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balandre, avec environ douze cents hommes de débarquement. Il arriva le 6 août 1710 en vue de Rio-Janeiro, mais n'osa pas franchir la passe, et commit la faute de laisser aux Portugais le temps de se préparer à la défense. Ce ne fut que le 17 août que Duclerc débarqua avec une colonne de neuf cents hommes à la Tojuca, rive déserte près de Guaratuba, à quatre lieues de Rio-Janeiro. Duclerc prit ensuite sa route à travers des montagnes boisées, et, guidé par deux nègres, il arriva, après une marche pénible de quatre jours, au Novo Engenho dos Padres da Companhia (Nouveau Moulin à sucre des Jésuites), situé à une lieue de Rio-Janeiro. Le gouverneur de cette ville, don Francisco de Castro de Moraès, avait été averti de ce débarquement. Le 7 septembre Duclerc commença la canonnade, qui dura deux jours, sans faire beaucoup de mal aux assiégés. Dans la nuit du 18, le gouverneur fit sortir ses troupes, au nombre de 3,000 soldats réguliers portugais, de 5,000 mulâtres ou noirs, et de 600 archers indiens, et prit une forte position au Campo de N. S. de Rosario. Malgré leur infériorité numérique, les Français n'hésitèrent pas à attaquer, et, après une action très-vive, ils mirent leurs ennemis en déroute. Duclerc, poursuivant son succès, pénétra dans la ville; mais, arrivé à la place d'armes, il fut assailli par un feu meurtrier partant des maisons environnantes. Il se retrancha alors dans les bâtiments de la douane, où, après avoir perdu plus de la moitié de son monde, il capitula. Don Francisco de Castro s'était engagé à faire passer les Français en Europe; mais il n'en fit rien, et viola la capitulation d'une manière odieuse. Duclerc fut assassiné dans sa maison, pendant la nuit du 18 mars 1711, et la plus grande partie de ses soldats moururent de faim et de misère dans les prisons brésiliennes.

Alfred DE LACAZE.

José de Souza-Azevedo Pizarro e Araujo, Memorias historias do Rio de Janeiro, I, chap. 11, 38 à 45. — Ferdinand Denis, le Brésil, dans l'Univers pittoresque, 96. * DUCLERC (Charles Théodore-Eugène), publiciste et administrateur français, né à Bagnères de Bigorre (Hautes-Pyrénées), le 9 novembre 1812. Il termina à Paris les études qu'il avait commencées à Dax. De 1836 à 1838, il collabora au journal Le Bon Sens et à la Revue du Progrès, prit ensuite part à la rédaction d'un Dictionnaire politique (Paris, 1842), et traita pendant six ans au National les questions d'économie politique, de finances, etc. Dans l'intervalle, il avait publié une brochure sur une grave question de droit public : De la Régence (Paris, chez Pagnerre, éd.). En 1846 M. Duclerc quitta Le National pour aller vivre dans la retraite. La révolution de 1848 l'en fit sortir : dès le 25 février 1848, M. Eugène Duclerc fut nommé adjoint au maire de Paris. En cette qualité, il eut à s'occuper de l'organisation municipale, étudia et fit préparer, sur le mo

dèle de la police de Londres, différents projets appliqués depuis à la police des rues de Paris. Le 6 mars il devint sous-secrétaire d'État au ministère des finances. Dans ce poste, assez difficile dans ces temps de troubles, il s'opposa à la création du papier-monnaie, qu'on réclamait pour ainsi dire de toutes parts. Le 4 mai eut lieu la réunion de l'Assemblée constituante. M. Duclerc y fut envoyé comme représentant des Landes, ét presque aussitôt (le 10 mai) il fut appelé à prendre le portefeuille des finances, que rendait disponible la retraite de M. Garnier Pagès, récemment élu membre de la commission exécutive. Ce fut en partie à son initiative que l'Assemblée constituante dut d'être délivrée de l'émeute du 15 mai. Aux journées de juin, qu'il avait tâché de prévenir, M. Duclerc prodigna aussi ses efforts et hasarda sa vie pour comprimer la révolte; mais il s'opposa avec non moins de vigueur à la mise en état de siége, à la transportation sans jugement, etc.; enfin, il protesta contre ces mesures en se retirant du pouvoir. Quelques mois après, la Constituante prononçait elle-même sa dissolution; M. Duclerc rentra dès lors dans la vie privée, et reprit les études et les travaux de sa jeunesse.

Jules DE P. Moniteur universel, années 1848 et 1849. Biographie des 900 représentants à la Constituante.

DUCLERCQ ( Jacques), chroniqueur français, né en 1420, mort après 1467. Il était fils de Jacques Duclercq, licencié en décret, conseiller et avocat du duc de Bourgogne. Jacques premier du nom avait épousé, en 1409, une jeune fille de Compiègne, nommée Jeanne de Camelin. Il était attaché au duc d'Orléans; il le fut depuis à l'adversaire de ce prince, Jean sans Peur, duc de Bourgogne. Le même Jacques mourut en la ville de Lille, en 1466, à l'âge de quatrevingt-neuf ans. Jacques Duclercq le fils, écuyer, seigneur de Beauvoir en Ternois, se maria à son tour dans la ville de Lille, qu'habitait son père. Il y épousa, en 1446, une jeune fille nomInée Jeanne, dont le père était écuyer et se nommait Balduin de la Lacherie. D'un autré côté, il était allié aux Boucher de Compiègne et à plusieurs familles qui fournirent à la cause des Armagnacs et à celle de Charles VII des écrivains, des guerriers et autres serviteurs de diverses conditions. Ces détails sont importants, en ce qu'ils font connaître quelles furent les circonstances et les influences personnelles au milieu desquelles Jacques Duclercq se trouva pour composer ses mémoires. Il était âgé de vingt-huit ans lorsqu'il commença de mettre par écrit les événements dont il fut le contemporain. Il habitait alors sa maison dite de la Monnaie, dans la ville d'Arras, où il paraît avoir fixé sa demeure pendant le reste de sa carrière. La chronique de Jacques Duclerq s'étend depuis l'an 1448 jusqu'à la mort de Philippe le Bon, duc de Bourgogne (juillet 1467). Cet ouvrage est divisé en cinq livres. Le

premier raconte « comment le roy de France Charles, septième de ce nom, conquesta toute la Normandie et le pays de Guyenne et de Bourdelois (1448-1451) ». Le deuxième livre contient <<< tout au long les guerres qui furent entre Philippe, duc de Bourgoingne, comte de Flandre, et entre ceulx de Gand, qui durèrent environ deux ans (1451-1453) ». Dans le livre III « l'auteur parle comment le roy de France, la deuxiesme fois, reconquesta le Bourdelois, et de la conqueste de Constantinople par le Turc; de la sentence et prinse du duc d'Alençon et aultres choses quy advinrent jusques en l'an 1459 ». Au quatrième livre il est traité « des grandes occisions quy fu rent en Angleterre; comment aussy plusieurs en la ville d'Arras furent prins et aulcuns ards (brûlés), comme vauldois et sorciers; de la mort du roy de France et du couronnement de son fils, daulphin de Vienne » (Louis XI, 14591461). Enfin, le cinquième et dernier livre poursuit le récit des principaux événements dont la France, l'Angleterre et les États du duc de Bourgogne furent le théâtre, jusqu'à l'avénement de Charles le Téméraire, en 1467. La chronique de Jacques Duclercq présente au point de vue politique un caractère neutre ou mixte, comme les alliances personnelles dans lesquelles il était luimême engagé. Très-vraisemblablement, et comme on en peut juger par les détails qui précèdent, elle n'offre qu'une compilation écrite à poste fixe, et non un récit de visu. On n'y retrouve pas en effet le style ému et coloré qui, même à part le talent, distingue les relations, évidemment originales, de Froissart, de Jean Chartier et de Philippe de Commines. Jacques Duclercq a réuni aux données qui lui étaient fournies par les principales chroniques contemporaines le récit d'un nombre assez considérable d'épisodes ou d'événements qui se passèrent à la portée de ses relations et que l'on ne retrouve point ailleurs. La manière dont il présente les faits appartient à ce genre d'impartialité que l'on pourrait souvent qualifier d'insensibilité égoïste. Ce genre offre après tout les avantages de l'impartialité. Il existe à Arras et à Bruxelles divers manuscrits de cette chronique. La première édition complète des mémoires de Jacques Duclercq a été donnée au public par le baron de Reiffenberg; 1823, Bruxelles, 4 volumes in-8°. La dernière est celle de M. Buchon, imprimée dans le Panthéon littéraire. A. V. de V.

Memoires de Jacques Duclerq. DUCLOS (Antoine-Jean), graveur français, né à Paris, en 1742. Élève d'Augustin de SaintAubin, il réussit supérieurement à graver des vignettes, d'après Moreau et autres, pour l'édition de J.-J. Rousseau. Il a gravé aussi Le Bal et Le Concert, d'après Saint-Aubin.

Supplement au Dictionnaire des Graveurs de Basan. DUCLO (Gaston). Voy. DULCO. DUCLOS (Charles PINEAU), célèbre littérateur français, né à Dinan (Bretagne), le 12 février

1704, mort à Paris, le 26 mars 1772. Il appartenait, comme il le dit lui-même, à une famille honnête et ancienne dans le commerce (1). Il n'avait que deux ans et demi quand il perdit son père; sa mère eut le bon sens de refuser les offres du vieux marquis de Boisgelin, qui voulait l'épouser, et se consacra tout entière aux intérêts de ses enfants et aux opérations d'un commerce qu'elle dirigeait presque complétement du vivant même de son mari. Elle se trouvait, d'ailleurs, à la tête de biens considérables, que lui enleva en partie, plus tard, le système de Law. Duclos fit ses premières études à Rennes. On avait songé d'abord à faire de lui un com merçant; mais sa vivacité et une mémoire prodigieuse engagèrent sa mère à lui faire donner des leçons de latin, et la décida à l'envoyer achever ses études à Paris, détermination grave à cette époque : << Horace dit en parlant du soin que son père prit de l'éducation de son fils: Ausus Romam portare docendum. Ma mère eut la même audace; car je suis le premier bourgeois de Dinan, et jusque ici le seul, élevé à Paris dès l'enfance; quoiqu'il y en eût alors quelquesuns à qui leur fortune le permettait. Une certaine noblesse du canton trouvait presque insolent qu'une simple commerçante osát, pour me servir du terme d'Horace, donner à son fils une forme d'éducation qui ne convenait qu'à des gentilshommes, dussent-ils en profiter ou non. On m'envoya donc à Paris en 1713, par le coche, comme un paquet à remettre à son adresse (2). Un gentilhomme du prince de Conti, auquel on l'avait adressé, vint le prendre et le conduire rue de Charonne, à l'Académie du marquis de Dangeau, établissement fondé en faveur de vingt jeunes gentilshommes chevaliers de l'Ordre de Saint-Lazare, mais où l'on recevait des pensionnaires. Il apprit là, avec la science du blason, qui était en première ligne, à connaître sa langue à fond; l'abbé de Dangeau, frère du marquis, était un fort grammairien, et dirigeait surtout les études sur ce point important. Duclos emporta de l'Académie de la rue de Charonne, où il demeura cinq ans, cet amour des recherches grammaticales auquel on doit des travaux remarquables par leur érudition et des vues nouvelles. Il entra ensuite au collège d'Harcourt, où il fit sa seconde et sa rhétorique. Ses classes finies, sa mère le rappela en Bretagne pour décider du choix d'un état. Il déclara qu'il voulait embrasser la carrière du barreau, et repartit pour Paris avec une modique pension, appliquant, «< dit-il, au maitre d'armes ce qui était destiné à l'agrégé ». Il ne prit en effet que sa première inscription, et se précipita dans

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(1) La Biographie Michaud le fait descendre d'un fabricant de chapeaux; M. Noual de La Houssaye, parent de Duclos, et qui a écrit son Éloge, dit que son père avait la vente exclusive des fers provenant des forges de Paimpont, dont M. de La Chasse, était propriétaire.

(2) Mémoires sur la Vie de Duclos, écrits par luimême,

une vie de désœuvrement et même de désordres, qui fort heureusement, en agissant sur ses mœurs, n'eut aucune influence sur son caractère. Un jour, traversant le pont Saint-Michel avec quelques étourdis comme lui, il tira l'épée contre des archers qui menaient en prison un homme appréhendé pour dettes. Comme c'est assez l'ordinaire, la populace prit parti pour eux contre les archers, en sorte que le prisonnier et ses libérateurs purent se sauver. Mais cette équipée, qui demeura impunie, eût pu avoir les conséquences les plus graves pour un écervelé sans protecteurs et sans appuis. Sa mère, qui eut vent de ces folies, le fit revenir à Dinan en 1725. Il fut absent de Paris à peu près un an. C'est durant cet exil qu'il fit connaissance, à Rennes, où il avait une sœur, avec La Chalotais, alors avocat général.

De retour dans la capitale, Duclos reprit sa vie dissipée. Les gens de lettres, à cette époque, fréquentaient beaucoup les cafés. Les plus célèbres de ces sortes d'académies étaient le café Procope et le café Gradot. Les habitués du premier étaient Piron, Desfontaines, Boindin, l'abbé Terrasson, Du Marsais, La Faye et Fréret; La Motte, Saurin, Maupertuis, Melon se réunissaient plus ordinairement dans le second. Duclos, attiré par un secret instinct, se glissait dans ces cénacles bruyants, où il ne tarda pas à se faire remarquer par son éloquence naturelle, son originalité et une certaine brusquerie, qui ne déplaisait pas. Avant son départ de Paris, il s'était rencontré avec Crébillon le tragique et Piron; introduit dans la société du comte de Caylus, il eut part, avec Crébillon fils, Pont-de-Veyle, Collé, le comte de Tessin, Moncrif, l'abbé de Voisenon, le comte de Maurepas, Surgères et d'autres encore, aux spirituelles facéties qui ont été publiées sous le titre d'Etrennes de la Saint-Jean; Recueil de ces Messieurs; Les Manteaux; Les Écosseuses, ou les œufs de Pâques. Le premier ouvrage qui attira l'attention sur lui fut L'Histoire de la baronne de Luz, anecdote du règne de Henri IV; 1741. Les Confessions du comte de ***, publiées un an après, eurent un succès prodigieux. C'est moins un roman qu'une série de tableaux et de portraits où l'on crut reconnaître les personnages, œuvre remarquable surtout par des aperçus ingénieux et des mœurs finement analysées, en moraliste moins pourtant qu'en satirique. Il donna à l'Opéra, en 1743, pour avoir ses entrées, Les Caractères de la Folie, ballet en trois actes, dont Bury fit la musique; cette pièce ne réussit que médiocrement, et ne méritait guère plus que l'accueil qu'il obtint. Le comte de Tessin avait commandé au peintre Boucher dix dessins pour un petit conte intitulé: Jaunitlane, ou l'infante jaune, dont il était l'auteur. Rappelé brusquement. en Suède, il ne put donner suite à cette fantaisie, et les planches restèrent sans emploi. Boucher eut l'idée de les montrer à Duclos, à Caylus et à Voisenon; ceux

ci convinrent aussitôt de faire des contes sur ces dessins, qui se prétaient à tout, parce qu'ils ne disaient à peu près rien. Tous trois se mirent à l'œuvre; Voisenon fit même deux contes. Mais, dans cette lutte, Duclos fuf, et de beaucoup, le mieux inspiré, de l'aveu même de l'abbé, qui accuse, dans ses Anecdotes littéraires, Caylus de quelque jalousie. Acajou et Zirphile eut un succes inattendu, et accrut la réputation d'esprit de son auteur. La préface n'est pas ce qui réussit le moins auprès du public, qu'il persifle pourtant avec assez d'irrévérence. L'Histoire de Louis XI fut reçue plus froidement. On voulut y voir une ébauche rapide bien plus qu'une étude longuement et mûrement élaborée. On sait le jugement qu'en porta, trop sévèrement peut-être, le chancelier d'Aguesseau : « C'est un ouvrage écrit aujourd'hui avec l'érudition d'hier (1). » Le livre fut jugé dangereux par le pouvoir, et supprimé par un arrêt du conseil, en date du 28 mars 1745; ce qui n'empêcha pas son auteur d'être nommé, en 1750, historiographe de France. Duclos, qui s'était déjà présenté à l'Académie en 1746 et s'était vu préférer l'abbé de La Ville, fut désigné à la fin de la même année pour le fauteuil que la mort de l'abbé Mongault laissait vacant. Il était entré dès 1739 à l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, sans avoir eu de bien grands titres à cette faveur. Lors de son élection parmi les quarante, il était aux états de Bretagne comme député du tiers, ce qui le fit dispenser des visites obligées. Il fut reçu le 26 janvier 1747 à l'Académie Française, dont plus tard, par désistement de Mirabaud, il devint le secrétaire perpétuel, vers 1755. Il remplaça en outre, comme historiographe de France, en 1750, Voltaire, qui renonçait à ce titre en allant à Berlin. La même année parut celui des ouvrages de Duclos qui fit le plus de bruit. Les Consi dérations sur les Mœurs, prônées à l'excès, ce nous semble, rencontrèrent des critiques de plus d'une sorte, les unes sérieuses, les autres plaisantes (2). Le livre commence par un " J'ai vécu, » qui offusqua. Une dame de la cour l interrompit, et dit : « Où ? dans un café (3) ? » « Son J'ai vécu, raconte Grimm, fut trouvé très-impertinent dans la bouche d'un homme qui avait passé sa vie dans les cafés à disputer avec une voix de gourdin et à ferrailler, comme c'était alors

(1) Il y a une variante à ce mot « Ah, mon ami' aurait dit le chancelier à Duclos, qu'on voit bien que tu ne sais tout cela que d'hier au soir. »

(2)« Une édition, dit Barbier, sans indication de lieu, 1751, in-12, en gros caractères, doit être préférée à celle qui porte le nom de Prault, 1751, et qui renferme une épître dédicatoire au roi. Le chapitre no 6 bis, intitulé: Des Magistrats, a été ajouté à quelques exemplaires des premières éditions des Considerations. Ce chapitre, qu'on pourrait croire de Duclos, est du marquis J.-Louis de Malteste, ancien magistrat de Dijon. Aucune des réimpressions qui ont été faites de l'ouvrage de Duclos ne contient ce chapitre. »

(3) Un des personnages de la comédie des Philosophes, de Palissot, propose de commencer un livre de morale par ces mots : J'ai vécu.

la mode. Dans ces combats à outrance, le plus fort en gueule était le plus considéré, et l'homme de lettres et le bel-esprit contractaient le ton et les habitudes des crocheteurs. Ce siècle est passé; de tous les gens célèbres fréquentant jadis les cafés, il ne reste que M. de Voltaire, à qui un génie plein de délicatesse, une politesse naturelle et l'usage du grand monde n'ont jamais permis de prendre ces mœurs grossières, et M. Duclos, le seul qui en ait transporté l'usage dans la société des honnêtes gens et dans la bonne compagnie. » Grimm peut être suspecté à bon droit d'exagération; on sait quelles relations étroites existaient entre lui et madame d'Épinay, et l'on sait aussi de quelle façon Duclos est traité dans les Mémoires de celle-ci. A en croire cette dame, Duclos serait un faux bonhomme, un faux bourru, un homme d'une familiarité fort dangereuse. Ce jugement ne s'accorde pas avec le jugement des contemporains, qui, s'ils conviennent de sa rudesse, dont il ne se dépouillait jamais, même avec les grands, sont unanimes sur sa loyauté, son honnêteté, sa droiture. Les habitants de Dinan l'avaient nommé maire de leur ville en 1744, poste de confiance, qu'il résilia en 1750, lorsque ses travaux d'historiographe et de membre des deux Académies ne lui permirent plus de le remplir utilement. Il rendit assez de services aux états de

Bretagne, et se fit assez estimer pour inspirer à cette assemblée la pensée de solliciter pour lui des lettres d'anoblissement, qui lui furent accordées. Jean-Jacques, qui l'aimait et parle de lui dans les meilleurs termes dans ses Confessions (1), le définissait un homme droit et adroit. Duclos était simple, économe, vivant de peu, médiocrement délicat en amours, s'il faut prendre à la lettre le mot de la comtesse de Rochefort: «< Pour vous, Duclos, il ne vous faut que du vin, du fromage et la première venue. »

Duclos publia en 1751 les Mémoires pour servir à l'histoire des Mœurs du dix-huitième siècle, qui semblent destinés à servir de complément aux Considérations, où la part des femmes avait été par trop négligée (2). Porté, comme nous l'avons fait observer, à l'Académie des Belles-Lettres sans titres très-réels et par l'influence de ses amis, il prouva plus tard qu'il était digne de cette faveur. On a de lui, dans la collection des Mémoires de cette Académie Mémoire sur les druides, t. XIX, p. 483; deux Mémoires sur l'origine et les révolutions de la langue celtique et française, t. XV, p. 565, et XVII, p. 171; Mémoire sur les épreuves par le duel et par les éléments, communément appelées jugements

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(1) Rousseau lui dédia son Devin du Village, la seule ceuvre qu'il ait dédiée à quelqu'un, si l'on en excepte pourtant sa dédicace à la république de Genève de son Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes.

(2) Dans les Considérations, on remarque que le mot femme ne se trouva employé qu'une seule fois, ch. v, sur la réputation, la célébrité et la renommee.

de Dieu par nos anciens Français; t. XV, p. 617; Mémoire sur les jeux scéniques des Romains, et sur ceux qui ont précédé en France la naissance des poëmes dramatiques; t. XVII, p. 206; Mémoire sur l'art de partager l'action théâtrale, et sur celui de noter la déclamation, qu'on prétend avoir été en usage chez les Romains; t. XXI. En 1754 il fit paraître une nouvelle édition de la Grammaire générale et raisonnée de PortRoyal, qu'il accompagna de remarques annonçant une connaissance sérieuse et profonde de la matière. C'est dans cet ouvrage qu'il émet tout un système d'orthographe, très-logique sans doute, mais qui avait l'inconvénient d'être impraticable. La quatrième édition du Dictionnaire de l'Académie Française lui doit beaucoup. Il a fait en outre une continuation trop restreinte de l'Histoire de l'Académie de Pélisson, reprise et menée jusqu'à la fin du dix-septième siècle par l'abbé d'Olivet. Il avait eu aussi l'idée de composer des notices sur les académiciens; de cette série en projet, il n'a donné que l'Éloge de Fontenelle. C'est enfin lui qui décida ce corps illustre à substituer l'éloge des grands hommes aux lieux communs de la morale, sujets obligés des prix d'éloquence décernés annuellement. A ces travaux divers, il faut joindre un Essai sur les ponts et chaussées, la voirie et les corvées, 1759, in-12; et des Réflexions sur la corvée des chemins, ou supplément à l'Essai sur les ponts et chaussées, la voierie et la corvée, pour ser vir de réponse à la critique de l'Ami des Hommes, 1762, in-12, tous les deux anonymes.

Nous avons dit plus haut que Duclos avait eu occasion, dans un voyage à Rennes, de se lier avec La Chalotais; son malheureux ami avait été traduit devant une commission, dont l'arrêt était dicté d'avance. Calonne, le rapporteur de la commission, celui qui fut plus tard ministre des finances, venait de publier son rapport, qu'on vendait jusque dans les Tuileries (1766). Duclos se promenait dans le jardin, quand il est abordé par un de ses amis, qui lui dit : « Le croiriezvous? ici, aux Tuileries, en plein jour, voilà cet infâme rapport qui se vend!... Comme le juge! repartit Duclos >>. Rencontrant, quelque temps après, Calonne dans une maison où il devait diner, il se lève, prend son épée et son chapeau, et dit au maître de la maison, de façon à être entendu de tous: « Vous ignoriez donc, monsieur, que je ne pouvais me trouver avec cet hommelà? » Dans l'impuissance de se contenir, il comprit, et on lui fif comprendre, que la prudence exigeait son éloignement de la capitale pour quelque temps, et il se décida à faire un voyage au delà des monts, qui nous a valu ses Considé rations sur l'Italie, publiées pour la première fois en 1791. Ce voyage est remarquable par l'originalité des vues et des aperçus; Duclos ne pouvait parcourir l'Italie en simple touriste, il la visita en penseur et en politique. Le fond de

l'esprit de Duclos était la modération et l'équité. Il n'admettait l'intolérance et le despotisme pas plus chez les philosophes que dans le parti clérical. « Les grands raisonneurs et les sous-petits raisonneurs de notre siècle, disait-il, en feront et en diront tant, qu'ils finiront par m'envoyer en confesse. »

Les Considérations sur l'Italie ne sont pas le seul livre de Duclos que ses contemporains ne connurent point; celui de ses ouvrages qui a le plus de lecteurs aujourd'hui n'a également été publié qu'en 1791. Les Mémoires secrets sur le règne de Louis XIV, la régence et le règne de Louis XV, écrits dans un esprit d'indépendance et d'investigation philosophique qui se serait longtemps encore opposé à leur publication, si la révolution n'eût fait lever l'interdit dont tant de livres étaient frappés. Duclos avait été à même d'aller aux sources, et d'être merveilleusement renseigné; les Mémoires du duc de Saint-Simon, alors manuscrits, avaient été feuilletés par lui avec fruit, et il leur fit de nombreux emprunts. «< Ces Mémoires, dit Chamfort, sont le fruit du travail de plusieurs années; c'est le tableau des événements qui se sont passés sous les yeux de Duclos, dont il a pénétré les causes, dont il a, en quelque sorte, manié les ressorts. L'auteur a vécu avec la plupart de ceux qu'il a peints; il les avait observés avec cette sagacité fine et profonde qu'il a développée dans les Considérations sur les Mours. C'était le vrai caractère de son esprit. » Les Euvres complètes de Duclos ont été recueilies pour la première fois en 1806, 10 vol. in-8°; elles sont précédées d'une notice d'Auger. Belin en a fait paraître une autre, en 3 vol. in-8°, édition compacte, faisant partie de la Collection des Prosateurs français; Paris, 1821. L'excellente notice de M. Villenave lui donne beaucoup de prix. Gustave DESNOIRESTERRES.

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Grimm, Correspondance, t. 1, IV, VII, XI, XV. - La Harpe, Correspondance, t. II, III, IV. — Fréron, Année littéraire, 1773, n° 5, lettre XV. Voisenon, Anecdotes littéraires (OEuvres complètes, t. IV). — Palissot, Memoires pour servir à l'histoire de notre littérature. OEuvres de Chamfort. Madame d'Épinay, Mémoires. - Anecdotes inédites pour faire suite aur Mémoires de madame d'Épinay précédées de l'Examen de ses Mémoires, par M. D***; 1818, in-8°. - Madame de Genlis, Mémoires, t. III, p. 107. Marmontel, Mémoires. -J.-J. Rousseau, Confessions, t. VIII, IX, XI, et la Correspondance, X.- Musset-Pathay, Mémoires sur Rousseau, t. 11, p. 66. Noual de La Houssaye, Éloge de Duclos. L'abbé de La Marche, Notice sur Duclos, dans la Nécrologie des hommes celèbres. Auger, Notice sur Duclos, Villenave, Notice, dans l'édition Belin. - Portrait de Duclos, par M. de Forcalquier-Brancas. - Son portrait, par lui-même. - Sainte-Beuve, Causeries du lundi, t. IX, p. 179-207.

DUCLOS (Jean-François), poëte français, né à Toulouse, en 1705, mort dans la même ville, le 4 juin 1752. Né dans une famille de robe, il fit avec distinction ses études au collége des Jésuites de Toulouse, et fut reçu avocat au parlement en 1732; il honora toujours par sa conduite la profession qu'il avait embrassée. Duclos

avait remporté en 1730 le prix du discours à l'Académie des Jeux Floraux; le sujet était : Le vice même est obligé de rendre hommage à la vertu. Il avait pris pour épigraphe de ce discours, qui eut beaucoup de succès, cette maxime La vertu fait des héros, le vice fait des esclaves. Nommé membre de cette Académie en 1737, il fut chargé, le 3 mai 1738, de faire l'éloge de Clémence Isaure. Grand adorateur de la poésie et partisan déclaré des règles, il disait dans ce discours : « Sans l'étude des règles, sans les connaissances acquises, l'imagination des poëtes n'enfantera que des chimères et des monstres; ils iront se briser contre tous les écueils. La lumière, l'éclat qui accompagnent leurs vers, ne serviront qu'à éclairer leur naufrage. » Il ajoutait cette remarque presque épigrammatique:

Platon ne bannit les poëtes de sa république qu'après avoir inutilement tenté de suivre Homère dans la carrière; le même orgueil a entrepris de nos jours d'arracher ou du moins d'ébranler ces bornes éternelles posées par la nature. » Dans la même année, Duclos traduisit l'Oraison de Cicéron pour le poëte Archias. Ce ne fut pas là son seul tribut académique; il présenta la traduction en vers français de cinq élégies de Tibulle; de l'Épisode d'Aristée, tiré du quatrième livre des Géorgiques; de la sixième satire du premier livre d'Horace; et une Ode sur l'Enthousiasme. En 1744 l'Académie de Montauban nomma Duclos membre correspondant, et en 1751 il devint membre de l'Académie des Inscriptions. Il présenta à cette Académie une Dissertation sur la sainte ampoule; une autre Sur les jeux floraux de l'ancienne Rome; une Vie de Mécénas, une Histoire de la Parure et des Ornements des Femmes, ainsi que d'autres opuscules remplis de recherches curieuses et de ju. dicieuses critiques. Duclos lut encore à cette Académie le Panégyrique de Louis XV, après la maladie de ce prince qui lui avait fait donnet par le peuple le titre de Louis le bien Aimé. Il avait composé après tant d'autres un Traité du Sublime, qu'il lut dans les diverses Académies dont il était membre; nous ignorons s'il a été imprimé.

Duclos avait épousé, le 3 novembre 1751, une demoiselle de Toulouse, qu'il aimait beaucoup; mais son bonheur fut de courte durée : il mourut, après sept mois de mariage. Le Conservateur, ou choix de morceaux rares et d'ouvrages curieux, en 38 vol. in-12, publié par Bruix, Turben et Le Blanc, contient plusieurs jolies pièces de vers de J.-F. Duclos. Ce recueil est très-rare. A. JADIN. Adrien Le Lioux, Mosaique du Midi. Biographie Toulousaine.

DUCLOS (Samuel COTTEREAU), médecin français, né à Paris, dans la première moitié du dixseptième siècle, mort en 1715. Il fut l'un des premiers membres de l'ancienne Académie des Sciences. Devenu médecin du roi, il abjura le

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