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teur, et dans lesquels il pouvait sans inconvénient se permettre quelques négligences..

Ses réflexions générales sur les faits ou sur les personnes sont d'un esprit sage et sincérement ami de la vertu et de la saine morale, et j'hésiterai d'autant moins à me permettre quelques remarques critiques sur un ou deux points sur lesquels je ne partage pas l'opinion de ·M. Lévesque, qu'il est aisé de voir que partout il a eu en vue de dire uniquement ce qu'il eroyait utile et vrai.

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« Les Juifs, dit-il, eurent des supplices trop rigou»reux; mais c'est un reproche qu'ont également mérité. » et que méritent encore de nos jours tous les Orientaux ; » cet excès de rigueur dans les peines est né de l'hor»reur qu'inspire le crime, et du désir de le réprimer. J'avoue que cette réflexion ne me paraît pas juste : la rigueur des peines, par-tout où elle est établie, prouve la dégradation et la férocité des mœurs; elle a sur-tout: leu lorsque le peuple se trouve divisé en deux classes, entre lesquelles il y a une inégalité hors de toute proportion, comme cela a été, de tout tems, chez les Orientaux, comme cela est encore dans les colonies, quoique ces colons qui infligent des punitions si atroces à leurs. nègres ne soient assurément pas des hommes plus vertueux que leurs compatriotes d'Europe, plus révoltés de. l'idée du crime, et plus animés du désir de le réprimer.

Plus loin, M. Lévesque regarde la défense faite aux Juifs de prêter à intérêt, et l'obligation de donner aux pauvres, tous les trois ans, la dîme de leurs bénéfices, et tous les sept ans le produit de leurs terres, comme. des preuves que leur législation ne le cédait en sagesse à aucune des législations antiques. « Aider les indigens, » dit-il, fut une vertu chez les autres peuples; chez le » peuple d'Israël, ce fut une obligation légale, etc. » Cette manière de voir n'est peut-être pas encore trèsjuste. On ne saurait discuter les lois des Juifs, par rapport aux Juifs eux-mêmes, dans les tems dont la Bible nous retrace l'histoire, puisqu'ils furent, pendant toute cette période, dans un ordre de choses surnaturel; mais il est certain qu'en général, le législateur qui met une obligation légale à la place d'une vertu se trompe beau

coup; et dans la question présente, par exemple, plus la taxe imposée aux riches, en faveur des pauvres, sera considérable, plus on diminuera chez les uns le sentiment de la compassion, et chez les autres celui de la reconnaissance. Si, comme on le dit, la taxe établie en Angleterre pour les pauvres, est devenue, par son accroissement aussi rapide qu'effrayant, une des plaies considérables de l'Etat, ce fait très-remarquable prouverait beaucoup contre l'assertion de M. Lévesque.

Au reste, ces observations, que je soumets à l'auteur lui-même, n'intéressent nullement la partie essentielle de son ouvrage, et j'ai cru pouvoir les hasarder, uniquement parce que dans un livre dont le caractère distinctif est l'amour de la vérité, et l'attention continuelle à ne donner pour certains que les faits qu'on a soumis à une critique sévère, des idées peu exactes, ou des opinions fausses sur quelques points, qui ne sont pourtant pas indifférens, peuvent avoir plus d'inconvéniens que partout ailleurs. En un mot, les écrivains destinés, comme M. Lévesque, à faire autorité par la vaste étendue de leurs connaissances, par la sagesse et l'impartialité bien connues de leur caractère, sont précisément ceux dont il est le plus important de réfuter les erreurs, ou du moins dans les ouvrages desquels il peut être le plus utile de signaler ce qu'on regarde comme des erreurs. THUROT.

EUGÉNIE ET MATILDE, ou Mémoires de la famille du comte de Revel; par l'auteur d'Adèle de Senange. 3 vol. in-12.-Prix, 7 fr. 50 c., et 9 fr. 50 c. franc de port. A Paris, chez F. Schoell, rue des Fossés S'Germain-l'Auxerrois, no 29.

C'EST peut-être faire un singulier éloge d'un roman que de dire qu'il ne contient rien de romanesque; mais l'histoire d'Eugénie et de Matilde mérite trop bien cet éloge pour qu'on ne lui en fasse pas l'application. Après les romans passionnés, comme l'Héloïse, où le charme d'un style admirable élève l'ame au-dessus des situation's communes, et l'attache d'une manière irrésistible à des La

êtres de pure imagination, les ouvrages de ce genre que l'on reprend avec le plus de plaisir, que l'on relit avec le plus d'intérêt, sont ceux qui, dans une intrigue naturelle et attachante, offrent le tableau fidèle des mœurs d'une nation, ou d'une certaine classe de la société à une époque distincte et bien caractérisée. Tels sont, parmi beaucoup d'autres, chez les Anglais Tom-Jones et Clarisse; chez nous la Princesse de Clèves et Gilblas. Le nouveau roman d'Eugénie et Matilde possède éminemment cet avantage; mais de plus, l'époque choisie par l'auteur transporte naturellement ses personnages dans des situations très-différentes de celles pour lesquelles ils avaient été élevés: du monde dans la retraite, du bonheur dans l'infortune, de la richesse dans la pauvreté. Ce changement de position les montrant sous des faces nouvelles et imprévues pour eux-mêmes autant que pour le lecteur, développe, pour ainsi dire, les derniers replis de leurs caractères, et les peint, par leur conduite, mieux que n'auraient pu le faire vingt volumes de réflexions morales. Voici, en peu de mots, le fond de l'intrigue. M. de Revel, homme de qualité, jouissant d'une fortune considérable, mais qui est substituée à l'aîné de sa maison, désire vivement un fils. Le sort contre ses vœux, le rend successivement père de trois filles, dont la naissance contrarie beaucoup ses projets. Il se débarrasse de la première en la confiant à Mme de Coucy, sa belle-mère. Mme de Revel obtient de garder la seconde. La troisième est mise au couvent et destinée à prendre le voile. Ces trois genres d'éducation si divers amènent des résultats bien différens. Ernestine, élevée par Mme de Coucy dans les prétentions de tout genre, devient une personne toute factice, toute pénétrée de son propre mérite, et se souciant très-peu des autres. Matilde, unique attachement, unique espoir de sa mère, est un véritable enfant gâté. Vive, étourdie, incapable de réflexion, elle a la plus mauvaise tête et le meilleur cœur du monde. La seule Eugénie, élevée dans la retraite, a toutes les vertus, toute la douceur que la religion donne aux ames tendres. Ignorant le monde, et n'ayant jamais connu de bonheur hors de l'enceinte

de son couvent, elle consent aisément, sans regret, sans inquiétude, à devenir religieuse. Le moment où elle prend le voile est un des plus touchans que l'on puisse imaginer.

Il était nécessaire de faire connaître avec détail ces trois caractères; car c'est de leur seule diversité que naissent toutes les peines intérieures de la famille et toutes ses consolations. Mme de Coucy, la belle-mère, marie son élève Ernestine à un M. de Sanzey, homme froid, égoïste, qui n'aime que lui-même et sa fortune. M. de Revel veut aussi marier Matilde; mais cette charmante enfant s'est attachée à sa sœur Eugénie avec la plus vive tendresse. Elle veut toujours la voir, ne jamais la quitter; elle veut se faire religieuse avec elle, et M. de Revel, contrarié par ce projet, ne parvient à l'en distraire que par le secours de la bonne Eugénie. Il ose charger Eugénie de dissuader Matilde; et c'est le premier service que cet enfant sacrifié rend à un père qu'à peine elle a connu.

Cependant la révolution arrive, les couvens sont ouverts, et les religieuses sont forcées de les abandonner. Eugénie quitte sa retraite avec regret et rentre dans sa famille. Bientôt le mari de Matilde est contraint d'aller rejoindre les émigrés. Les troubles augmentent; tout le reste de la famille est aussi forcé de sortir de France et se réfugie à Bruxelles. L'éclat et le luxe qui régnaient alors dans cette ville, parmi les émigrés, ont bientôt épuisé des ressources qui ne se renouvellent point, et qu'une sécurité imprévoyante avait fait regarder comme bien suffisantes pour la durée d'une révolution que l'on supposait ne pouvoir être que passagère. Enfin la cruelle vérité les détrompe. Proscrits, ils sont obligés de fuir à l'approche des colonnes françaises. M. de Revel, ruiné, n'ayant presque plus de ressources présentes, et privé de tout espoir pour l'avenir, s'efforçant de cacher sa situation à sa famille, lui cherche, trop tard, une retraite moins dispendieuse, et s'arrête avec elle dans un pauvre village du Holstein. Pendant ce voyage, la bonne Eugénie devient déjà leur unique consolation. Habituée à se contenter de peu, à recevoir avec reconnaissance

tout ce que le ciel lui donne, elle seule se trouve assez bien pour n'avoir à songer qu'aux autres. N'ayant jamais porté ses regards ni même ses pensées au-delà de l'enceinte où elle a été élevée, tout ce qu'elle voit l'émeut, toutes ses sensations deviennent des sentimens. Ce tableau des premiers mouvemens d'un cœur qui s'ouvre à toute la nature est d'un charme inexprimable, et dont la vérité sera bien sentie par ceux qui ont eu le bonheur d'éprouver ou même d'observer de semblables situations. Cependant la famille du comte de Revel n'est pas toutà-fait abandonnée dans sa fuite. Il lui reste un ami, un seul; et c'est encore à Eugénie qu'ils le doivent. Un seigneur polonais, Ladislas, a vu Eugénie à Bruxelles. Il en est devenu éperdûment épris, et l'attachement dont il est pénétré pour elle s'étend sur toute sa famille. Eugénie l'aime, en croyant n'aimer que la vertu ; mais elle est bien éloignée de s'avouer ce sentiment. L'engagement religieux qui la lie est sacré pour elle; elle ne songe même pas que l'on puisse tenter de le rompre. Ladislas n'osant lui offrir son amour lui dévoue au moins son existence en suivant sa famille; et ne pouvant engager le comte de Revel à partager sa fortune, il partage au moins leur détresse. Cette famille, jadis si brillante, maintenant rassemblée sous un humble toit, trouve en elle-même et dans l'amitié de Ladislas des adoucissemens qu'elle n'avait pas connus, pas même imaginés. Ce changement des ames, ce rapprochement des caractères opérés par le malheur, est d'une vérité aussi juste que profonde.

Cependant la tristesse d'Eugénie, l'affaiblissement de sa santé, dévoilent malgré elle le secret de la passion qui s'est emparée de son cœur. Alors Ladislas se décide à exposer au comte de Revel ses projets et ses vœux : il lui demande la main d'Eugénie; ce malheureux père, désarmé par l'infortune, se repentant d'avoir engagé l'avenir d'un enfant qui fait aujourd'hui sa consolation la plus chère, n'écoute plus que les sentimens de la nature, et promet.de faire relever Eugénie de ses vœux, en rejetant sur lui seul l'imprudence d'un engagement prématuré ; mais la personne la plus difficile à persuader,

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