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MERCURE

DE FRANCE.

N° DIX. -Samedi 20 Avril 1811.

POÉSIE

LES EMBELLISSEMENS DE PARIS.

Pièce qui a remporté le prix décerné par la Classe de la langue et de la littérature française de l'Institut, dans sa séance du 10 avril 1811; par MARIE-J.-J. VICTORIN FABRE.

QUAND l'heureux Amphion, placé par la victoire
Au trône de Cadmus qu'ennoblissait sa gloire (1),
Posant le bouclier, le glaive des combats,
Agrandit les remparts défendus par son bras,
On dit que du héros reconnaissant l'empire,
Les pierres s'élevaient aux accords de sa lyre.
Tels furent les récits dont Thèbes autrefois
Honora les bienfaits du plus grand de ses rois ;
Bienfaits environnés d'héroïques prestiges.
Français! voici le tems d'expliquer ces prodiges.

(1) Amphion ne fut couronné roi de Thèbes qu'après avoir vaincu de nombreux ennemis. D'autres princes avant lui avaient régné dans cette ville fondée par Cadnus; mais Amphion fut le premier qui l'entoura de remparts et lui donna des monumens publics.

Chez un peuple guerrier, sur la terre de Mars,
Cette lyre divine élevant les remparts,

A des chants belliqueux mêlant son harmonie,
C'est l'accord du pouvoir, des arts et du génie.
J'en atteste nos murs, et ces hardis travaux,
Ces arcs triomphateurs, ces temples des héros;
Qui, des grands souvenirs nobles dépositaires,
Diront à nos neveux la gloire de leurs pères.

Tandis que de nos tours dominant la hauteur,
Le bronze des vaincus prend les traits du vainqueur (2) ;
Quand le marbre s'anime au flambeau de l'Histoire ;
Quand, sous le char d'airain que guide la Victoire,
La porte triomphale, au sein de nos remparts,
Joint sa pompe guerrière à la pompe des arts;
Vous tous qui mutilés, et chargés d'un long âge,
Cédez avec lenteur au tems qui vous outrage,
Edifices pompeux des François, des Henris,
Affermissez vos murs, rejetez vos débris,
Et d'un luxe nouveau déployant la richesse,
Recommencez le cours d'une longue jeunesse.

Toi sur-tout qui vieillis avant d'être achevé,
Monument que dix rois n'avaient pas élevé,
Répare ces lenteurs d'une imparfaite gloire
Qui, même en l'honorant, accusait leur mémoire.
NAPOLÉON a dit à ce Louvre orgueilleux :

Sois le palais des rois et l'Olympe des Dieux.
Soudain, avec cent bras, la

grue

obéissante

Elève sur ces murs la poutre frémissante;

La pierre qui gémit sous l'acier des marteaux,
En socles s'arrondit, se courbe en chapiteaux;
Le monument s'achève;
nouvelle
et sa pompe
Pare, sans la cacher, sa vieillesse immortelle.

Oui, ne l'effacez point, respectez ses débris ;
Les nobles souvenirs errent sous ses lambris.
Ici, Colbert, Villars et Tourville et Turenne,
Illustraient de Louis la grandeur souveraine;

(2)... Ex ære capto. (Inscription de la colonne élevée sur la place Vendôme.)

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Ici de Montausier la généreuse voix
Instruisait aux vertus l'héritier de nos rois.
Ici viennent s'unir leurs augustes images

A ces marbres chargés de vingt siècles d'hommages,
A ces Dieux, de la Grèce immortels habitans,

Qui protégeaient ses lois, guidaient ses combattans,
Se couronnaient de fleurs aux jours de ses conquêtes,
Partageaient ses plaisirs, ses travaux et ses fêtes.
Hélas! ils ont aussi partagé ses revers!

La Grèce, qui de Rome avait reçu des fers,
A vu, dans leur exil, ces familles divines
Aborder, en tremblant, le Dieu des sept collines,
Son aigle inexorable et son sénat de rois.

Conquis, après mille ans, par de nouveaux exploits,
Ces illustres bannis que le droit de la guerre
A deux fois réservés aux vainqueurs de la terre,
Ont trouvé dans nos murs, pour fixer leuts destins,
Et l'olivier d'Athènes et l'aigle des Romains.
Le Capitole même, où n'est plus la victoire,

A vu passer comme eux du parti de la gloire

les arts

Ses héros, ses grands Dieux, ses pénates mortels (3).
Sans changer de patrie, ils ont changé d'autels;
La Rome des Césars n'est plus aux bords du Tibre.
Rome de Léon dix, et Florence encor libre,
Des chefs-d'œuvre d'un siècle ennobli par
Ont payé nos succès, enrichi nos remparts.
Le crayon d'Ausonie et les pinceaux belgiques (4)
Décorent ce palais, séjour des Dieux antiques;
Et la main des Lebruns, sur les peuples vaincus
Y fait régner encor les rois qui ne sont plus.
O pouvoir du génie et des veilles savantes!
Des marbres immortels et des toiles vivantes

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(3) On sait que les anciens distinguaient les grands dieux, magni dii, dii immortales; les dieux citoyens, dii indigetes; les dieux particuliers des familles, que chacun était libre de choisir à sa fantaisie, penates, etc.; tous divisés en deux classes principales, dü majores, dii minores.

(4) On a voulu exprimer dans ce vers ce qui distingue le plus éminemment l'école italienne et l'école flamande, dont l'une est célèbre sur-tout par la perfection du dessin, l'autre coloris.

par

la beauté du

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Dans ce temple des arts rapprochent tous les lieux,
Les siècles, les talens, les héros et les dieux.

Tels, si vous parcourez le jardin qui rassemble
Cés végétaux lointains surpris de vivre ensemble,
Dans cet espace étroit 'offriront à vos yeux
Ce dattier dont Memphis adora les aïeux;
Cet arbre qui nourrit l'Indien des Deux-Mo des
Et lui verse un lait pur de ses grappes fécondes ;
La flèche du palmiste et ses chapiteaux verts;
Le coton blanchissant qui mûrit dans les airs;
Les cèdres parfumés ; et la palme inodore

Qui s'abandonne aux vents dans les champs de l'aurore;
Exilés, aujourd'hui citoyens dans nos bois.

Ainsi de tous les arts conquis par nos exploits
Ont fleuri dans nos murs les palmes immortelles.
Le génie enflammé par d'éclatans modèles,
Illustrant le ciseau, le crayon, le burin,

D'une héroïque ardeur fait palpiter l'airain (5);
Donne au marbre les traits et la voix de l'Histoire (6);
Transporte sur la toile où se peint la victoire
Le choc des légions... que verra l'avenir;
Où, fier d'éterniser un plus doux souvenir,
Sur les foudres éteints de Bellone enchaînée,
Aux autels de la paix il conduit l'hyménée (7).

Cependant à l'éclat de ces arts fastueux
S'allie avec noblesse un luxe fructueux.
La Seine sans offense a pu gonfler ses ondes;
Des remparts élevés sur ses grottes profondes
Le sommet s'élargit, et protége ses bords.

Je vois ces ponts nouveaux unir ses nouveaux ports:
Leur voûte s'affermit sur la plaine mobile;

Et les chars vont rouler où fuit la rame agile.

Jardins, bordez le fleuve ; et vous, frais boulevards,

D'une double ceinture ombragez nos remparts;

(5) Statue colossale de l'Empereur.

(6) Bas-relief du Louvre, par M. Moitte.

(7) Un grand nombre de peintres connus ont traité ces divers sujets. Il serait superflu de nommer les plus célèbres.

Tombez, cachots impurs (8); naissez, grands édifices,
Aux mœurs, à l'indigence, au commerce propices :
La main qui fait les rois posa vos fondemens.

Tu les avais prévus ces sages monumens,
Immortel écrivain, peintre éloquent d'Alzire.
Quand ta plume légère embellit Cachemire (9),
Tu disais : Des saisons prévenant les hasards,
Empruntez à Delhy ses prévoyans Bazars.
— Ils s'élèvent : déjà leur utile prudence
De la moisson prodigue enferme l'abondance,
Et des secrets trésors de la fécondité
Conserve l'héritage à la stérilité (10).

Tu disais : Dans vos murs où la misère implore
Ce pain qui la fait vivre, et qui la déshonore,
Verrai-je aux malheureux quelque asyle s'ouvrir?
Roi! ce sont tes sujets qu'il te faut conquérir;
Mets l'outil nourricier dans leur main diligente.
- Ces vœux sont exaucés : à la foule indigente
S'est ouvert l'atelier de nos arts plébeïens (11);
Asyle où le travail forme des citoyens,
Rend les cœurs au devoir, les bras à la patrie.
Tu disais Des Romains imitez l'industrie :
Qu'au sein de vos cités multipliant leurs cours,
Les fleuves asservis vous prêtent leur secours.
-Eh bien! sous nos remparts une route secrette,
De la nymphe d'Arcueil et du dieu de l'Yvette,
Qui dans un lit de fer y grondent enchaînés,
Fait couler avec art les flots disciplinés.
L'air qui les comprimait les rend à la lumière :
Dans les plaines de l'air, leur fougue prisonnière
S'échappe en frémissant de ce lit souterrain :
Naïades! respirez par vos tubes d'airain;

(8) Le Temple, le Châtelet, etc.

(9) Voyez dans le Voltaire de Kell, XXXVI volume, le premier des Dialogues ou Entretiens philosophiques, intitulé : Des embellissemens de la ville de Cachemire.

(10) Greniers d'abondance. (11) Dépôts de mendicité.

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