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ambassadeurs de Louis, fils de Philippe-Auguste, le pape, pour soutenir la nullité de l'ajournement adressé à Jean après le meurtre d'Arthur, fit allusion à ce même privilège, qu'il dit établi soit par un traité soit par une ancienne coutume1.

Aussi, bien que l'arrêt qui, dans l'affaire des comtes de la Marche et d'Eu, déclara Jean déchu de ses fiefs paraisse avoir été conçu en termes généraux2, l'effet en fut néanmoins forcément restreint par la spécialisation même de l'ajournement3, et Philippe-Auguste continua à reconnaître au roi d'Angleterre la qualité de duc de Normandie'. C'est pourquoi, dans le traité qu'il conclut en juillet 1202 avec Arthur, il se contenta d'insérer une clause fort discrète relative à la Normandie: Arthur déclarait ne pas s'opposer à ce que Philippe gardât ce qu'il voudrait des conquêtes qu'il pourrait y faire, en même temps que celles qu'il avait déjà faites, mais sans qu'il fût le moins du monde question de la confiscation du duché.

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firmatum erat. Rex autem Philippus allegabat nequaquam justum esse ut jus suum quod ad comitatum Aquitanicum spectabat amitteret, si isdem esset dux Normannie qui et comes Aquitanie » (Raoul de Coggeshall, loc. cit., p. 136). 1. Papa respondit quod pactio potuit esse inter regem et ducem Normannie, vel antiqua consuetudo, quod dux Normannie non debet venire ad citationem regis Francie nisi in marchiam » (Roger de Wendover, dans Mathieu de Paris, Chronica majora, éd. Luard, II, p. 659).

2. « Tandem vero curia regis Francie adunata adjudicavit regem Anglie tota terra sua privandum quam hactenus de regibus Francie ipse et progenitores sui tenuerant, eo quod fere omnia servitia eisdem terris debita per longum jam tempus facere contempserant, nec domino suo fere in aliquibus obtemperare volebant» (Raoul de Coggeshall, loc. cit., p. 136).

3. En effet, puisque c'était seulement le comte de Poitou et d'Anjou qui avait été ajourné, ce ne put être que le comte de Poitou et d'Anjou qui fut condamné à perdre ses fiefs.

4. Cf. Mathieu de Paris, Chronica majora, éd. Luard, II, p. 658-659.

5. « De Normannia sic erit : quod ipse dominus noster rex Francie hoc quod acquisivit et de eo quod Deus ipsi dabit acquirere ad opus suum retinebit quantum sibi placuerit, et hominibus suis qui pro ipso terras suas amiserunt dabit id quod sibi placuerit de terra Normannie » (Teulet, Layettes du Trésor des chartes, 1, p. 236, n° 647; Delisle, Catalogue des actes de Philippe-Auguste, n° 731-732). Il est absolument impossible, ce nous semble, de voir, dans cette clause, l'abandon par Arthur de ses droits sur la Normandie. Tout au contraire, en la faisant insérer, Philippe-Auguste voulait se garantir de toute réclamation de la part d'Arthur pour le cas où celui-ci parviendrait un jour à entrer en possession du duché. Il résulte bien clairement du texte que le roi de France ne visait à ce moment qu'à des acquisitions tout à fait partielles de territoire.

On sait que, par ce même traité, Philippe-Auguste, au lieu de confisquer alors à son profit l'Anjou, le Maine et le Poitou, les inféoda à Arthur, qui, dans l'acte, prend les titres de duc d'Aquitaine et de comte d'Anjou et du Maine. Toutefois, il est possible que la confiscation ultérieure de ces trois provinces ait été simplement la conséquence indirecte de l'arrêt de 1202 en effet, la mort d'Arthur sans héritiers rendait caduque l'inféodation qui lui avait été faite et remettait à la disposition du roi de France les fiefs précédemment forfaits par Jean. Mais la Normandie, nous venons de le voir, n'était pas dans ce cas.

Si donc l'arrêt qui a servi de titre à la confiscation de la Normandie1 n'est pas l'arrêt de 1202, il faut bien que ce soit un autre, et cet autre ne peut être que celui rendu à la suite du meurtre d'Arthur.

M. Bémont, il est vrai, en nie l'existence, mais c'est ici que nous ne pouvons assez admirer sa hardiesse, car on sait à quelles solennelles et précises affirmations il vient donner un démenti.

Au parlement de Pâques 1216, Philippe-Auguste, recevant à Melun le légat du pape, qui venait l'inviter à empêcher son fils Louis de faire une descente en Angleterre, lui déclara que Jean, ayant été condamné dans sa cour pour avoir tué Arthur, avait par suite forfait son royaume2. Le lendemain, un chevalier, parlant au nom du prince Louis devant le roi, le légat et les barons, commença son discours en rappelant qu'il était de notoriété publique que Jean avait été condamné à mort par la cour du roi, au jugement de ses pairs, pour avoir tué en trahison, de ses propres mains, son neveu Arthur3.

Le légat ayant persisté à défendre à Louis, sous peine d'excommunication, de mettre ses projets à exécution, le prince envoya des ambassadeurs au pape. Le 8 mai1, jour de leur arrivée,

1. L'existence de cet arrêt est absolument indéniable: dès mars 1205, une lettre d'Innocent III nous apprend que Philippe-Auguste affirmait n'avoir conquis la Normandie que justitia preeunte, per sententiam curie sue (Rec. des hist. de France, XIX, p. 474; Potthast, no 2434).

2. Regnum forisfecit per mortem Arthuri, de quo facto damnatus fuit in curia nostra» (Roger de Wendover, loc. cit., p. 651).

3. Domine rex, res notissima est omnibus quod Johannes, dictus rex Anglie, pro Arthuri nepotis proditione, quem propriis manibus interemit, in curia vestra per judicium parium suorum ad mortem sit condemnatus » (ibid., p. 652).

4. Ibid., p. 656.

ceux-ci furent aussitôt reçus par Innocent III, avec qui ils eurent le surlendemain une longue discussion sur les droits respectifs de Jean et de Louis. Or toutes les prétentions de Louis avaient pour premier fondement la condamnation de Jean pour le meurtre d'Arthur1.

Et, qu'on ne l'oublie pas, en 1216 il y a seulement treize ans que Jean a pu être condamné. Le roi de France est le même qu'alors; certainement beaucoup des barons qui se trouvaient à sa cour à Pâques 1216, et devant qui il rappelait si catégoriquement la sentence de condamnation, avaient assisté à la cour où cette sentence avait pu être rendue et y avaient participé, si réellement elle l'avait été; enfin le condamné, Jean, est, lui aussi, toujours vivant. A entendre M. Bémont, et aussi M. Petit-Dutaillis, qui a repris la question et adopté les mêmes conclusions, on croirait vraiment que, dans la discussion de 1216, le pape est pris à l'improviste par les envoyés de Louis et qu'il leur répond ce qui lui passe par la tête, sans avoir à peu près aucun renseignement précis sur l'affaire. Tout autre, à coup sûr, est l'impression qui se dégage de la lecture du document. On y trouve, au contraire, une discussion fort serrée, où le pape se montre parfaitement renseigné, et il y a certains de ces renseignements qui n'ont guère pu lui être fournis que par le roi d'Angleterre par exemple, en première ligne, l'allusion au prétendu privilège du duc de Normandie de ne pouvoir être contraint de comparaître devant la cour du roi à Paris, grand cheval de bataille de Jean, comme on sait, et aussi l'objection tirée de ce que Philippe-Auguste, dans plusieurs traités, avait reconnu à Jean la qualité de roi d'Angleterre postérieurement à l'arrêt de condamnation. Maintenant, nous le demanderons, est-il admissible, même une seconde, que, si Philippe-Auguste et son fils avaient inventé, pour les besoins de leur cause, l'existence de cet arrêt, Jean eût pu laisser prendre créance à une pareille affirmation, alors que l'arrêt en question était la base de tout l'échafaudage juridique construit contre lui? Est-ce que son premier soin n'aurait pas été de mettre le pape, son défenseur, en garde contre un mensonge aussi formidable et aussi facile à démasquer? Or le pape admet, sans la moindre hésitation et dans les termes les

1. Pro quo facto (le meurtre d'Arthur) idem rex condemnatus fuit ad mortem in curia regis Francorum per judicium parium suorum » (ibid., p. 657). 2. Étude sur la vie et le règne de Louis VIII, p. 77-81.

plus explicites, la mise à mort d'Arthur par Jean et la réalité de la condamnation prononcée contre lui de ce chef par les barons de France; de plus, sa réponse montre que ce n'est nullement par les envoyés de Louis qu'il a appris ces faits, mais qu'il les connaît de longue main et qu'il s'est armé avec grand soin pour réfuter les conséquences que le fils du roi de France en veut maintenant tirer.

Ce n'est, du reste, pas seulement au pape que Louis rappelle cette condamnation comme un fait de la notoriété la plus publique c'est aussi aux sujets de Jean. Débarqué en Angleterre en ce même mois de mai 1216, il adresse à l'abbaye de SaintAugustin de Cantorbéry un manifeste où il la mentionne avec des détails très précis, très circonstanciés et très juridiques1.

Quelles sont donc les graves difficultés qui ont amené des érudits aussi distingués que MM. Bémont et Petit-Dutaillis à traiter de fables et de mensonges de pareilles affirmations, se produisant si peu d'années après les événements et portant sur des faits d'une si complète publicité?

De ces difficultés, les unes sont d'ordre juridique, les autres d'ordre historique.

Les règles de droit féodal et de droit criminel alléguées dans les documents en question pour justifier la conduite et les prétentions du roi de France et de son fils ont causé à nos deux confrères un très grand étonnement, à tel point qu'ils n'ont pas craint d'admettre que Philippe et Louis avaient traité Innocent III et les moines de Cantorbéry comme s'ils les avaient jugés complètement dénués de sens et d'intelligence : ils leur auraient servi des bourdes extravagantes, leur présentant comme également notoires, d'une part des faits absolument imaginaires, de l'autre de prétendues coutumes qui étaient toutes inexactes.

Nous ne saurions en aucune façon partager le sentiment de MM. Bémont et Petit-Dutaillis, ni accepter pour les conseillers de Philippe-Auguste et de son fils la leçon de droit qu'avec une parfaite sérénité ils n'ont pas hésité à leur donner. Tout au contraire, nous trouvons, dans la discussion du pape avec les envoyés de Louis, une discussion juridique conduite avec le plus grand

1. « Satis notum est quomodo de murdro Arturi nepotis sui in curia karissimi domini regis Francie, cujus ambo erant homines ligii, per pares suos citatus, et per eosdem pares tandem fuit legitime condempnatus » (Bémont, De Johanne, p. 66).

soin, parfaitement digne de la haute qualité des parties en présence et de la gravité des intérêts en cause, où chaque mot est pesé, où toutes les coutumes et tous les principes de droit, mis en avant de part et d'autre, sont de la plus rigoureuse exactitude. Non moins correct nous paraît être, sur le point qui nous occupe, l'exposé juridique de la lettre aux moines de Cantorbéry.

M. Petit-Dutaillis1 regarde comme extravagante la prétention émise par Louis que Jean, après la condamnation criminelle prononcée contre lui en qualité d'homme lige du roi de France, avait forfait, non seulement les fiefs qu'il tenait de ce prince, mais encore tous ses autres biens, « ubicunque essent aut undecunque ea haberet, » d'où Louis concluait que Jean avait aussi perdu le royaume d'Angleterre. Il s'agit cependant là d'une règle fort connue de droit féodal, d'usitate consuetudines, comme dit très exactement Louis; on n'a, pour s'en convaincre, qu'à ouvrir, par exemple, le Cours d'histoire du droit français de M. Esmein3, et on y trouvera cité un passage de Guillaume Duranti où le principe en question est exposé en termes aussi catégoriques que possible : « Eo enim ipso quod aliquis est homo meus ligius, hoc ipso est jurisdictioni mee subjectus et sum ejus judex... Et omnia bona ejus que non habet ab alio in feudum... sunt michi subjecta ratione jurisdictionis, licet illa non teneat a me in feudum. Eo enim ipso quod personam suam michi principaliter subjecit, videtur per consequens omnia bona sua subjecisse1.

Sous la forme absolue où Duranti la propose et où elle est également alléguée par les envoyés de Louis dans la discussion avec le pape3, la règle qui donne au seigneur pleine juridiction sur son vassal lige n'est pas primitive, et elle n'a été adoptée que dans des pays où, comme la France, comme le royaume de Jérusalem, la justice ordinaire s'était complètement fondue dans la

1. Op. cit., p. 80.

2. «Per quam condempnationem bona sua, ubicunque essent aut undecunque ea haberet, per usitatas consuetudines forisfecit. » Lettre aux moines de Cantorbéry (Bémont, De Johanne, p. 66).

3. 3e éd., p. 252, note 5.

4. Speculum juris, lib. iv, De feudis, § 2, no 33.

5. Consuetudo est in regno Francorum quod rex habet omnimodam jurisdictionem in homines ligios suos » (Roger de Wendover, loc. cit., p. 657).

6. Assises de Jérusalem, Jean d'Ibelin, c. 212 (éd. Beugnot, I, p. 338); cf. c. 85 (ibid., p. 133-135).

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