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» Nous désirons que notre lettre soit consignée dans les registres de la république, pour >> être un monument durable de notre vénéra>>tion pour votre respectable concitoyen. »

Hélas! auroit-on prévu que tant d'admiration seroit suivie de tant d'injustice; qu'on reprocheroit des sentimens d'étranger à celui qui a chéri la France avec une prédilection presque trop grande qu'un parti l'appelleroit l'auteur de la révolution, parce qu'il respectoit les droits de la nation, et que les meneurs de cette nation l'accuseroient d'avoir voulu la sacrifier au maintien de la monarchie? Ainsi dans d'autres temps, je me plais à le répéter, le chancelier de l'Hôpital étoit menacé par les catholiques et les protestans tour à tour; ainsi l'on auroit vu Sully succomber sous les haines de parti, si la fermeté de son maître ne l'avoit pas soutenu. Mais aucun de ces deux hommes d'état n'avoit cette imagination du cœur qui rend accessible à tous les genres de peine. M. Necker étoit calme devant Dieu, calme aux approches de la mort, parce que la conscience seule parle dans cet instant. Mais, lorsque les intérêts de ce monde l'occupoient encore, il n'est il n'est pas un reproche qui ne l'ait blessé, pas un ennemi dont la malveillance ne l'ait atteint, pas un jour pen

dant lequel il ne se soit vingt fois interrogé luimême, tantôt pour se faire un tort des maux qu'il n'avoit pu prévenir, tantôt pour se placer en arrière des événemens, et peser de nouveau les différentes résolutions qu'il auroit pu prendre. Les jouissances les plus pures de la vie étoient empoisonnées pour lui, par les persécutions inouïes de l'esprit de parti. Cet esprit de parti se montroit jusque dans la manière dont les émigrés, dans le temps de leur détresse, s'adressoient à lui pour demander des secours. Plusieurs, en lui écrivant à ce sujet, s'excusoient de ne pouvoir aller chez lui, parce que les principaux d'entre eux le leur avoient défendu ; ils jugeoient bien du moins de la générosité de M. Necker, quand ils croyoient que cette soumission à l'impertinence de leurs chefs ne le détourneroit pas de leur rendre ser

vice.

Parmi les inconvéniens de l'esclavage de la presse, il y avoit encore que les jugemens sur la littérature étoient entre les mains du gouvernement : il en résultoit que, par l'intermédiaire des journalistes, la police disposoit, au moins momentanément, de la fortune littéraire d'un écrivain, comme d'un autre côté elle délivroit des permissions pour l'entreprise

des jeux de hasard. Les écrits de M. Necker, pendant les derniers temps de sa vie, n'ont donc point été jugés en France avec impartialité; et c'est une peine de plus qu'il a supportée dans sa retraite. L'avant-dernier de ses ouvrages, intitulé, Cours de morale religieuse, est, je crois pouvoir l'affirmer, un des livres de piété les mieux écrits, les plus forts de pensée et d'éloquence dont les protestans puissent se vanter, et souvent je l'ai trouvé entre les mains de personnes que les peines du cœur avoient atteintes. Toutefois, les journaux sous Bonaparte n'en firent presque pas mention, et le peu qu'on en dit n'en donnoit aucune idée. Il y a eu de même, en d'autres pays, quelques exemples de chefs-d'œuvre littéraires, qui n'ont été jugés que long-temps après la mort de leur auteur. Cela fait mal de penser que celui qui nous fut si cher, a été privé même du plaisir que ses talens comme écrivain lui méritoient incontestablement.

Il n'a point vu le jour de l'équité luire pour sa mémoire, et sa vie a fini l'année même où Bonaparte alloit se faire empereur, c'est-àdire, dans une époque où aucun genre de vertu n'étoit en honneur en France. La délicatesse de son âme étoit telle, que la pensée qui le tour

mentoit pendant sa dernière maladie, c'étoit la crainte d'avoir été la cause de mon exil: et je n'étois pas près de lui pour le rassurer! Il écrivit à Bonaparte, d'une main affoiblie, pour lui demander de me rappeler quand il ne seroit plus. J'envoyai cette requête sacrée à l'empereur; il n'y répondit point: la magnanimité lui a toujours paru de l'affectation, et il en parloit assez volontiers comme d'une vertu de mélodrame : s'il avoit pu connoître l'ascendant de cette vertu, il eût été tout à la fois meilleur et plus habile. Après tant de douleurs, après tant de vertus, la puissance d'aimer sembloit s'être accrue dans mon père à l'âge où elle diminue chez les autres hommes; et tout annoncoit en lui, quand il a fini de vivre, le retour vers le ciel.

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CHAPITRE X.

Résumé des principes de M. Necker en matièrc de gouvernement.

ON a souvent dit que la religion étoit nécessaire au peuple; et je crois facile de prouver que les hommes d'un rang élevé en ont plus besoin encore. Il en est de même de la morale dans ses rapports avec la politique. On n'a cessé de répéter qu'elle convenoit aux particuliers, et non aux nations: il est au contraire vrai que c'est aux gouvernemens des états surtout que les principes fixes sont applicables. L'existence de tel ou tel individu étant passagère, il arrive quelquefois qu'une mauvaise action lui sert pour un moment, dans une conjoncture où son intérêt personnel est compromis; mais, les nations étant durables, elles ne sauroient s'affranchir des lois générales et permanentes de l'ordre intellectuel, sans marcher à leur perte. L'injustice qui peut servir à un homme par exception, est toujours nuisible aux successions d'hommes dont le sort rentre forcément dans la règle universelle. Mais ce qui a donné quel

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