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quent de la liberté ; mais le besoin d'anéantir tous les rangs supérieurs tient aux petitesses de l'amour - propre. Bonaparte a très-bien connu l'ascendant de ce défaut en France, et voici comme il s'en est servi. Les hommes qui avoient pris part à la révolution ne vouloient plus qu'il y eût des castes au-dessus d'eux. Bonaparte les a ralliés à lui en leur promettant les titres et les rangs dont ils avoient dépouillé les nobles. « Vous voulez l'égalité? » leur disoit-il: « Je ferai mieux encore, je vous don» nerai l'inégalité en votre faveur; MM. de la » Trémoille, de Montmorency, etc., seront légalement de simples bourgeois dans l'état, pendant que les titres de l'ancien régime et » les charges de cour seront possédées par les » noms les plus vulgaires, si cela plaît à l'em» pereur. » Quelle bizarre idée! et n'auroiton pas cru qu'une nation, si propre à saisir les inconvenances, se seroit livrée au rire inextinguible des dieux d'Homère, en voyant tous ces républicains masqués en ducs, en comtes, en barons, et s'essayant à l'étude des manières des grands seigneurs, comme on répète un rôle de comédie? On faisoit bien quelques chansons sur ces parvenus de toute espèce, rois et valets; mais l'éclat des victoires et la force du

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despotisme ont tout fait

passer, au moins pendant quelques années. Ces républicains qu'on avoit vus dédaigner les récompenses données par les monarques, n'avoient plus assez d'espace sur leurs habits pour y placer les larges plaques allemandes, russes, italiennes dont on les avoit affublés. Un ordre militaire, la couronne de Fer ou la Légion-d'Honneur, pouvoit être accepté par des guerriers dont ces signes rappeloient les blessures et les exploits; mais les rubans et les clefs de chambellan, mais tout cet appareil des cours, convenoit-il à des hommes qui avoient remué ciel et terre pour l'abolir? Une caricature angloise représente Bonaparte découpant 1 bonnet rouge pour en faire un grand cordon de la Légion-d'Honneur. Quelle parfaite image de cette noblesse inventée par Bonaparte, et qui n'avoit à se glorifier que de la faveur de son maître! Les militaires françois ne se sont plus considérés que comme les soldats d'un homme après avoir été les défenseurs de la nation. Ah! qu'ils étoient plus grands alors!

Bonaparte avoit lu l'histoire d'une manière confuse peu accoutumé à l'étude, il se rendoit beaucoup moins compte de ce qu'il avoit appris dans les livres, que de ce qu'il avoit re

cueilli par l'observation des hommes. Il n'en étoit pas moins resté dans sa tête un certain respect pour Attila et pour Charlemagne, pour les lois féodales et pour le despotisme de l'Orient, qu'il appliquoit à tort et à travers, ne se trompant jamais, toutefois, sur ce qui servoit instantanément à son pouvoir; mais du reste, citant, blâmant, louant et raisonnant comme le hasard le conduisoit ; il parloit ainsi des heures entières avec d'autant plus d'avantage, que personne ne l'interrompoit, si ce n'est par les applaudissemens involontaires qui échappent toujours dans des occasions semblables. Une chose singulière, c'est que, dans la conversation, plusieurs officiers bonapartistes ont emprunté de leur chef cet héroïque galimatias qui véritablement ne signifie rien qu'à la tête de huit cent mille hommes.

Bonaparte imagina donc, pour se faire un empire oriental et carlovingien tout ensemble, de créer des fiefs dans les pays conquis par lui, et d'en investir ses généraux ou ses principaux administrateurs. Il constitua des majorats, il décréta des substitutions, il rendit à l'un le service de cacher sa vie sous le titre inconnu de duc de Rovigo; et, tout au contraire, en ôtant à Macdonald, à Bernadotte, à Masséna les noms

qu'ils avoient illustrés par tant d'exploits, il frauda, pour ainsi dire, les droits de la renommée, et resta seul, comme il le vouloit, en possession de la gloire militaire de la France.

Ce n'étoit pas assez d'avoir avili le parti républicain en le dénaturant tout entier ; Bonaparte voulut encore ôter aux royalistes la dignité qu'ils devoient à leur persévérance et à leur malheur. Il fit occuper la plupart des charges de sa maison par des nobles de l'ancien régime; il flattoit ainsi la nouvelle race en la mêlant avec la vieille, et lui-même aussi réunissant les vanités d'un parvenu aux facultés gigantesques d'un conquérant, il aimoit les flatteries des courtisans d'autrefois, parce qu'ils s'entendoient mieux à cet art que les hommes nouveaux, même les plus empressés. Chaque fois qu'un gentilhomme de l'ancienne cour rappeloit l'étiquette du temps jadis, proposoit une révérence de plus, une certaine façon de frapper à la porte de quelque antichambre, une manière plus cérémonieuse de présenter une dépêche, de plier une lettre, de la terminer par telle ou telle formule, il étoit accueilli comme s'il avoit fait faire des progrès au bonheur de l'espèce humaine. Le code de l'étiquette impériale est le document le plus remarquable de la bassesse à laquelle on

peut réduire l'espèce humaine. Les machiavélistes diront que c'est ainsi qu'il faut tromper les hommes; mais est-il vrai que, de nos jours, on trompe les hommes? On obéissoit à Bonaparte, ne cessons de le répéter, parce qu'il donnoit de la gloire militaire à la France. Que ce fût bon ou mauvais, c'étoit un fait clair et sans mensonge. Mais toutes les farces chinoises qu'il faisoit jouer devant son char de triomphe ne plaisoient qu'à ses serviteurs, qu'il auroit pu mener de cent autres manières, si cela lui avoit convenu. Bonaparte a souvent pris sa cour pour son empire; il aimoit mieux qu'on le traitât comme un prince que comme un héros : peutêtre, au fond de son âme, se sentoit-il encore plus de droits au premier de ces titres qu'au second.

Les partisans des Stuarts, lorsqu'on offroit la royauté à Cromwell, s'appuyèrent sur les principes des amis de la liberté pour s'y opposer, et ce n'est qu'à l'époque de la restauration qu'ils reprirent la doctrine du pouvoir absolu; mais au moins restèrent-ils fidèles à l'ancienne dynastie. Une grande partie de la noblesse françoise s'est précipitée dans les cours de Bonaparte et de sa famille. Lorsqu'on reprochoit à un homme du plus grand nom, de s'être fait

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