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tuer pour lui au moindre signe; soit l'équité envers les nations étrangères qui le regardoient avec étonnement; soit enfin cette espèce de sagesse, naturelle à tout homme au milieu de la vie, quand il voit s'approcher les grandes ombres qui doivent bientôt l'envelopper: une vertu, une seule vertu, et c'en étoit assez pour que toutes les prospérités humaines s'arrêtassent sur la tête de Bonaparte. Mais l'étincelle divine n'existoit pas dans son

cœur.

Le triomphe de Bonaparte, en Europe comme en France, reposoit en entier sur une grande équivoque qui dure encore pour beaucoup de gens. Les peuples s'obstinoient à le considérer comme le défenseur de leurs droits, dans le moment où il en étoit le plus grand ennemi. La force de la révolution de France, dont il avoit hérité, étoit immense parce qu'elle se composoit de la volonté des François et du væeu secret des autres nations. Napoléon s'est servi de cette force contre les anciens gouvernemens pendant plusieurs années, avant que les peuples aient découvert qu'il ne s'agissoit pas d'eux. Les mêmes noms subsistoient encore : c'étoit toujours la France, jadis le foyer des principes populaires;

et, bien que Bonaparte détruisît les républiques, et qu'il excitât les rois et les princes à des actes de tyrannie, contraires même à leur modération naturelle, on croyoit encore que tout cela finiroit par de la liberté, et souvent lui-même parloit de constitution, du moins quand il s'agissoit du règne de son fils. Toutefois le premier pas que Napoléon ait fait vers sa ruine, c'est l'entreprise contre l'Espagne; car il a trouvé là une résistance nationale, la seule dont l'art ni la corruption. de la diplomatie ne pussent le débarrasser. Il ne s'est pas douté du danger qu'une guerre de villages et de montagnes pouvoit faire courir à son armée ; il ne croyoit point à la puissance de l'âme; il comptoit les baïonnettes; et, comme avant l'arrivée des armées angloises, il n'y en avoit presque point en Espagne, il n'a pas su redouter la seule puissance invincible, l'enthousiasme de tout un peuple. Les François, disoit Bonaparte, sont des machines nerveuses; et il vouloit expliquer par là le mélange d'obéissance et de mobilité qui est dans leur nature. Ce reproche est peut-être juste; mais il est pourtant vrai qu'une persévérance invincible depuis près de trente ans se trouve au fond de ces défauts, et c'est parce que Bo

naparte a ménagé l'idée dominante qu'il a régné. Les François ont cru pendant longtemps que le gouvernement impérial les préservoit des institutions de l'ancien régime qui leur sont particulièrement odieuses. Ils ont confondu long-temps aussi la cause de la révolution avec celle d'un nouveau maître. Beaucoup de gens de bonne foi se sont laissé séduire par ce motif, d'autres ont tenu le même langage, lors même qu'ils n'avoient plus la même opinion; et ce n'est que très-tard que la nation s'est désintéressée de Bonaparte, A dater de ce jour, l'abîme a été creusé sous ses pas.

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CHAPITRE XIX.

Enivrement du pouvoir; revers et abdication de Bonaparte.

Cette vieille Europe m'ennuie, disoit Napoléon avant de partir pour la Russie. En effet, il ne rencontroit plus d'obstacle à ses volontés nulle part, et l'inquiétude de son caractère avoit besoin d'un aliment nouveau. Peut-être aussi la force et la clarté de son jugement s'altérèrent-elles, quand les hommes et les choses plièrent tellement devant lui, qu'il n'eut plus besoin d'exercer sa pensée sur aucune des difficultés de la vie. Il y a dans le pouvoir sans bornes une sorte de vertige qui saisit le génie comme la sottise, et les perd également l'un et l'autre.

L'étiquette orientale que Bonaparte avoit établie dans sa cour, interceptoit les lumières que l'on peut recueillir par les communications faciles de la société. Quand il y avoit quatre cents personnes dans son salon, un aveugle auroit pu s'y croire seul, tant le silence qu'on observoit étoit profond. Les maréchaux de France, au milieu des fatigues de la guerre, au moment de la crise d'une bataille, entroient dans la

tente de l'empereur pour lui demander ses ordres, et il ne leur étoit pas permis de s'y asseoir. Sa famille ne souffroit pas moins que les étrangers de son despotisme et de sa hauteur. Lucien a mieux aimé vivre prisonnier en Angleterre que régner sous les ordres de son frère. Louis Bonaparte, dont le caractère est généralement estimé, se vit contraint par sa probité même, à renoncer à la couronne de Hollande; et, le croiroit-on? quand il causoit avec son frère pendant deux heures tête à tête, forcé par sa mauvaise santé de s'appuyer péniblement contre la muraille, Napoléon ne lui offroit pas une chaise : il demeuroit lui-même debout, de crainte que quelqu'un n'eût l'idée de se familiariser assez avec lui pour s'asseoir en sa présence.

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La peur qu'il causoit dans les derniers temps étoit telle, que personne ne lui adressoit le premier la parole sur rien. Quelquefois il s'entretenoit avec la plus grande simplicité au milieu de sa cour, et dans son conseil d'état. II souffroit la contradiction, il y encourageoit même, quand il s'agissoit de questions administratives ou judiciaires sans relation avec son pouvoir. Il falloit voir alors l'attendrissement de ceux auxquels il avoit rendu pour un moment la respiration libre; mais, quand le maître re

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