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auteur de la révolution; car, s'il aimoit cette révolution comme l'ayant placé sur le trône, il la haïssoit par son instinct de despote : il auroit voulu l'effet sans la cause. D'ailleurs, son habileté en fait de haine lui avoit très - bien suggéré que M. Necker, souffrant plus que personne des malheurs qui avoient frappé tant de gens respectables en France, seroit profondément blessé, si, de la manière même la plus injuste, on le désignoit comme les ayant préparés.

Aucune réclamation pour la restitution du dépôt de mon père ne fut admise, à dater de la publication de son livre en 1802; et le premier consul déclara, dans le cercle de sa cour, qu'il ne me laisseroit plus revenir à Paris, puisque, disoit-il, j'avois porté des renseignemens si faux à mon père sur l'état de la France. Certes, mon père n'avoit besoin de moi pour aucune chose dans ce monde, excepté, je l'espère, pour mon affection; et, quand j'arrivai à Coppet, son manuscrit étoit déjà livré à l'impression. Il est curieux d'observer ce qui, dans ce livre, put exciter si vivement la colère du premier consul.

Dans la première partie de son ouvrage, M. Necker analysoit la constitution consulaire

telle qu'elle existoit alors, et il approfondissoit aussi l'hypothèse de la royauté constituée par Bonaparte, ainsi qu'on pouvoit la prévoir. Il posoit en maxime qu'il n'y a point de système représentatif sans élection directe du peuple, et que rien n'autorisoit à dévier de ce principe. Éxaminant ensuite l'institution aristocratique, servant de barrière entre la représentation nationale et le pouvoir exécutif, M. Necker jugea d'avance le sénat conservateur, tel qu'il s'est montré depuis, comme un corps à qui l'on renvoyoit tout et qui ne pouvoit rien, un corps qui recevoit des appointemens, chaque premier du mois, de ce gouvernement qu'il étoit censé contrôler. Les sénateurs devoient nécessairement n'être que des commentateurs de la volonté consulaire. Une assemblée nombreuse s'associoit à la responsabilité des actes d'un seul, et chacun se sentoit plus à l'aise pour s'avilir à l'ombre de la majorité.

M. Necker prédit ensuite l'élimination du tribunat, telle qu'elle eut lieu sous le consulat même. «< Les tribuns y penseront à deux fois, » dit-il, «< avant de se rendre importuns, avant » de s'exposer à déplaire à un sénat, qui doit » chaque année fixer leur sort politique, et les » perpétuer', ou non, dans leurs places. La

>> constitution, donnant au sénat conservateur le droit de renouveler tous les ans le corps » législatif et le tribunat par cinquième, n'ex>>plique point de quelle manière l'opération » s'exécutera : elle ne dit point si le cinquième » qui devra faire place à un autre cinquième » sera déterminé par le sort ou par la désigna>>tion arbitraire du sénat. On ne peut mettre >> en doute qu'à commencer de l'époque où » un droit d'ancienneté s'établira, le cinquième » de première date ne soit désigné pour sortir » à la révolution de cinq années, et chacun des >> autres cinquièmes dans ce même ordre de » rangs. Mais la question est encore très-im>> portante, en l'appliquant seulement aux >> membres du tribunat et du corps législatif, >> choisis tous à la fois au moment de la con»stitution; et si le sénat, sans recourir au >> sort, s'arroge le droit de désigner à sa vo» lonté le cinquième qui devra sortir chaque >> année pendant cinq ans (c'est ce qu'il fit), » la liberté des opinions sera gênée dès à pré>> sent d'une manière très-puissante.

>> C'est véritablement une singulière dispa» rate que le pouvoir donné au sénat conser»vateur, de faire sortir du tribunat qui bon >> lui semble, jusques à la concurrence d'un

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cinquième du total, et de n'être autorisé lui» même à agir comme conservateur, comme » défenseur de la constitution, que sur l'aver>> tissement et l'impulsion du tribunat. Quelle >> supériorité dans un sens! quelle infériorité » dans l'autre ! Rien ne paroît avoir été fait » d'ensemble. » (1)

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Sur ce point j'oserois n'être pas de l'avis de mon père il y avoit un ensemble dans cette organisation incohérente; elle avoit constamment et artistement pour but de ressembler à la liberté, et d'amener la servitude. Les constitutions mal faites sont très-propres à ce résultat; mais cela tient toujours à la mauvaise foi du fondateur, car tout esprit sincère aujourd'hui sait en quoi consistent les ressorts naturels et spontanés de la liberté.

Passant ensuite à l'examen du corps législatif muet, dont nous avons déjà parlé, M. Necker dit à propos de l'initiative des lois : « Le gou» vernement, par une attribution exclusive, doit » seul proposer toutes les lois. Les Anglois se >> croiroient perdus, comme hommes libres, si >> l'exercice d'un pareil droit étoit enlevé à leur » parlement; si la prérogative la plus impor

(1) Dernières vues de politique et de finance, pag. 41.

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>> tante et la plus civique sortoit jamais de ses >> mains. Le monarque lui-même n'y parti>>cipe qu'indirectement et par la médiation des >> membres de la chambre haute et de la cham>> bre des communes, qui sont en même temps » ses ministres.

>> Les représentans de la nation, qui, de >> toutes les parties d'un royaume ou d'une ré)) publique, viennent se réunir tous les ans » dans la capitale, et qui se rapprochent en>> core de leurs foyers pendant l'ajournement >> des sessions, recueillent nécessairement des >> notions précieuses sur les améliorations dont >> l'administration de l'état est susceptible; le >> pouvoir, d'ailleurs, de proposer des lois, » est une faculté politique, féconde en pensées >> sociales et d'une utilité universelle, et il faut, >> pour l'exercer, un esprit investigateur, une >> âme patriotique, tandis que, pour accepter » ou refuser une loi, le jugement seul est né>> cessaire. C'étoit l'office des anciens parlemens » de France; et, réduits qu'ils étoient à cette >> fonction, ne pouvant jamais juger des objets » qu'un à un, ils n'ont jamais acquis des idées générales.» (1)

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(1) Page 53.

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