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d'avoir bel et bien opposé une Eglise à celle de Rome par l'organisation d'une hiérarchie de dignitaires et par la prescription d'un rituel, ce reproche ne peut en aucune façon être adressé à Hiël qui ne fait nulle part mention ni d'une hiérarchie de prêtres ni d'un culte.

Avant de nous engager plus avant dans notre démonstration, il importe de bien établir la différence essentielle existant entre La Famille de la Charité de Niclaes et la secte de Hiël. Ou bien les biographes de Plantin et les éditeurs de la Correspondance parlent de ces deux groupements comme s'ils n'en constituaient qu'un seul, ou bien ils les confondent régulièrement l'un avec l'autre. C'est là une grave erreur. H. Niclaes a donné à sa Familia Caritatis par son organisation hiérarchique, ses prêtres, son culte extérieur et ses cérémonies, un caractère qui la rapproche des Mennonites bien plus que le groupe de Hiël. Niclaes est d'ailleurs généralement considéré, comme plus ou moins apparenté aux réformés mennonites, ce que l'on pourrait difficilement faire avec Hiël. Nous nous en remettons ici à l'opinion d'Ernest Troeltsch, où il établit nettement la différence entre les conceptions des Mennonites et des sectes purement spiritualistes, dans son remarquable ouvrage : Die Soziallehren der Christlichen Kirchen und Gruppen 1).

Les doctrines de Hiël n'aboutissent pas nécessairement à un schisme de l'Eglise mère. Des catholiques aussi bien que des protestants pouvaient s'y associer de bonne foi tout en restant fidèles à leur religion. Hiël n'attachait d'importance qu'aux choses spirituelles et intérieures qui sont la source, l'essence et la force de toute foi. Les choses matérielles et visibles (telles les cérémonies, les sectes, etc.) n'empruntent leur valeur d'après lui qu'aux choses spirituelles et leur sont donc subordonnées.

Il prêchait surtout l'abnégation de soi-même et l'humilité des cœurs, qui rapprochent de Dieu, et qui devaient exercer une attraction puissante sur des hommes comme Plantin aux conceptions morales élevées, et enclins à un certain mysticisme. L'ensemble des idées de Hiël fait plutôt l'impression d'un code de morale à base mystique qui cherchait à éviter tout conflit avec les enseignements dogmatiques du protestantisme aussi bien que du catholicisme.

1) Tübingen, J. C. B. Mohr, 1912, I. p. 863.

Le professeur Loofs de Halle écrit à ce sujet: „Qu'il suffise ici de signaler que l'indifférentisme mystique de Hiël a fait disparaître les traditions d'hiérarchie et de culte de Niclaes: toutes les cérémonies extérieures étaient sans valeur pour lui. De cette façon Plantin et avec lui tout le cercle d'amis de Barrefelt n'était nullement gêné pour rester en apparence au sein de l'Eglise catholique; oui, Plantin pouvait même, malgré son accord avec Barrefelt, appartenir au parti hispano-catholique " 1).

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Le professeur Loofs se hasarde trop loin en affirmant que les cérémonies du culte n'avaient aucune valeur pour Hiël. Laissons dire par ce dernier lui-même ce qu'il pense de cette question. „, S'il y avait quelqu'un pour croire ou prétendre, écrit-il 2), que nous n'attachons pas d'importance au culte extérieur, nous lui répondrions que nous reconnaissons comme bon tout ce que Dieu a créé de profitable pour le corps et pour l'âme, que nous respectons tous les cultes figuratifs et que nous ne désirons en rejeter aucun; mais que nous tendons avec Dieu vers tout ce que les cultes chrétiens exigent; et pour autant qu'ils y conduisent, nous désirons les employer avec la chrétienté.

Que personne ne s'imagine donc que nous n'aimons pas les cultes chrétiens et que nous ne désirons pas nous en servir, parce que par l'ordre de Dieu nous rendons témoignage de la rénovation de la vie. Oh! oui, nous savons bien que les cultes chrétiens viennent en aide à ceux qui veulent arriver à la vie renouvelée.

Je déclare que dans nos témoignages on ne trouvera pas que nous rejetons les cultes figuratifs; mais que, bien au contraire, nous rendons témoignage de ce que les cultes figuratifs exigent, et nous insistons pour que l'on s'acquitte de ces exigences afin que notre âme réconciliée avec Dieu puisse s'unir à lui “.

Hiël agissait comme le faisaient tous les spiritualistes et comme E. Troeltsch nous l'expose d'une façon très caractéristique. Sa tranquille propagande cherchait parmi les croyants,, les véritables enfants de Dieu pour les élever jusqu'au royaume divin qui est en nous, purement intérieur. Les confréries au sens plus étroit du mot n'étaient pour lui que des groupements personnels et variables qui

1) Realencyclopedie für protestantische Theologie und Kirche, 3e édit. p. 752. 2) Verklaring der openbaringe Johannes in het ware Wesen Jesu Christi (3e éd. s. l. n. n., 1703, p. 15).

dans un cercle particulier tâchaient de réaliser avec plus d'énergie l'universelle unité de l'esprit.

De cette façon les spiritualistes restaient ordinairement dans leur église, qu'ils ne désiraient point remplacer par quelque chose de nouveau, et ils considéraient leurs associations comme des groupements particuliers, possibles au sein de l'Eglise 1). „, Le système de Hiël était donc, comme celui des sectes spiritualistes en général, une espèce de syncrétisme qui s'étendait à toutes les religions chrétiennes.

De plus en plus nous sommes convaincu qu'en examinant la question des croyances religieuses de Plantin il est prudent de se tenir à ce point de vue. Il ne nous semble pas équitable de représenter l'imprimeur anversois comme une espèce d'hérétique déguisé ou de l'accuser d'hypocrisie à cause de son affiliation au groupe de Niclaes ou de Hiël.

Nous voulons bien admettre que dans les temps troublés qu'il dut traverser, l'attitude et les actes de Plantin aient été plus d'une fois inspirés par des considérations purement opportunistes. Tout ce qu'il fait ne peut pas toujours être jugé comme une manifestation libre et spontanée de sa vie intérieure. Bien souvent nous devrons y voir des actes de défense personnelle ou de calcul intéressé. Mais tout cela n'est que maintien extérieur.

Pour se rendre compte des convictions religieuses de ce rusé commerçant, qui était en même temps un mystique, nous devons nous approcher de lui quand il est seul avec lui-même, quand aucun facteur du dehors n'influence ses pensées ni ses actes et qu'il se montre vraiment tel qu'il est.

Et de pareils moments, nous en trouvons dans ses lettres.

Plantin ne feignait pas quand, tout en étant affilié à Hiël, il recommandait à ses enfants de toujours rester fidèles à l'Eglise catholique. 2) Il estimait qu'être catholique et adepte de Hiël étaient deux choses parfaitement conciliables.

Plantin ne jouait pas double jeu quand à son ami Arias Montanus, qu'il aimait comme un frère et qui l'avait fraternellement secouru dans les moments les plus difficiles de sa vie, il donnait

1) Die Sociallehren der Christlichen Kirchen und Gruppen, I, p. 868.

2) M. Sabbe: Uit het Plantijnsche Huis, p. 21. Correspondance VIII et IX p. 373.

l'assurance de son orthodoxie catholique, au nom de laquelle il lui demandait son intercession auprès du roi. L'adepte de Hiël pouvait donner cette assurance d'orthodoxie sans manquer aux devoirs de loyauté que la vraie amitié impose.

Il importe de remarquer que nous ne parlons pas ici de la première moitié de la vie de Plantin, pendant laquelle il y avait bien lieu de douter quelque peu de son orthodoxie, mais bien de la période de son affiliation au groupe de Hiël-Barrefelt.

Notre manière de voir s'est beaucoup renforcée dans les derniers temps, car nous avons acquis la conviction que non seulement Plantin, mais encore d'autres catholiques, dont l'orthodoxie était au dessus de tout soupçon, estimaient que le catholicisme et le Barrefeltisme étaient parfaitement conciliables.

A première vue on peut s'en étonner, mais il est certain que le grand ami de Plantin, le théologien catholique Arias Montanus, qui fut chargé par Philippe de la direction spirituelle de l'impression de la fameuse Bible polyglotte anversoise, n'était pas du tout hostile aux écrits de Hiël. Il les connaissait, comme l'a déjà constaté M. J. Denucé, 1) et qui plus est, il les appréciait à tel point qu'en écrivant ses propres ouvrages il les consultait et les utilisait.

Nous nous proposons de le démontrer dans cette étude.

Nous nous servirons à cet effet de la riche et remarquable Correspondance de Christophe Plantin publiée par MM. Max Rooses et J. Denucé.

Les lettres de l'architypographe anversois et de ses amis, réunies dans ces volumes, n'ont pas été suffisamment étudiées jusqu'ici. Un grand nombre de points restés obscurs dans la vie et l'activité de Plantin, pourraient être éclaircis par une étude de ce genre, surtout celle des derniers volumes.

Le point de départ de notre démonstration se trouve dans une lettre envoyée le 16 septembre 1587 par Plantin à Montanus. Nous résumons ce passage aussi fidèlement que possible.

Plantin avait reçu avec un vif plaisir une lettre de Montanus, expédiée le 6 juillet. Elle lui apprenait que son ami se portait bien et avait reçu les deux cahiers qu'il lui avait envoyés d'Anvers au mois de mars. Depuis lors, Plantin se demandait avec inquiétude si

1) Correspondance de Plantin, VI, p. 137, p. 306.

ces cahiers étaient bien arrivés à destination, tels qu'il les avait envoyés; sinon Plantin n'aurait plus jamais osé lui envoyer rien de semblable à l'avenir.

Plantin recevait de temps en temps des écrits de ce genre d'un poète (poeta) néerlandais qu'il ne nomme pas. Notons que ce poète ne connaissait que sa propre langue. Pour faire plaisir à ce dernier. Plantin s'était chargé de faire traduire un de ses poèmes par Moretus. 1)

L'éditeur de la Correspondance comprit que Moretus avait traduit ce poème en néerlandais (VIII et IX, p. 293, p. 298). Si cela avait été le cas, nous aurions eu en latin, non : „, poematium in theutonica lingua per nostrum Moretum converti“, mais bien: „, poematium in linguam theutonicam...“, avec un accusatif. D'ailleurs, puisque Plantin lui-même déclare que le poète ne connaissait que le néerlandais (nullam etenim prorsus aliam linguam intelligit), il va de soi que Moretus n'a pas traduit en Néerlandais, mais bien du Néerlandais. Moretus connaissait plusieurs langues, tandis que, répétons-le, le poète, qui nous le démontrerons tantôt — n'était autre que Barrefelt (Hiël), ne parlait que le seul néerlandais. Il le reconnait lui-même tout en nous confiant qu'il l'écrivait difficilement. 2)

Plantin avait envoyé au,, poète “la traduction de Moretus, et y avait ajouté celle d'un autre „ poème" faite par lui-même. Il allait aussi tâcher de communiquer à Montanus tous les autres écrits qu'il possédait encore de ce même „ poète “.

Le premier,, poème" était intitulé: Le Testament de l'Ame vouée à Dieu et l'autre : De l'Eternité du Christ. Plantin regrette en outre que sa santé laisse tant à désirer et que ses charges journalières l'accablent tellement qu'il lui est impossible de traduire encore d'autres opuscules de ce genre. Cependant, dès qu'il le pourra, il fera tout son possible pour permettre à Montanus de prendre connaissance du premier poème signalé dans sa lettre ; il pourra ainsi se rendre compte de ce qui convient, non seulement à celui qui s'est voué entièrement avec abnégation à la doctrine du Christ, mais

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1) La Correspondance imprime „, poematum “. Il faut lire, poematium comme dans le manuscrit.

2) Dr. F. NIPPOLD : p. 395 op. cit. ROOSES Chr. Plantin (1913, p. 42).

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