MÉMOIRES LE CLUB DES JACOBINS DE SAINT-JEAN-DE-MAURIENNE « L'Histoire est un perpétuel recommencement >> PRÉFACE Dans la séance du 27 Novembre de la présente année (1904), le député socialiste Jaurès présentait à la Chambre un projet de résolution invitant le gouvernement à publier les documents économiques et sociaux relatifs à la Révolution française. « Il y a eu quelques publications isolées, mais elles ne visent que quelques régions. Nous n'avons que des documents incomplets sur la Commune de Paris, sur le club des Jacobins. On s'est arrêté dans les publications aux cahiers des districts revus et corrigés. Il faut retrouver dans sa source la pensée révolutionnaire. » Nous sommes de l'avis du chef socialiste: l'histoire de l'époque révolutionnaire n'est pas faite. Les premiers historiens de la Révolution, Thiers et Mignet, l'ont glorifiée dans des livres qui, appartenant à la polémique plus qu'à l'histoire, ont été des machines de guerre à l'usage de l'opposition de leur temps. Beaucoup d'historiens secondaires, sot bétail de Panurge, sans critique, dominés en outre par l'esprit de parti, n'ont fait que répéter cette apologie. Que dire des manuels à l'usage des écoles, où l'histoire est travestie à plaisir et devient une conspiration contre la vérité ? Les historiens sérieux, pour qui l'histoire n'est pas une arme au service d'un parti, ont réagi contre cette glorification de la Révolution. Aujourd'hui, on fait deux parts dans l'œuvre révolutionnaire à l'une correspondent l'égalité de tous devant la loi et devant l'impôt, la liberté du travail, la représentation nationale; à l'autre, il faut attribuer les maximes politiques d'où sont sortis tant de crimes et de malheurs. Ajoutons que la plupart des réformes dont on fait honneur à la Révolution allaient se faire ou plutôt étaient en train de se faire au moment où éclata la tempête de 1789. Que n'eût pas gagné la France, si, au lieu d'une révolution, elle avait eu une sage et lente évolution. Comme le demandait Jaurès, nous avons étudié la pensée révolutionnaire dans sa source, c'est-à-dire le club des Jacobins, où se donnaient rendez-vous les plus ardents révolutionnaires, où se prononçaient les discours des excitateurs, où s'élaboraient les programmes, où étaient reçues les dénonciations contre les suspects. L'impression qui se dégage de cette étude consciencieuse de « la pensée révolutionnaire prise dans sa source » n'est point celle qu'attend le leader socialiste, mais bien plutôt le dégoût et l'horreur du régime jacobin qu'elle a enfanté. La lecture des faits et gestes des Jacobins de StJean-de-Maurienne nous montrera que tous les efforts des sociétés révolutionnaires tendaient à l'anéantissement de toute religion et à la domination d'une minorité bruyante et audacieuse sur la majorité des citoyens paisibles et honnêtes. FONDATION DU CLUB DES JACOBINS La Révolution a été préparée, élaborée et conduite par des clubs ou comités révolutionnaires, dont les ramifications couvrirent tous les départements de la France. Ces associations démocratiques furent d'abord désignées sous le titre de « Sociétés des amis de la liberté et de l'égalité » ou de « Sociétés populaires ». Celle de Paris, qui dictait ses volontés à la Convention nationale, fut appelée « Club des Jacobins », parce qu'elle tenait ses séances dans l'église des religieux de ce nom. Par analogie on appela ainsi toutes les sociétés similaires de la province. Les Savoyards mécontents ou proscrits réfugiés à Paris avaient formé, dès les premiers jours de 1792, une Société de ce genre, qui prit successivement le nom de Propagande des Alpes, de Club des patriotes étrangers, et enfin de Club des Allobroges (1). « Le but de cette institution, dit le général Doppet, un de ses fondateurs, fut d'établir une correspondance patriotique avec quelques hommes que nous connaissions en Savoie et qui, comme nous, désiraient la liberté de leur patrie. Nous avions aussi pour but d'amener au désir de voir leur pays libre ces nombreux Savoisiens qui, de temps immémorial, se rendaient tous les ans à Paris et dans toute la France. Comme ces montagnards retournaient tous les ans dans leurs foyers après avoir travaillé l'hiver en France, nous nous doutions bien qu'ils profiteraient des instructions et qu'ils porteraient en Savoie des germes féconds de liberté. C'est, en effet, de la formation de cette propagande que doit dater la révolution des Allobroges. » Remarquons, en passant, cet aveu du général Dop (1) Joseph Dessaix, Histoire de la réunion de la Savoie à la France en 1792. pet, que c'est une propagande organisée à Paris, à l'instigation de l'étranger, qui a produit le mouvement révolutionnaire en Savoie. Les Savoyards, en effet, étaient de tous les peuples de l'Europe les mieux partagés en fait de liberté, et ne songeaient pas du tout à se révolter contre le gouvernement paternel de leurs souverains. La liberté qui est compatible avec le bon ordre, ils la possédaient depuis longtemps. Les révolutionnaires français, au lieu de la liberté nous apportèrent la tyrannie jacobine. L'histoire nous indique que les princes de la Maison de Savoie ont presque tous été animés de l'esprit le plus libéral. Par des actes et des édits émanant de leur libre examen et de leur propre initiative, ils opérèrent successivement, d'une manière légale, dans leurs Etats, le travail d'émancipation obtenu en France par la Révolution au prix de bien du sang versé. On peut dire, avec Victor de Saint-Genis, qu'en 1789 la Révolution était faite en Savoie il ne restait plus qu'à accommoder les mots à la chose. La Révolution n'avait donc pas sa raison d'être en Savoie, puisque nous possédions tous les droits et avantages dont on a coutume d'attribuer la conquête, souvent bien à tort, à la Révolution. La propagande des affiliés au club jacobin prépara l'invasion étrangère et ouvrit la Savoie aux Français. Le jour même de son entrée à Chambéry (24 septembre) le général Montesquiou inaugurait une Société des Amis de la liberté et de l'égalité, qui lui offrit une couronne comme à un libérateur. Elle se donna la mission de révolutionner la Savoie et prit l'initiative des mesures les plus hardies et les plus violentes. Une adresse envoyée à la Convention, le 12 octobre, nous apprend quelle influence ou quelle pression elle exerça sur les élections des députés de chaque commune à l'Assemblée des Allobroges. On y lit : « Déjà la Société, composée |