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probable, ajoute notre confrère, que l'exploration complète des archives du Conseil des Dix amènerait, malgré la destruction d'énormes quantités de documents anciens, la connaissance de pièces analogues à celle que je signale et se rapportant à d'autres temps et à d'autres pays. » Et il cite à l'appui de son opinion le passage d'une lettre du 30 juillet 1518 où l'ambassadeur de Venise à Rome écrit au Conseil des Dix qu'un certain Agostino del Sol offre à la Seigneurie d'empoisonner, au moment qu'elle jugera opportun, un Lusignan qui intrigue, disait-il, pour obtenir de l'empereur, ou de quelque autre puissance hostile à Venise, les moyens de lui enlever l'île de Chypre et de remonter sur le trône de ses pères : « Votre Seigneurie, dit l'ambassadeur, est assurée qu'Agostino tiendra tout ce qu'il promet » (p. 660).

Cette publication émut, comme on peut le croire, l'opinion publique en Italie et provoqua des récriminations dont les recueils scientifiques de Venise reproduisirent l'écho. C'est à ces protestations que notre confrère a voulu répondre dans son mémoire. Il n'admet pas que ce fait, qu'il s'agit de musulmans et non de chrétiens, soit une excuse ni que l'exemple d'assassinats commis ou projetés par des souverains étrangers assure à de pareils actes un bill d'immunité; loin de rien atténuer des conclusions de son premier mémoire, il y ajoute en citant plus de cent faits nouveaux, recueillis dans un livre écrit, à propos de sa publication, en un sens favorable à Venise1. On ne doit même pas s'en tenir là: « Ceux, dit-il, qu'on a signalés au delà du premier quart du xv° siècle, terme auquel s'était limité l'auteur cité, élèvent au chiffre de deux cents environ le nombre de ces décisions homicides bien constatées, devenues autant de chefs d'accusation qui ne peuvent désormais passer inaperçus (p. 206). L'empoisonnement et l'assassinat, pour appeler les choses par leur nom, ne sont donc pas des mesures si rares dans l'histoire, et dans le gouvernement de Venise, nous le constatons avec regret sans vouloir récriminer ni rien exagérer» (p. 208). Le mémoire entier est à lire et justifie cette assertion. Il serait pénible d'insister 2.

1. L'abbé Fulin, membre de l'Institut des sciences, lettres et arts de Venise, Errori vecchi e documenti nuovi, a proposito, etc. Venise, 1882.

2. Aux faits empruntés au livre de M. Fulin s'ajoutent ceux qu'a produits M. Victor Lamansky, les Secrets d'État de Venise, documents servant à éclaircir les rapports de la seigneurie avec les Grecs, les Slaves et la Porte otto

La vie du comte de Mas Latrie a été celle d'un savant, et, malgré ses nombreuses missions, elle ne prête guère à l'anecdote. Ses meilleures aventures, ses bonnes fortunes ont été de découvrir quelques belles lettres d'Henri IV ou de Richelieu, égarées dans les papiers d'archives, quelques pièces témoignant par ellesmêmes de l'emploi diplomatique de notre langue au moyen âge jusque chez les Mongols, ou bien encore dans les archives les plus secrètes de Venise, des projets d'empoisonnement adoptés couramment comme armes de guerre, et consignés au procèsverbal, par le Conseil des Dix. Après les grands ouvrages que nous avons sommairement analysés (l'Histoire de Chypre, les Traités de paix et de commerce entre les chrétiens et les Arabes de l'Afrique septentrionale au moyen âge), ces morceaux, qui enrichissent la Bibliothèque de l'École des chartes, ont bien encore leur valeur. S'ensuit-il que toute son œuvre soit là et l'a-t-on suffisamment fait connaître quand on a dressé la liste, si longue qu'elle soit, de ses articles ou de ses mémoires? Non assurément. Cette longue énumération atteste sans doute sa puissance de travail, et quand on y regarde de plus près on admire sa curiosité intelligente, sa fine critique, sa perspicacité. Mais, pas plus que ces fragments ne sont toute la science, cette sorte de recherches ne lui paraissait être l'objet principal de la vie. Homme du devoir avant tout, il plaçait plus haut son idéal. Il aspirait à une vérité qui réside dans une région plus sereine, et ses aspirations n'étaient pas stériles et vaines. Tous ses actes étaient d'accord avec ses convictions. Il n'était pas de ces savants qui se désintéressent de la société où ils vivent, et il avait pour cela de très bonnes raisons. Il avait vu grandir auprès de lui deux fils qui soutenaient dignement les traditions de sa famille et l'honneur de son nom : l'un dans les fonctions administratives de l'Université, l'autre dans la carrière des armes, arrivé le plus jeune de son grade au premier rang des officiers supérieurs. Il comptait lui-même dans l'enseignement public, aux Archives nationales, à l'Institut, des collègues, des confrères dont il s'était fait autant d'amis par la franchise et la cordialité de ses relations; et il trouvait à sa portée tant de bien à faire! Ses missions mêmes avaient servi à étendre le champ de son action. Celle de Chypre

mane. Saint-Pétersbourg, 1884. Notre confrère les examine avec la même impartialité (p. 234-259).

lui avait fait connaître l'Orient; en y relevant les traces de la prépondérance de la France dans le passé, il y avait retrouvé son influence encore florissante dans le présent; il avait constaté avec quelle persévérance, avec quel succès les ordres religieux, dans leur mission permanente, savaient l'y entretenir par tous les bons offices qu'ils rendaient au pays et notamment par leurs écoles. Aussi, bien longtemps avant de prendre part aux savants travaux de la Société de l'Orient latin, était-il entré l'un des premiers dans l'humble association des Écoles d'Orient, société qui compte un grand savant parmi ses fondateurs, Augustin Cauchy, mais qui avait modestement en vue la première éducation des enfants de ces contrées toujours chères à la France. C'est à ce titre qu'après les discours prononcés sur la tombe de notre confrère, au nom des compagnies ou des corps dont il faisait partie, par MM. Héron de Villefosse, Paul Meyer, Servois, Babelon, le R. P. Charmetant, directeur de l'Euvre des Écoles d'Orient, a voulu aussi lui rendre ce témoignage qu'il en avait été membre actif et zélé jusqu'à son dernier jour.

Jusqu'à son dernier jour (3 janvier 1897), Louis de Mas Latrie fut fidèle aux plus nobles causes qui puissent passionner l'âme : la grandeur et l'honneur de la patrie, le culte de la science et la foi du chrétien.

CHARLES NERLINGER

Depuis quelques mois, la mort a porté de rudes coups dans les rangs de notre Société de l'École des chartes, et, par une cruelle ironie, c'est parmi les jeunes qu'elle semble vouloir, de préférence, choisir ses victimes. Après Forgeot, après Spont, après Réville, voilà Nerlinger qui nous est enlevé, après quelques jours seulement de maladie, quelques mois à peine après avoir contracté une union qui semblait lui promettre encore de longues années de bonheur.

Charles Nerlinger était né à Strasbourg le 10 novembre 1863. Il a fait ses premières études au Gymnase protestant de cette ville, où, par un singulier hasard, nous avons été condisciples sur les bancs de la neuvième, en 1871, pour nous retrouver ensuite camarades de promotion à l'École des chartes après nous être complètement perdus de vue pendant quatorze ans. Ayant perdu son père de bonne heure, il vint, en 1878, s'établir à Paris avec sa mère et son frère et entra à l'École alsacienne, où il fit d'excellentes études sous la direction de son oncle, M. Braeunig. Il fut reçu à l'École des chartes en octobre 1885 et en sortit le 23 janvier 1889 avec le diplôme d'archiviste-paléographe. Ses attaches de famille le retenaient à Paris; il entra au département des imprimés de la Bibliothèque nationale vers Pâques 1889; le 18 novembre 1893, il était nommé stagiaire, et, le 28 mars 1899, peu de mois seulement avant sa mort, sous-bibliothécaire.

Alsacien de naissance et passionnément attaché à son pays d'ori gine, il a consacré presque tous ses loisirs à l'histoire de son pays natal. Alors qu'il était encore sur les bancs de l'École, il envoyait au journal l'Express de Mulhouse des articles sur plusieurs chroniques alsaciennes. Il avait pris pour sujet de thèse Pierre de Hagenbach et la domination bourguignonne en Alsace de 1469 à 1474. Ce travail, paru d'abord

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dans les Annales de l'Est, puis publié à part en 1891, est toujours resté son œuvre de prédilection; l'histoire du xv° siècle en Alsace l'attirait invinciblement, et nul doute que si la mort ne l'en eût empêché il aurait repris et développé cette étude un peu brève de façon à en faire une histoire complète de l'Alsace vers la fin du moyen âge.

Notre regretté confrère a relativement peu produit; mais ceux qui l'ont connu comme moi n'en accuseront que son désir de ne rien publier qui ne pût constituer une œuvre à peu près définitive. Il est certain que dans ses notes on doit retrouver de nombreux et précieux matériaux pour l'histoire générale et locale de l'Alsace, tant au déclin du moyen âge qu'à l'époque du premier empire et des invasions de 1814 et 1815. Les études alsatiques perdent en lui un chercheur infatigable, aussi modeste que consciencieux.

Mais ces travaux concernant le passé de sa province n'ont constitué qu'une partie de ses nombreuses occupations. Charles Nerlinger appartenait à cette nombreuse phalange d'Alsaciens qui n'ont jamais pu se faire à l'idée d'une séparation de leur pays d'avec la France. Il estimait avec raison que la France, ayant délivré l'Alsace des brigandages des hobereaux et des misères d'une guerre civile presque continuelle dont celle-ci avait eu à souffrir sous la domination allemande, avait droit à plus de reconnaissance, à plus d'amour de la part des Alsaciens qu'un empire qui, malgré ses prétentions à la monarchie universelle, était toujours resté parfaitement incapable de remplir ses devoirs de bon administrateur vis-à-vis de ses sujets d'outre-Rhin. C'est à cette préoccupation qu'a été due notamment sa collaboration au journal l'Alsacien-Lorrain, qui a duré de 1886 à 1897, puis la publication de l'Almanach d'Alsace et de Lorraine (1894) et du Noël alsacien (1895 et 1896).

Ce n'est pas seulement la perte de l'érudit et du chercheur que nous avons à déplorer, mais aussi celle de l'ami sûr et dévoué, au caractère d'une rare indépendance, mais toujours d'une entière franchise et loyauté. Tous ceux qui ont eu le bonheur d'avoir été admis dans son intimité n'oublieront pas les longues heures passées en sa compagnie dans sa studieuse retraite. C'était presque toujours l'Alsace, soit ancienne soit moderne, qui faisait les frais de la conversation, et invinciblement chacun de nous reportait sa pensée par delà les Vosges, où s'était écoulée notre

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