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journalières de toutes les classes. En faisant brûler, dans les villes de sa dépendance, depuis Hambourg jusqu'à Naples, les produits de l'industrie angloise, il révoltoit tous les témoins de ces actes de foi en l'honneur du despotisme. J'ai vu sur la place publique, à Genève, de pauvres femmes se jeter à genoux devant le bûcher où l'on brûloit des marchandises, en suppliant qu'on leur permit d'arracher à temps aux flammes quelques morceaux de toile ou de drap pour vêtir leurs enfans dans la misère : de pareilles scènes devoient se renouveler partout; mais quoique les hommes d'état dans le genre ironique répétassent alors qu'elles ne signifioient rien, elles étoient le tableau vivant d'une absurdité tyrannique, le blocus continental. Qu'est-il résulté des terribles anathèmes de Bonaparte? La puissance de l'Angleterre s'est accrue dans les quatre parties du monde, son influence sur les gouvernemens étrangers a été sans bornes, et elle devoit l'être, vu la grandeur du mal dont elle préservoit l'Europe. Bonaparte, qu'on persiste à nommer habile, a pourtant trouvé l'art maladroit de multiplier partout les ressources de ses adversaires, et d'augmenter tellement celles de l'Angleterre en particulier, qu'il n'a pu réussir à lui faire qu'un seul mal

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peut-être, il est vrai le plus grand de tous celui d'accroître ses forces militaires à un tel degré, qu'on pourroit craindre pour sa liberté, si l'on ne se fioit pas à son esprit public.

On ne peut nier qu'il ne soit très-naturel que la France envie la prospérité de l'Angleterre; et ce sentiment l'a portée à se laisser tromper sur quelques-uns des essais de Bonaparte pour élever l'industrie françoise à la hauteur de celle d'Angleterre. Mais est-ce par des prohibitions armées qu'on crée de la richesse? La volonté des souverains ne sauroit plus diriger le système industriel et commercial des nations: il faut les laisser aller à leur développement naturel, et seconder leurs intérêts selon leurs vœux. Mais de même qu'une femme, pour s'irriter des hommages offerts à sa rivale, n'en obtient pas davantage elle-même, une nation, em fait de commerce et d'industrie, ne peut l'emporter qu'en sachant attirer les tributs volontaires, et non en proscrivant la concurrence.

Les gazetiers officiels étoient chargés d'insulter la nation et le gouvernement anglois; dans les feuilles de chaque jour d'absurdes dénominations, telles que celles de perfides insulaires, de marchands avides, étoient sans cesse répétées avec des variations qui ne devoient pour

tant pas trop s'éloigner du texte. On est remonté dans quelques écrits jusqu'à Guillaume-le-Conquérant pour qualifier de révolte la bataille de Hastings, et l'ignorance facilitoit à la bassesse les plus misérables calomnies. Les journalistes de Bonaparte, auxquels nul ne pouvoit répondre, ont défiguré l'histoire, les institutions et le caractère de la nation angloise. C'est encore un des fléaux de l'esclavage de la presse : la France les a tous subis.

Comme Bonaparte se respectoit lui-même plus que ceux qui lui étoient soumis, il se permettoit quelquefois dans la conversation de dire assez de bien de l'Angleterre, soit qu'il voulût préparer les esprits pour le cas où il lui conviendroit de traiter avec le gouvernement anglois, soit plutôt qu'il aimât à s'affranchir un moment du faux langage qu'il commandoit à ses serviteurs. C'étoit le cas de dire: Faisons mentir nos gens.

CHAPITRE XIV.

Sur l'esprit de l'armée françoise.

Il ne faut pas l'oublier, l'armée françoise a été admirable pendant les dix premières années de la guerre de la révolution. Les qualités qui manquoient aux hommes employés dans la carrière civile, on les retrouvoit dans les militaires persévérance, dévouement, audace et même bonté, quand l'impétuosité de l'attaque n'altéroit pas leur caractère naturel. Les soldats et les officiers se faisoient souvent aimer dans les pays étrangers, lors même que leurs armes y avoient fait du mal; non-seulement ils bravoient la mort avec cette incroyable énergie qu'on retrouvera toujours dans leur sang et dans leur coeur, mais ils supportoient les plus affreuses privations avec une sérénité sans exemple. Cette légèreté, dont on accuse avec raison les François dans les affaires politiques, devenoit respectable quand elle se transformoit en insouciance du danger, en insouciance même de la douleur. Les soldats françois sourioient au milieu des situations les plus

cruelles, et se ranimoient encore dans les angoisses de la souffrance, soit par un sentiment d'enthousiasme pour leur patrie, soit par un bon mot qui faisoit revivre cette gaieté spirituelle à laquelle les dernières classes même de la société sont toujours sensibles en France.

La révolution avoit perfectionné singulièrement l'art funeste du recrutement; mais le bien qu'elle avoit fait en rendant tous les grades accessibles au mérite, excita dans l'armée françoise une émulation sans bornes. C'est à ces principes de liberté que Bonaparte a dû les ressources dont il s'est servi contre la liberté même. Bientôt l'armée sous Napoléon ne conserva guère de ses vertus populaires que son admirable valeur et un noble sentiment d'orgueil national; combien elle étoit déchue toutefois, quand elle se battoit pour un homme, tandis que ses devanciers, tandis que ses vétérans même, dix ans plus tôt, ne s'étoient dévoués qu'à la patrie!" Bientôt aussi les troupes de presque toutes les nations continentales furent forcées à combattre sous les étendards de la France. Quel sentiment patriotique pouvoit animer les Allemands, les Hollandois, les Italiens, quand rien ne leur garantissoit l'indépendance de leur pays, ou plutôt quand son asservissement pesoit

TOME II.

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