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Sterne dans l'histoire de ces hypertrophies humaines ; il pose le germe, l'alimente par degrés, il fait ramper alentour les filaments propagateurs, il montre les petites veines et les artérioles microscopiques qui s'abouchent dans son intérieur, il compte les palpitations du sang qui les traverse, il explique leurs changements de couleur et leurs augmentations de volume. L'observation psychologique atteint ici l'un de ses développements extrêmes. Il faut un art bien avancé pour décrire, par delà la régularité, l'exception ou la dégénérescence, et le roman anglais se complète ici en ajoutant à la peinture des formes la peinture des déformations.

·VI

Le moment approche où les mœurs épurées vont, en l'épurant, lui imprimer son caractère final. Des deux grandes tendances qui se sont manifestées par lui, la brutalité native et la réflexion intense, l'une a fini par vaincre l'autre la littérature, devenue sévère, chasse de la fiction les grossièretés de Smollett et les indécences de Sterne, et le roman tout moral, avant d'arriver dans les mains presque prudes de miss Burney, passe dans les honnêtes mains de Goldsmith. Son Ministre de Wakefield est « une idylle « en prose,» un peu gâtée par des phrases trop bien écrites, mais au fond bourgeoise comme un tableau flamand. Regardez dans Terburg ou Miéris

une femme qui fait son marché, un bourgmestre qui vide son long verre de bière; les figures sont vulgaires, les naïvetés comiques, la marmite est à la place d'honneur; pourtant ces bonnes gens sont si paisibles, si contents de leur petit bonheur régulier, qu'on leur porte envie. L'impression que laisse le livre de Goldsmith est à peu près celle-là. L'excellent docteur Primrose est un ecclésiastique de campagne dont toutes les aventures pendant longtemps consistent « à passer du lit bleu au lit brun. » Il a des cousins au quarantième degré qui viennent manger son dîner et lui emprunter ses bottes. Sa femme, qui a toute l'éducation du temps, est parfaite cuisinière, sait presque lire, excelle dans les conserves, et conte à table l'histoire et les mérites de chaque plat. Ses filles aspirent à l'élégance et confectionnent des eaux de toilette dans la poêle à frire. Son fils Moïse se fait duper à la foire, et vend le poulain moyennant un assortiment de lunettes vertes. Luimême Primrose, compose des traités que personne n'achète contre les secondes noces des ecclésiastiques, écrit d'avance dans l'épitaphe de sa femme qu'elle fut la seule femme du docteur Primrose, et, en manière d'encouragement, encadre sur sa cheminée ce morceau d'éloquence. Cependant le ménage va son petit train; les filles et la mère régentent un peu le père de famille; il se laisse faire en bon homme, lâche tout au plus de loin en loin quelque innocente raillerie, s'arrange dans sa nouvelle ferme avec ses deux chevaux, Blackberry à l'œil vairon et l'autre

qui n'a pas de queue. « Rien ne pouvait surpas<< ser la propreté de mes petits enclos; les ormes et <«<les haies étaient d'une beauté inexprimable.... x Notre maison « était située au pied d'une col

line en pente, avec un beau taillis qui l'abritait « par derrière et une rivière babillarde par de<< vant. D'un côté une prairie et de l'autre une

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pelouse.... Elle n'était que d'un étage et cou<< verte de chaume, ce qui lui donnait un air « très-gentil. Les murs en dedans étaient soi<< gneusement blanchis à la chaux'.... Quoique la <«< même chambre nous servît de parloir et de cui<«<sine, cela ne faisait que la rendre plus chaude.

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D'ailleurs, comme elle était tenue avec une ex« trême propreté, les plats, les assiettes, les cuivres << étant bien nettoyés et tous déposés en rangées << brillantes sur les rayons, l'œil était agréablement << flatté et n'avait pas besoin d'un plus riche ameu«blement. » Ils fanent en famille, vont s'asseoir sous le chèvrefeuille pour boire une bouteille de vin

1. Nothing could exceed the neatness of my little enclosures, the elms and edge-rows appearing with inexpressible beauty.... Our little habitation was situated at the foot of a sloping hill, sheltered with a beautiful underwood behind, and an prattling river before; on one side a meadow, on the other a green... (It) consisted but of one story and was covered with thatch, gave it an air of great snugness....

which

The walls on the inside were nicely white-washed. Though the same room served us for parlour and kitchen, that only made it the warmer. Besides as it was kept with the utmost neatness, the dishes, plates and coppers being well scoured and all disposed in bright rows on the shelves, the eye was agreably relieved, and did not want richer furniture.

de groseilles; les deux filles chantent ou les petits garçons lisent, et les parents s'amusent à regarder le champ qui descend sous leurs pieds plein de clochettes bleues et de centaurées. « Encore une bouteille, Déborah, ma chère, et toi, Moïse, une bonne «< chanson. Quels remercîments ne devons-nous point au ciel pour nous avoir accordé ainsi la santé, la tranquillité, l'abondance! Je me sens plus heureux maintenant que le plus grand mo« narque de la terre. Il n'a pas un coin du feu pareil, ni autour de lui des visages si gais1.

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Voilà le bonheur moral. Le malheur ici ne l'est pas moins. Le pauvre ministre a perdu sa fortune, et, transporté dans une petite cure, il est devenu fermier. Le squire du voisinage séduit et enlève sa fille aînée; le feu prend à sa maison, il a le bras brûlé jusqu'à l'épaule en sauvant ses deux petits enfants. Il est mis en prison, pour dettes, parmi des brutes et des coquins qui jurent et blasphèment. Dans un mauvais air, sur la paille, sentant que son mal augmente, prévoyant que sa famille sera bientôt sans pain, apprenant que sa fille meurt, « son cœur « se soutient pourtant, » il reste prêtre et chef de famille, prescrit à chacun des siens son emploi, encourage, console, pourvoit, ordonne, prêche les

1. But let us have one bottle more, Deborah, my life; and Moses, give us a good song. What thanks do we not owe to heaven for thus bestowing tranquillity, health, and competence? I think myself happier now than the greatest monarch upon earth. He has no such fire-side, nor such pleasant faces about it.

prisonniers, supporte leurs railleries grossières, les réforme, établit dans la prison le travail utile et la règle volontaire. Ce n'est pas la dureté ni le tempérament morose qui l'affermit; il n'y a pas d'âme plus paternelle, plus sociable, plus humaine, plus ouverte aux émotions douces et aux tendresses intimes. Ce n'est point l'orgueil ni la haine concentrée qui le roidit. « Je n'ai point de ressentiment à présent, « dit-il; quoiqu'il m'ait pris ce que je tenais plus <«< cher que toutes les richesses, quoiqu'il ait déchiré «mon cœur (car je suis malade, très-malade, presque jusqu'à défaillir), pourtant cela ne m'inspirera jamais un désir de vengeance.... Si ma soumis<«<sion peut lui faire plaisir, qu'il sache que si je lui << ai fait quelque injure, j'en suis fâché.... Comme «< il a été autrefois mon paroissien, j'espère un jour

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pouvoir présenter son âme purifiée au tribunal « éternel'. » Rien ne sert; le misérable repousse hautainement cette prière si noble, par surcroît fait enlever la seconde fille et jeter le fils en prison sous une fausse accusation de meurtre. A ce moment-là, toutes les affections du père sont blessées, toutes

1. I have no resentment now, and though he has taken from me what I held dearer than all his treasures, though he has wrung my heart (for I am sick almost to fainting, very sick, my fellow-prisoner), yet that shall never inspire me with vengeance... If this submission can do him any pleasure, let him know that if I have done him any injury, I am sorry for it.... I should detest my own heart, if I saw either pride or resentment lurking there. On the contrary, as my oppressor has been once my parishioner, I hope one day to present him up an unpolluted soul at the eternal tribunal.

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