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Quelle étoit la disposition des esprits en Europe au moment de la convocation des états généraux.

LES lumières philosophiques, c'est-à-dire, l'appréciation des choses d'après la raison et non d'après les habitudes, avoient fait de tels progrès en Europe, que les possesseurs des priviléges, rois, nobles ou prêtres, étoient les premiers à s'excuser des avantages abusifs dont ils jouissoient. Ils vouloient bien les conserver, mais ils prétendoient à l'honneur d'y être indifférens; et les plus adroits se flattoient d'endormir assez l'opinion pour qu'elle ne leur disputât pas ce qu'ils avoient l'air de dédai

gner.

L'impératrice Catherine courtisoit Voltaire; Frédéric II étoit presque son rival en littérature; Joseph II étoit le philosophe le plus prononcé de ses états; le roi de France avoit pris deux fois, en Amérique et en Hollande, le parti des sujets contre leur prince : sa politique le conduisit à soutenir ceux qui combat

toient contre le pouvoir royal et stachoudérien. L'opinion de l'Angleterre sur tous les principes politiques étoit en harmonie avec ses institutions, et, avant la révolution de France, il y avoit certainement plus d'esprit de liberté en Angleterre qu'à présent.

M. Necker avoit donc raison, quand il disoit, dans le résultat du conseil du 27 décembre, que le bruit sourd de l'Europe invitoit le roi à consentir aux vœux de la nation. La constitution angloise qu'elle souhaitoit alors, elle la réclame encore à présent. Examinons avec impartialité quels sont les orages qui l'ont éloignée de ce port, le seul où elle puisse trouver le calme.

CHAPITRE XVI.

Ouverture des états généraux le 5 mai 1789..

Je n'oublierai jamais le moment où l'on vit passer les douze cents députés de la France, se rendant en procession à l'église pour entendre la messe, la veille de l'ouverture des états généraux. C'étoit un spectacle bien imposant et bien nouveau pour des François; tout ce qu'il y avoit d'habitans dans la ville de Versailles ou de curieux arrivés de Paris, se rassembloit pour le contempler. Cette nouvelle sorte d'autorité dans l'état, dont on ne connoissoit encore ni la nature, ni la force, étonnoit la plupart de ceux qui n'avoient pas réfléchi sur les droits des nations.

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Le haut clergé avoit perdu une partie de sa considération , parce que beaucoup de prélats ne s'étoient pas montrés assez réguliers dans leur conduite, et qu'un plus grand nombre encore n'étoient occupés que des affaires politiques. Le peuple est sévère pour les prêtres comme pour les femmes : il veut dans les uns' et dans les autres du dévouement à leurs de

voirs. La gloire militaire, qui constitue la considération de la noblesse, comme la piété celle du clergé, ne pouvoit plus apparoître que dans le passé. Une longue paix n'avoit donné à aucun des nobles qui en auroient été le plus avides, l'occasion de recommencer leurs aïeux, et c'étoient d'illustres obscurs que tous les grands seigneurs de France. La noblesse du second ordre n'avoit pas eu plus d'occasions de se distinguer, puisque la nature du gouvernement ne permettoit aux gentilshommes que la carrière des armes. Les anoblis, qu'on voyoit marcher en grand nombre dans des nobles, portoient d'assez mauvaise grâce le panache et l'épée ; et l'on se demandoit pourquoi ils se plaçoient dans le premier ordre de l'état, seulement parce qu'ils avoient obtenu de ne pas payer leur part des impôts publics; car, en effet, c'étoit à cet injuste privilége que se bornoient leurs droits politiques.

les rangs

La noblesse se trouvant déchue de sa splendeur par l'esprit de courtisan, par l'alliage des anoblis, et par une longue paix; le clergé ne possédant plus l'ascendant des lumières qu'il avoit eu dans les temps barbares; l'importance des députés du tiers état en étoit aug

mentée. Leurs habits et leurs manteaux noirs, leurs regards assurés, leur nombre imposant, attiroient l'attention sur eux : des hommes de lettres, des négocians, un grand nombre d'avocats composoient ce troisième ordre. Quelques nobles s'étoient fait nommer députés du tiers, et parmi ces nobles on remarquoit surtout le comte de Mirabeau : l'opinion qu'on avoit de son esprit étoit singulièrement augmentée par la peur que faisoit son immoralité; et cependant c'est cette immoralité même qui a diminué l'influence que ses étonnantes facultés devoient lui valoir. Il étoit difficile de ne pas le regarder long-temps, quand on l'avoit une fois aperçu : son immense chevelure le distinguoit entre tous; on eût dit que sa force en dépendoit comme celle de Samson; son visage empruntoit de l'expression de sa laideur même, et toute sa personne donnoit l'idée d'une puissance irrégulière, mais enfin d'une puissance telle qu'on se la représenteroit dans un tribun du peuple.

Aucun nom propre, excepté le sien, n'étoit encore célèbre dans les six cents députés du tiers; mais il y avoit beaucoup d'hommes honorables, et beaucoup d'hommes à craindre. L'esprit de faction commençoit à planer sur la France, et

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