convenance; mais il n'est à son aise que dans le mépris pour les autres, et, dès qu'il peut y rentrer, il s'y complaît. Toutefois ce n'étoit pas uniquement par goût qu'il se livroit à faire servir, dans ses notes du Moniteur, le cynisme de la révolution au maintien de sa puissance. Il ne permettoit qu'à lui d'être jacobin en France. Mais, lorsqu'il inséroit dans ses bulletins des injures grossières contre les personnes les plus respectables, il croyoit ainsi captiver la masse du peuple et des soldats, en se rapprochant de leur langage et de leurs passions, sous la pourpre même dont il étoit revêtu.

On ne peut arriver à un grand pouvoir qu'en mettant à profit la tendance de son siècle : aussi

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Bonaparte étudia-t-il bien l'esprit du sien. Il avoit eu, parmi les hommes supérieurs du dixhuitième siècle en France, un superbe enthousiasme pour les principes qui fondent le bonheur et la dignité de l'espèce humaine; mais à l'abri de ce grand chêne croissoient des plantes vénéneuses, l'égoïsme et l'ironie ; et Bonaparte sut habilement se servir de ces dispositions funestes. Il tourna toutes les belles choses en ridicule, excepté la force; et la maxime proclamée sous son règne étoit : Honte aux vaincus! Aussi l'on ne seroit tenté de dire aux disciples de sa doctrine qu'une seule injure : Et pourtant vous n'avez pas réussi ! Car tout blâme, tiré du sentiment moral, ne leur importeroit guère.

Il falloit cependant donner un principe de vie à ce système de dérision et d'immoralité, sur lequel se fondoit le gouvernement civil. Ces puissances négatives ne ne suffisoient pas pour marcher en avant, sans l'impulsion des succès militaires. L'ordre dans l'administration et dans les finances, les embellissemens des villes, la confection des canaux et des grandes routes, tout ce qu'on a pu louer enfin dans les affaires de l'intérieur, avoit pour unique base l'argent obtenu par les contributions levées sur les étrangers. Il

ne falloit pas moins que les revenus du continent pour procurer alors de tels avantages à la France; et, loin qu'ils fussent fondés sur des institutions durables, la grandeur apparente de ce colosse ne reposoit que sur des pieds d'argile.

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CHAPITRE V.

L'Angleterre devoit-elle faire la paix avec Bonaparte à son avénement au consulat?

LORSQUE le général Bonaparte fut nommé consul, ce qu'on attendoit de lui, c'étoit la paix. La nation étoit fatiguée de sa longue lutte; et, sûre alors d'obtenir son indépendance avec la barrière du Rhin et des Alpes, elle ne souhaitoit que la tranquillité; certes elle s'adressoit mal pour l'obtenir. Cependant le premier consul fit des démarches pour se rapprocher de l'Angleterre, et le ministère d'alors s'y refusa. Peut-être eut-il tort, car deux ans après, lorsque Bonaparte avoit déjà assuré sa puissance par la victoire de Marengo, le gouvernement anglois se vit dans la nécessité de signer

le traité d'Amiens, qui, sous tous les rapports, étoit plus désavantageux que celui qu'on auroit obtenu dans un moment où Bonaparte vouloit un succès nouveau, la paix avec l'Angleterre. Cependant je ne partage pas l'opinion de quelques personnes qui prétendent que, si le ministère anglois avoit alors accepté les pro

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