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raisonner, il faut du courage d'âme pour avoir des élans de génie; et rien de semblable ne peut se trouver dans ces écrivains qui suivent à tout vent la direction de la force.

Les journaux étoient remplis des adresses à l'empereur, des promenades de l'empereur, de celles des princes et des princesses, des étiquettes et des présentations à la cour. Ces journaux, fidèles à l'esprit de servitude, trouvoient le moyen d'être fades à l'époque du bouleversement du monde; et, sans les bulletins officiels qui venoient de temps en temps nous apprendre que la moitié de l'Europe étoit conquise, on auroit pu croire qu'on vivoit sous des berceaux de fleurs, et qu'on n'avoit rien de mieux à faire que de compter les pas des Majestés et des Altesses Impériales, et de répéter les paroles gracieuses qu'elles avoient bien voulu laisser tomber sur la tête de leurs sujets prosternés. Est-ce ainsi les hommes de lettres, que les que magistrats de la pensée, doivent se conduire en présence de la postérité ?

Quelques personnes cependant ont tenté d'imprimer des livres sous la censure de la police; mais qu'en arrivoit-il ? une persécution comme celle qui m'a forcée de m'enfuir par Moscou pour chercher un asile en Angleterre.

Le libraire Palm a été fusillé en Allemagne pour n'avoir pas voulu nommer l'auteur d'une brochure qu'il avoit imprimée. Et, si des exemples plus nombreux encore de proscriptions ne peuvent être cités, c'est que le despotisme étoit si fortement mis en exécution, qu'on avoit fini par s'y soumettre, comme aux terribles lois de la nature, la maladie et la mort. Ce n'est pas seulement à des rigueurs sans fin qu'on s'exposoit sous une tyrannie aussi persévérante, mais on ne pouvoit jouir d'aucune gloire littéraire dans son pays, quand des journaux aussi multipliés que sous un gouvernement libre, et néanmoins soumis tous au même langage, vous harceloient de leurs plaisanteries de commande. J'ai fourni pour ma part des refrains continuels aux journalistes françois depuis quinze ans : la mélancolie du nord, la perfectibilité de l'espèce humaine, les muses romantiques, les muses germaniques. Le joug de l'autorité et l'esprit d'imitation étoient imposés à la littérature, comme le Journal officiel dictoit les articles de foi en politique. Un bon instinct de despotisme faisoit sentir aux agens de la police littéraire, que l'originalité dans la manière d'écrire peut conduire à l'indépendance du caractère, et qu'il faut bien se garder de laisser

introduire à Paris les livres des Anglois et des Allemands, si l'on ne veut pas que les écrivrains françois, tout en respectant les règles du goût, suivent les progrès de l'esprit humain pays où les troubles civils n'en ont pas

dans les

ralenti la marche.

Enfin, de toutes les douleurs que l'esclavage de la presse fait éprouver, la plus amère, c'est de voir insulter dans les feuilles publiques ce qu'on a de plus cher, ce qu'on respecte le plus, sans qu'il soit possible de faire admettre une réponse dans ces mêmes gazettes qui sont nécessairement plus populaires que les livres. Quelle lâcheté dans ceux qui insultent les tombeaux, quand les amis des morts ne peuvent en prendre la défense! Quelle lâcheté dans ces folliculaires qui attaquoient aussi les vivans avec l'autorité derrière eux, et servoient d'avantgarde à toutes les proscriptions que le pouvoir absolu prodigue, dès qu'on lui suggère le moindre soupçon ! Quel style que celui qui porte le cachet de la police! A côté de cette arrogance, à côté de cette bassesse, quand on lisoit quelques discours des Américains ou des Anglois, des hommes publics enfin qui ne cherchent, en s'adressant aux autres hommes, qu'à

leur communiquer leur conviction intime, on se sentoit ému comme si la voix d'un ami s'étoit tout à coup fait entendre à l'être abandonné qui ne savoit plus où trouver un semblable.

CHAPITRE XVII.

Un mot de Bonaparte imprimé dans le Moniteur.

Ce n'étoit pas assez que tous les actes de Bonaparte fussent empreints d'un despotisme toujours plus audacieux; il falloit encore qu'il révélât lui-même le secret de son gouvernement, méprisant assez l'espèce humaine pour le lui dire. Il fit mettre, dans le Moniteur du mois de juillet 1810, ces propres paroles qu'il adressoit au second fils de son frère Louis Bonaparte; cet enfant étoit alors destiné au grandduché de Berg. N'oubliez jamais, lui dit-il, dans quelque position que vous placent ma politique et l'intérêt de mon empire, que vos premiers devoirs sont envers moi, vos seconds envers la France; tous vos autres devoirs, même ceux envers les peuples que je pourrois vous confier, ne viennent qu'après. Il ne s'agit pas là de libelles, il ne s'agit pas là d'opinions de parti : c'est lui, lui Bonaparte, qui s'est dénoncé ainsi plus sévèrement que la postérité n'auroit jamais osé le faire. Louis XIV fut accusé d'avoir dit dans son intérieur : L'état, c'est moi;

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