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même, et ce n'est pas sous les ruines de la patrie que son oppresseur eût été accablé.

Le général Mallet étoit un ami de la liberté, il attaquoit Bonaparte sur ce terrain. Or Bonaparte savoit qu'il n'en existoit pas de plus dangereux pour lui; aussi ne parloit-il en revenant à Paris que de l'idéologie. Il avoit pris en horreur ce mot très-innocent, parce qu'il signifie la théorie de la pensée. Toutefois il étoit singulier de ne redouter que ce qu'il appeloit les idéologues, quand l'Europe entière s'armoit contre lui. Ce seroit beau si, en conséquence de cette crainte, il eût recherché par-dessus tout l'estime des plilosophes mais il détestoit tout individu capable d'une opinion indépendante. Sous le rapport même de la politique, il a trop cru qu'on ne gouvernoit les hommes que par leur intérêt ; cette vieille maxime, quelque commune qu'elle soit, est souvent fausse. La plupart des hommes que Bonaparte a comblés de places et d'argent, ont déserté sa cause; et ses soldats, attachés à lui par ses victoires, ne l'ont point abandonné. Il se moquoit de l'enthousiasme, et cependant c'est l'enthousiasme, ou du moins le fanatisme militaire qui l'a soutenu. La frénésie des combats, qui dans ses excès même a de la grandeur, a seule fait la force de Bonaparte.

Les nations ne peuvent avoir tort: jamais un principe pervers n'agit long-temps sur la masse ; les hommes ne sont mauvais qu'un à un.

Bonaparte fit, ou plutôt la nation fit pour lui un miracle. Malgré ses pertes immenses en Russie, elle créa, en moins de trois mois, une nouvelle armée qui put marcher en Allemagne et y gagner encore des batailles. C'est alors que le démon de l'orgueil et de la folie se saisit de Bonaparte, d'une façon telle que le raisonnement fondé sur son propre intérêt ne peut plus expliquer les motifs de sa conduite : c'est à Dresde qu'il a méconnu la dernière apparition de son génie tutélaire.

Les Allemands, depuis long-temps indignés, se soulevèrent enfin contre les François qui occupoient leur pays; la fierté nationale, cette grande force de l'humanité, reparut parmi les fils des Germains. Bonaparte apprit alors ce qu'il advient des alliés qu'on a contraints par la force, et combien tout ce qui n'est pas volontaire, se détruit au premier revers. Les souverains de l'Allemagne se battirent avec l'intrépidité des simples soldats, et l'on crut voir dans les Prussiens et dans leur roi guerrier, le souvenir de l'insulte personnelle, que

Bonaparte avoit fait subir quelques années auparavant à leur belle et vertueuse reine.

La délivrance de l'Allemagne avoit été depuis long-temps l'objet des désirs de l'empereur de Russie. Lorsque les François furent repoussés de son pays, il se dévoua à cette cause, non-seulement comme souverain, mais comme général; et plusieurs fois il exposa sa vie, non en monarque garanti par ses courtisans, mais en soldat intrépide. La Hollande accueillit ses libérateurs, et rappela cette maison d'Orange, dont les princes sont maintenant, comme jadis, les défenseurs de l'indépendance et les magistrats de la liberté. Quelque influence qu'aient eue aussi sur cette époque les victoires des Anglois en Espagne, nous parlerons ailleurs de lord Wellington; car il faut s'arrêter à ce nom, on ne peut le prononcer en passant.

Bonaparte revint à Paris, et dans ce moment encore la France pouvoit être sauvée. Cinq membres du corps législatif, Gallois, Raynouard, Flaugergues, Maine de Biran et Laîné, demandèrent la paix au péril de leur vie ; chacun d'eux pourroit être désigné par un mérite particulier; et le dernier que j'ai nommé, Laîné, perpétue chaque jour, par ses talens et sa conduite, le souvenir d'une action qui suffiroit pour

honorer le caractère d'un homme. Si le sénat avoit secondé les cinq du corps législatif, si les généraux avoient appuyé le sénat, la France auroit disposé de son sort, et, quelque parti qu'elle eût pris, elle fût restée France. Mais quinze années de tyrannie dénaturent toutes les idées altèrent tous les sentimens ; les mêmes hommes qui exposeroient noblement leur vie à la guerre, ne savent pas que le même honneur et le même courage commandent dans la carrière civile la résistance à l'ennemi de tous, le despotisme.

Bonaparte répondit à la députation du corps législatif avec une fureur concentrée ; il parla mal, mais son orgueil se fit jour à travers le langage embrouillé dont il se servit. Il dit que la France avoit plus besoin de lui que lui d'elle, oubliant que c'étoit lui qui l'avoit réduite à cet état. Il dit qu'un trône n'étoit qu'un morceau de bois sur lequel on étendoit un tapis, et que tout dépendoit de celui qui l'occupoit; enfin il parut toujours enivré de lui-même. Toutefois, une anecdote singulière feroit croire qu'il étoit atteint déjà par l'engourdissement qui s'est montré dans son caractère pendant la dernière crise de sa vie politique. Un homme tout-à-fait digne de foi m'a dit que causant seul avec lui, la veille de son

départ pour l'armée au mois de janvier 1814, quand les alliés étoient déjà entrés en France, Bonaparte avoua, dans cet entretien secret, qu'il n'avoit pas de moyen de résister; son interlocuteur discuta la question; Bonaparte lui en présenta le mauvais côté dans tout son jour, et puis, chose inouïe, il s'endormoit en parlant sur un tel sujet, sans qu'aucune fatigue précédente expliquât cette bizarre apathie. Il n'en a pas moins déployé depuis une extrême activité dans sa campagne de 1814; il s'est laissé sans doute reprendre aussi par une confiance présomptueuse; d'un autre côté l'existence physique, à force de jouissances et de facilités, s'étoit emparée de cet homme autrefois si dominé par sa pensée. Il étoit, pour ainsi dire, épaissi d'âme comme de corps; son génie ne perçoit plus que par momens cette enveloppe d'égoïsme qu'une longue habitude d'être compté pour tout lui avoit donnée. Il a succombé sous le poids de la prospérité avant d'être renversé l'infortune.

par

On prétend qu'il n'a pas voulu céder les conquêtes qui avoient étéites par la république, et qu'il n'a pu se résoudre à ce que la France fût affoiblie sous son règne. Si cette considération l'a déterminé à refuser la paix qui lui fut

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