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A UN POINT D'HISTOIRE LOCALE

PAR M. BURDET.

Séance du 2 mars 1866.

MESSIEURS,

Parmi les sujets qui ont eu le privilége de fixer l'attention de l'Académie delphinale, figurent surtout ceux qui intéressent par quelques points l'histoire locale de la province de Dauphiné. Ses Mémoires renferment déjà bien des recherches historiques, archéologiques et biographiques qui contribueront à jeter un grand jour sur toutes nos origines et donneront sur beaucoup de points restés obscurs de curieuses révélations.

Au point de vue de l'histoire générale, le Dauphiné a partagé le sort des provinces qu'il avoisine dans les grands événements d'où est sortie la civilisation moderne. Il a été successivement gaulois, gallo-romain, livré aux invasions des Bourguignons et des Francs, et enfin, il a vu se succéder le long règne de la féodalité et le mouvement qui lui a substitué la prépondérance du tiers-Etat.

Mais dans ces vicissitudes successives il y a eu des

épisodes particuliers à la province qui lui donnent sa physionomie locale qui a toujours été un peu singulière, et c'est à ce point de vue surtout que l'étude de certains détails peut avoir de l'intérêt.

Quand on arrive aux époques récentes et qu'on étudie le mouvement des esprits en 1788 et les incidents qui se produisirent alors, on éprouve une curiosité légitime à savoir comment s'étaient formées les diverses classes d'une population qui prit à ce moment une si remarquable initiative et où l'on aperçoit des éléments qui ne se retrouvent pas au même point dans les autres provinces de France.

Les causes qui avaient modéré le grand mouvement féodal avaient, il est vrai, acquis alors partout une influence décisive, mais elles avaient eu en Dauphiné une action qui y avait favorisé plus qu'ailleurs la création, sur quelques points, d'un droit égalitaire, hostile à la constitution féodale et susceptible de développer dans les esprits le germe des doctrines qui éclatèrent aux assemblées de Vizille et de Romans, qui servirent de précurseur au grand mouvement de 1789 et en donnèrent le signal.

Il faut placer au premier rang, parmi ces causes, celles qui se rapportent au mode de tenure territoriale, ce sont toujours aussi celles qui exercent la plus grande influence sur l'état politique d'un pays.

Par suite de l'établissement féodal, les seigneurs qui avaient succédé aux tenanciers romains, avaient occupé la plus grande partie des terres et ils les possédaient en franchise à l'imitation de leurs prédécesseurs. Ils avaient de plus recueilli dans leurs traditions un droit jurisdictionnel qui leur donnait de notables prérogatives sur les

habitants dans une certaine circonscription, et qu'ils exerçaient sous le titre de hauts justiciers. Les autres habitants nobles, non nobles et serfs qui possédaient des terres, sans parler de ceux qui n'en possédaient pas, étaient, en grand nombre, placés sous leur dépendance par le moyen du fief, du bail à cens ou de l'emphyteose qui leur imposaient de lourdes redevances.

Cependant, dans certaines parties de la province, s'était conservée la tenure franche, c'est-à-dire celle propre aux propriétaires usant encore de leurs droits dans leur intégrité, comme on l'avait pratiqué sous la domination Romaine et suivant la notion qu'on avait alors de la propriété qui était accablée quelquefois d'impôts, mais appartenait toujours pleinement à son maître, ne dépendait par conséquent ni du fief d'aucun seigneur, ni d'aucun bail à cens ou contrat d'emphytéose. Souvent, il est vrai, ces propriétaires ne défendaient qu'avec peine leur position contre les seigneurs voisins qui voulaient les englober dans leurs fiefs, ou bien qui cherchaient à abuser de leur position de hauts justiciers, pour les soumettre à des impôts arbitraires et à toutes sortes de droits ne reposant sur aucun titre, ce qui fut l'un des griefs auxquels il est fait droit dans la grande charte de 1349 connue sous le nom de Libertés delphinales et concédée par Humbert II à l'occasion de la réunion de la province à la France. Quand ces tenanciers étaient personnellement de condition servile, comme c'était le cas du grand nombre qui représentaient les esclaves et les colons romains, ils étaient sujets à des traitements et à des exactions encore bien plus onéreux.

Mais enfin il se trouvait, sur quelques points, des réunions de propriétaires placés dans des conditions meil

leures, qui n'étaient pas réduits à l'état de serfs de corps, qui parvenaient à défendre les terres qu'ils possédaient en franchise contre les envahissements du fief, qui échappaient en même temps aux tailles et à certains droits abusifs que se permettaient ailleurs les hauts justiciers, qui ne supportaient pas d'autres impôts que les taxes locales établies pour l'utilité des lieux d'habitation et par les habitants eux-mêmes. On les appelait des FRANCHI et on les assimilait aux nobles sans jurisdiction.

Les Dauphins leur avaient cependant imposé un impôt qu'on appelait jus salvæ guardia et qui était le prix de la protection qu'ils leur accordaient pour assurer leur sécurité; mais on voit que ce droit fut aussi aboli dans la grande charte de 1349 où Humbert II fit l'énumération des droits et prérogatives de ses sujets au moment où il allait les céder à la France. Il est vrai qu'il fut rétabli plus tard, après la réunion à la France, à l'époque où Louis XI, encore Dauphin, eut pendant quelques années le gouvernement de la province et voulut y introduire un impôt au profit du pouvoir central en le répartissant sur le territoire divisé par feux. Les FRANCHI eurent l'option d'acquitter le droit de sauvegarde ou de laisser comprendre leurs propriétés dans les feux pour les soumettre ainsi à un nouvel impôt, et la plupart se laissèrent aller à ce dernier parti.

C'est pour cette classe des FRANCHI que le droit de la province, inspiré par des jurisconsultes nourris du droit romain, avait fait prévaloir la maxime: nul seigneur sans titre, qui opposa aux invasions des seigneurs tendant à étendre leurs fiefs, une barrière qui ne fut jamais surmontée, et qui presque partout ailleurs, en France, céda devant la maxime contraire; nulle terre sans seigneur.

Mais où étaient donc ces privilégiés des temps féodaux assez forts ou assez habiles pour maintenir en présence des seigneurs une liberté ou une indépendance relative?

On en retrouve des traces dans les villes épiscopales où les évêques s'étaient emparés, le plus souvent avec l'appui et l'expresse volonté des Empereurs, de la puissance féodale, et elles deviennent plus nombreuses au temps où la pratique des anoblissements, qui eut lieu surtout à l'époque des guerres de religion, servit à multiplier le nombre des nobles et à accroître leur position. Mais il faut surtout rechercher leur origine dans les territoires des villes et bourgs de Briançon, Embrun, Gap, Upaix, le Bourg-d'Oisans. C'est de là que ce régime est parti pour prendre ensuite dans la province, dans les temps qui ont précédé 1789, une plus grande extension.

Il y a eu dans les pays que j'ai nommés un fait extraordinaire et sur lequel je veux appeler l'attention, c'est que l'impôt et les charges locales étaient répartis suivant un cadastre renfermant l'énumération de toutes les propriétés, même celles possédées par les nobles, et les soumettant toutes également et en proportion de leur valeur au paiement de ces charges. Quand on eut fait prévaloir sous la domination française l'usage d'un impôt perçu dans l'intérêt du pouvoir central, cet impôt fut aussi payé dans ces pays par l'ensemble de la population en proportion de ses possessions. On sait même que, à Briançon, les habitants firent, en 1343, une espèce d'abonnement pour le paiement de cet impôt et le remplacèrent par un tribut annuel de 4,000 ducats qui ont été payés par eux pendant de longues années.

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