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pour une ouverture de cœur. Je me mis à lui parler aussi fort naïvement. Je le remerciai premièrement de toutes ses bontés, protestant de m'en souvenir éternellement. Je lui dis ensuite, qu'à la vérité je ne faisois pas mon compte de perdre sur mes pierreries, ayant fait un si long et si pénible voyage, à travers tant de risques et de dépenses, par l'ordre et pour le service d'un grand roi; mais qu'aussi je ne me flattois nullement de l'espoir de grands gains, et qu'en vérité je me contenterois qu'ils allassent à vingt-cinq pour cent. Il me prit au mot, et si vîte, que je reconnus en même-temps que je m'étois trop avancé. Il me dit que vingt-cinq pour cent étoit un gain trop raisonnable pour me le refuser; que je déclarasse donc fidèlement et sur ma foi le prix d'achat de chaque chose, et qu'on me le donneroit avec ce profit. J'eusse bien voulu reculer, appréhendant quelque tromperie; mais je ne voyois pas de lieu pour le faire. Je répondis si l'on me donnoit des assurances de me que tenir parole, je déclarerois le prix d'achat, et avec serment si on le désiroit. Le nazir me dit qu'il me connoissoit assez pour me croire sans que j'en jurasse, et que pour lui il juroit sur Aly (c'est le grand saint de la secte persane), sur l'Alcoran, sur Dieu et sur la religion, de me tenir sa parole. Le chef des orfévres

l'interrompit, en disant que j'avois tort d'exiger des sermens d'un nazir de Perse. D'autres seigneurs qui étoient présens, se récrièrent aussi là-dessus. Je répondis que je ne les exigeois nullement, que sa simple parole me suffisoit. Sur cela il me fallut déclarer au vrai le prix d'achat de chaque chose, par un nouveau mémoire. On me conseilloit de n'y être pas si exact; mais j'en rejetai la proposition.

Quand le chef des orfévres et le nazir eurent vu ce nouveau mémoire, ils se récrièrent étrangement sur une partie des articles, et me dirent que je mettois plusieurs bijoux beaucoup plus qu'ils ne valoient. Ce discours me surprit et m'échauffa. Je ne pus m'empêcher de dire que c'étoit avec grand tort qu'on révoquoit mon serment en doute, après avoir juré de me croire sur ma simple parole. Le nazir termina le différend, en disant qu'il présenteroit requête au roi pour cette affaire, et en faisant une infinité de protestations, qu'il ne tiendroit point à ses soins que je ne vendisse, mais que je songeasse à baisser le prix de mes bijoux. Je me levai en remerciant fort ce seigneur de ses bontés, et notamment d'avoir été huit heures occupé de mon affaire; ce que je comptois pour une extrême faveur. Il prit goût à ce remercîment, qui étoit exactement

véritable; car il étoit alors plus de cinq heures du soir.

Le 12, le nazir m'envoya quérir de grand matin. J'y fus vîte, croyant que c'étoit pour mes bijoux qu'il me faisoit venir; mais je fus trompé, c'étoit pour voir un diamant brut de soixante-dix carats, que le roi vouloit acheter. Il étoit égrisé, et avoit déjà toute sa forme. Le nazir me dit que le roi voulant acheter ce diamant, lui avoit ordonné de me le montrer, pour savoir s'il ne manquoit rien à l'eau et à la netteté. Je lui dis que je ne me connoissois pas assez en diamans, pour donner mon avis sur une si grande pierre; mais que mon associé étoit un fort habile connoisseur. Il le jugea de la première eau et parfaitement net. Il appartenoit au prévôt des Arméniens de Julfa, qui est le faubourg d'Ispahan, où ils habitent. Le roi l'acheta trois mille cent cinquante tomans comptant; c'est quelque cinquante mille écus. Cette pierre eût valu en Europe, cent mille écus. C'est le plus beau diamant qu'on puisse voir de ce poids.

L'après-midi je retournai chez le nazir. Il me dit qu'il n'avoit osé parler au roi de mon affaire, parce que le prix que je mettois à mes bijoux étoit excessif. Il recommença ensuite les mêmes protestations et les mêmes remontrances qu'il m'avoit faites les jours précédens. J'étois indigné

outre mesure d'un tel procédé, qui me paroissoit indigne et bas, au-delà de l'expression. Je n'en tirois pourtant nul mauvais augure, connoissant le génie du pays. Je dis au nazir, pour toute réponse, que j'étois au désespoir qu'il ne voulût croire ni ma parole, ni mon serment. Il s'emporta à ce mot, et demanda brusquement: est-ce que vous êtes prophète, pour qu'on soit d'obligation de croire votre parole? Il me prit une si forte envie de rire de cette plaisante répartie, que je ne pus m'en empêcher. Le nazir se retournant vers la compagnie, d'un air irrité, dit en me montrant de la main: Par Dieu, les Frangui sont tout-à-fait extravagans; ils prétendent que leur parole soit un oracle, comme s'ils n'étoient pas des hommes pécheurs. Je répondis sans m'effrayer, qu'effectivement nous étions des hommes; mais qu'en nos pays, comme c'étoit une friponnerie de donner de fausses paroles dans le commerce, on ne pouvoit faire un plus grand affront à un négociant que de l'en accuser.

Le 15, je fus de nouveau chez ce seigneur. Il m'avoit ordonné de venir tous les jours le voir; c'est qu'en effet il avoit tous les jours quelque chose à faire avec moi, quelques bijoux à acheter ou à vendre, pour lui et pour ses amis. Il me proposa de troquer tout ce que j'avois apporté contre des diamans ou de la soie. Je le refusai,

le

en disant qu'étant obligé de passer aux Indes, des diamans et de la soie, l'argent me sepays roit plus avantageux. J'avois besoin de beaucoup de précautions, pour me donner de garde des piéges du nazir, qui ne manquoit point chaque jour de m'en tendre quelque nouveau, Entre les diamans qu'il m'offroit, il y avoit une pierre de cinquantesix carats, dont le roi avoit fait présent à sa mère, qui en étoit dégoûtée, et la vouloit vendre. On l'estimoit quarante mille écus.

Comme on desservoit le dîner, le prévôt des Arméniens et l'interprête de la compagnie françoise vinrent trouver le nazir. Il dit au prévôt, que le roi avoit commandé de lui payer son diamant comptant, et de lui donner le calaate (khilat). On appelle ainsi les habits que le souverain donne, par honneur, aux gens à qui il en veut faire extraordinairement, et il dit à l'interprête, que le roi avoit commandé de préparer un logement pour l'envoyé de la compagnie; qu'il en pouvoit choisir un lui-même dans le quartier qu'il aimeroit le mieux, et qu'on le meubleroit de la garde-robe du roi. L'interprête répondit que l'envoyé ne souhaitoit la maison seulement, et qu'il avoit assez de quoi la meubler. Le nazir commanda en même-temps à deux de ses offciers, d'aller avec l'interprête, lui faire ouvrir toutes les maisons du roi, dans le quartier où

que

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