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CHAPITRE IV.

DE L'ENVOI DES AGENTS DIPLOMATIQUES

ET DE L'ÉTABLISSEMENT DE LEUR CARACTÈRE PUBLIC.

§ 18.

Des lettres de créance (').

L'ambassadeur, comme tout autre ministre public, se légitime, ou, en d'autres termes, établit son caractère représentatif, par des lettres de créance (2). On nomme ainsi la lettre dont son souverain le charge pour le monarque ou le représentant de l'État auprès duquel il l'accrédite. Ces lettres sont une espèce de plein-pouvoir général (3); mais, dans la pratique,

(1) Voy. T. II, chap. 1.

(2) G.-F. de MARTENS, Précis du droit des gens, §§ 202, 203 et 204; J.-L. KLUBER, Précis du droit des gens, §§ 193, 194 et 1495; G. de RAYNEVAL, Institutions du droit de la nature et des gens, Appendice, § 8.

(3) Les légats et nonces du pape sont porteurs de bulles qui leur servent à la fois de lettres de créance et de pouvoir-général (§ 43, notes). Les Chargés d'affaires n'ont de lettres de créance que pour le ministre des affaires étrangères de la cour où ils résident. - Sur les lettres de créance secondaires et éventuelles, ainsi que sur celles de secrétaire de légation, voy. C.-A. BECK, Versuch einer Staatspraxis, SS 22-24.

elles ne servent qu'à constater le caractère de l'ambassadeur, et ne l'autorisent à aucune négociation particulière. Leur forme varie selon le rang du souverain qui écrit et celui du souverain auquel elles sont adressées (1). Elles ne sont reçues qu'après qu'il en a été donné une copie textuelle, et que le protocole a été reconnu conforme aux usages établis elles sont remises (ou censées l'être) dans une audience publique ou privée, selon l'usage du pays, et le caractère officiel de celui qui en est porteur

La question de savoir si le régent du royaume, pendant la minorité du roi, a qualité pour recevoir personnellement les lettres de créance d'un ambassadeur expressément accrédité auprès de la personne royale, a été inopinément soulevée, en 1844, par l'Espagne. Le duc de la Victoire, régent du royaume, soutenait cette prétention, en s'autorisant de précédents empruntés à la régence de la reine-mère Marie-Christine; oubliant la différence que devait établir la position spéciale que faisait à la régente son titre de reine. Le

(1) Il y avait autrefois, en France, des lettres de la main, de cabinet et de chancellerie. GÉRARD DE RAYNEVAL, Institutions, T. II, p. 253-254.

(2) Tous les ministres envoyés en Turquie doivent être munis, indépendamment de la lettre de créance pour le sultan, de deux autres lettres pour le grand-visir et le reis-effendi (chef du département des affaires étrangères). La lettre pour le grand-visir est remise à ce haut dignitaire dans l'audience solennelle qui précède celle que S. H. accorde aux ministres étrangers; la lettre pour le reis-effendi lui est transmise par l'un des secrétaires ou des drogmans de la légation. La lettre pour le grand-visir n'est pas ordinairement écrite par le souverain, ni même signée par lui, mais par le ministre des affaires étrangères, ainsi que l'est toujours celle au reis-effendi.

cabinet français dut rappeler à l'Espagne, en cette occasion, que le duc d'Orléans, régent, ne recevait les lettres de créance, en présence du jeune roi Louis XV, que pour les transmettre aussitôt à ce prince : le ré– gent se conformait, en agissant ainsi, à la règle consacrée par la tradition et les usages.

Les ministres publics agissant comme mandataires du gouvernement qui les envoie, il est naturel que leurs lettres de créance et leurs pleins-pouvoirs expirent, soit par suite de changements essentiels dans la forme de ce gouvernement, soit par la mort ou l'abdication de leur constituant, soit par le décès du souverain auprès duquel ils étaient accrédités (). Dès lors, aussi longtemps qu'ils ne sont point munis de nouvelles lettres de créance ou de nouveaux pouvoirs, ils n'ont pas le droit de prétendre que les conférences entamées soient poursuivies sans interruption, ni même qu'on leur maintienne la jouissance de toutes les immunités diplomatiques; néanmoins l'inviolabilité doit leur être conservée jusqu'à leur départ. Dans la plupart des cas on continue à les traiter comme ministres publics lorsqu'on a lieu de supposer que l'interruption sera de peu de durée.

Dès que le ministre a reçu ses nouvelles lettres de créance il reprend son caractère public et ses fonctions, sans autre cérémonie qu'une nouvelle présentation de ces lettres au souverain, en l'accompagnant du discours d'usage.

(1) Les lettres de créance s'éteignent encore, et de nouvelles lettres sont nécessaires, lorsqu'il s'opère un changement dans la position hiérarchique de l'agent diplomatique.

Une seule lettre de créance peut suffire à deux ou à plusieurs envoyés du même État, s'ils sont du même rang; comme aussi un même ministre peut être muni de plusieurs lettres de créance, lorsqu'il est accrédité auprès de plusieurs cours à la fois.

:

Il est rare que l'on réponde à une lettre de créance, à moins que le souverain n'ait des motifs particuliers de le faire tels, par exemple, que le choix du ministre qu'on lui envoie, et la satisfaction qu'il en éprouve comme d'une marque particulière d'attention envers sa personne. La lettre de créance ayant pour but d'accréditer le ministre qui la présente, l'admission de cet envoyé tient lieu de réponse.

Outre ses lettres de créance, le ministre est quelquefois porteur de lettres de recommandation adressées par son souverain, ou par le représentant immédiat de celui-ci, soit à des membres de la famille régnante, soit à des fonctionnaires publics influents (1), soit même à des autorités locales.

$ 19.

Des pleins-pouvoirs (2).

Pour qu'un agent diplomatique puisse entamer une négociation particulière, telle qu'un traité de paix, d'al

(1) Par exemple, au prince régent ou co-régent, à l'épouse du souverain ou à l'héritier présomptif de la couronne, au ministre des affaires étrangères, etc. Ce titre de co-régent a été donné récemment dans le royaume de Saxe et la Hesse électorale à l'héritier présomptif de la couronne, associé par le souverain au gouvernement de l'État.

(2) Voy. T. II, chap. III.

liance, etc., il doit être muni d'un plein-pouvoir ad hoc, ou plein-pouvoir spécial (§ 69) formulé, selon l'usage général, dans les termes les plus étendus, mais qui est toujours, de fait, restreint par des instructions qui en circonscrivent les limites (1). Si le négociateur les outrepasse, il se compromet et compromet son souverain, parce qu'il le force à un désaveu, et l'empêche de ratifier le traité signé en son nom. S'il en était autrement, un négociateur qui se serait laissé corrompre pourrait disposer du sort des populations en engageant leur territoire, et trancher ainsi de son chef des questions de souveraineté nationale. En réalité, les négociations ne consistent, la plupart du temps, qu'en contestations sur le plus qu'on exige d'une part, et sur le moins qu'on veut accorder de l'autre : jamais le premier mot n'est le dernier du vainqueur qui exige des sacrifices, et encore moins celui du vaincu qui est obligé d'y souscrire. Cette marche naturelle ne permet donc point de fixer des limites précises aux pouvoirs ostensibles du négociateur : les négociations seraient rompues aussitôt qu'entamées, à moins que la modération de la puissance qui exige n'imposât silence à celle qui est dans la nécessité de céder.

Ajoutons ici, que, dans certains cas, le ministre n'est autorisé qu'à écouter les propositions qu'on peut

(1) Ces pouvoirs peuvent ne porter que sur une affaire déterminée (pouvoirs spéciaux); ils peuvent aussi autoriser toute espèce de négociations (pouvoirs généraux). Dans l'un et l'autre cas, ils sont limités ou illimités; les derniers seuls sont des pleins-pouvoirs proprement dits. L'État ou les États avec lesquels le ministre est chargé d'entrer en négociation y sont expressément désignés.

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