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HISTOIRE

DES LIVRES ET DES BIBLIOTHÈQUES.

Bibliomania par F. J. DIBDIN, nouvelle édition.

Il n'est pas de bibliophile qui ne connaisse au moins de nom les somptueux ouvrages du docteur Dibdin. Nous savons qu'on peut leur reprocher, non sans motifs, de manquer de méthode et parfois de critique, d'être rédigés avec précipitation et de comprendre beaucoup trop de détails puérils et oiseux, beaucoup trop de plaisanteries qui ne sont pas toujours heureuses, mais du moins il faut reconnaître chez leur auteur une lecture immense, un dévouement sans bornes à la cause des livres, une activité infatigable, un zèle que les années ne refroidissent en rien. La Bibliotheca Spenseriana, le Bibliographical Decameron, l'Antiquarian Tour, les Typographical antiquities occuperont toujours dans tout cabinet d'élite, une place fort distinguée.

La Bibliomania or book-madness (rage, folie des livres) « roman bibliographique divisé en six parties » fut la première production importante de Dibdin. Publiée en 1811, elle fut épuisée en moins d'un an et le prix quintuplé; de 27 shellings, il monta à six guinées. Après trente et un ans d'intervalle, l'auteur s'est décidé à faire réimprimer son livre, et nous croyons qu'il a eu raison. L'ouvrage se présente à nous aujourd'hui sous la forme d'un grand in-8o de 800 pages environ; l'exécution typographique est digne de Dibdin. C'est tout dire. A la suite du livre de 1811, reproduit sans changement aucun, texte et notes (et celles-ci forment les trois quarts du tout), l'auteur a placé un supplément contenant des détails sur les divers personnages qu'il avait mis en scène sous des noms romains, personnages qui sont tous morts, à l'exception de deux ou trois; il a réimprimé également la première édition devenue introuvable de la Bibliomania, TOм. II.

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telle qu'elle parut en 1809, ne formant encore qu'une mince brochure de 87 pages.

On sait que tous les ouvrages de l'écrivain qui nous occupe se recommandent par le luxe et la multiplicité des ornements et des illustrations. Celui-ci ne pouvait faire exception à cette règle. Parmi de charmantes gravures ou vignettes éparses dans le texte, et que l'on peut hardiment qualifier de chefs-d'œuvre, nous signalerons le séduisant portrait de Marie Stuart, p. 254, et la Caverne du désespoir, p. 614, sujet tiré du poëme de Spenser (the Fairy Queen) et admirablement gravé sur bois par R. Branston, d'après J. Thurston.

Mentionnons aussi la bordure en rouge de la p. 3, représentant quatre sujets de la danse des morts, d'après des heures gothiques; et p. 208, la devise de M. Morin, imprimeur à Rouen.

Peut-être reviendrons-nous un jour sur le contenu de la Bibliomania; peut-être lui emprunterons-nous quelques anecdotes piquantes, quelques rapprochements dignes de mémoire; aujourd'hui nous nous bornerons à une analyse succincte du supplément. Il nous présente des faits qui ne sont pas à dédaigner dans l'histoire des livres. D'ailleurs cette production devant sans doute être toujours assez peu commune sur le continent, nos extraits présenteront quelque chose de neuf.

L'auteur débute par rappeler son dernier ouvrage, mis au jour en 1888, le Tour dans le nord de l'Angleterre et en Écosse, deux volumes in-8°, qu'embellissent de charmantes vignettes et d'admirables gravures. Quel a été le but de l'écrivain en entreprenant cette publication? Il nous l'apprend lui-même : « Ranimer un goût qui sommeille, ramener les passions joyeuses et vives des temps passés, exciter les amateurs à se conduire en gens d'honneur et de cœur, en donnant des poignées de guinées et non des poignées de shellings, lorsqu'il s'agit de posséder quelque trésor bibliographique. » En dépit de quelques fâcheux contre-temps, 600 exemplaires du Tour se sont vendus dans une période de dix-huit mois à partir de la mise en vente, et le grand papier est monté au prix de 12 guinées. L'auteur fit hommage à la reine Victoria d'un exemplaire magnifiquement relié, et qui contenait la dédicace imprimée tout exprès sur vélin ; il eut le chagrin de ne pas même obtenir pour son offrande un simple accusé de réception, et cela par suite d'une règle d'étiquette qu'il flétrit comme absurde et

qui borne à un remerciment verbal, sec et bref, le signe de gratitude qui émane du trône pour tout ouvrage présenté par l'auteur en per

sonne.

Le fameux bibliomane Héber, mis en scène sous le nom d'Atticus, se trouve ensuite sur le chemin de Dibdin. On sait que cet amateur insatiable avait réuni d'immenses piles de bouquins, telles que nul mortel n'aura peut-être la résolution d'en entasser. Son goût pour accumuler des doubles, des sur-doubles, des extra-doubles, était le symptôme le plus étrange de sa fièvre pour les vieux livres. Il se trouva chez lui dix exemplaires de l'édition princeps de Platon (Alde, 1518) et six exemplaires de l'édition princeps d'Aristote (Alde, 1495, 5 vol.). Presque tous ces seize exemplaires étaient d'une belle conservation; parmi les Platons, notamment, il s'en trouvait un superbe, acheté en 1810 à la vente Heuth.

Sir Thomas Grenville possède un exemplaire non rogné de ce même Platon, exemplaire qui avait appartenu au révérend Théodore Williams, et qui est au-dessus de toute comparaison; il fut payé 501. st. Un autre exemplaire, réglé en rouge et presque dans le même état que lorsqu'il sortit de dessous les presses aldines, repose dans la bibliothèque Spenser. « Les feuillets font entendre une voix très-éloquente, lorsque vous les tournez. Existe-t-il un son plus harmonieux pour l'oreille de tout bibliomane ! »

On avait conçu le projet de publier la vie littéraire de M. Héber, ce projet n'a pas eu de suite et peut-être y a-t-il eu sagesse à l'abandonner. Le catalogue des ventes de ses livres faites à Londres se compose de douze parties et renferme près de 58,000 articles. En calculant deux volumes par article, l'un dans l'autre, on arrive à un total de 106,000 volumes. Le produit net s'éleva à 55,000 liv. st.; les frais, commissions et droits allant, en tout, à près de 17 pour cent, doivent grossir cette somme de 10,000 liv. Ce fut donc à 65,000 liv. st. (1,657,000 francs) que monta l'addition des prix payés à la dispersion de cette incroyable réunion de livres. Les catalogues rédigés à la hâte, avec enchevêtrement de l'ordre alphabétique et de la distinction des formats, composent un véritable chaos où toute recherche est à peu près superflue; quelques bonnes notes ont été ajoutées à trois parties, la seconde (art dramatique), la quatrième (poésie anglaise) la onzième (manuscrits); celle-ci comprend près de 1720 articles; ils

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produisirent au delà de 5000 liv. st.). Heber avait d'ailleurs de vastes dépôts de livres accumulés en Flandre, à Paris, à Nuremberg. Il ne vit jamais un seul des volumes qu'il possédait dans cette dernière ville, où il avait acheté en bloc et par correspondance, la collection formée par Panzer et qui a fourni de nombreux matériaux aux Annales typographici de ce savant bibliographe (1).

Sous le nom de Pontevalle se cachait John Dent, dont la bibliothèque fut vendue en 1827. Hélas! ce fut en cette occasion que se manifesta dans toute son étendue, la décadence de la bibliomanie: le Tite-Live de 1469 sur vélin fut abandonné à 262 1. st. ! Il fut adjugé presque sans combat, et il a passé chez T. Grenville. Ce même exemplaire avait été payé 782 1. st. (19,950 francs) à la vente Edwards et 472 l. 10 sh. à celle de sir Mark Sykes. Ce fut Dibdin qui eut le bonheur de venir annoncer à sir Mark Sykes qu'il était le possesseur de ce bijou, et l'intrépide amateur battit fortement des mains en apprenant cette nouvelle.

Hortensius était sir W. Bolland, baron de l'Échiquier. Sa bibliothèque fut vendue en 1840; 2940 articles produisirent près de 3000 guinées. « Sa passion pour les livres était sur la plus grande échelle, et marquée par toutes les phases d'un enthousiasme fait pour exciter l'envie ; les anecdoctes qu'il racontait à l'égard de ses volumes chéris étaient scintillantes et fringantes; je ne suis pas tout à fait sûr qu'il n'eût pas l'intention de consacrer un petit oratoire à la mémoire de Caxton et à celle de Wynkyn de Worde. Il regardait les in-folios mis au jour au commencement du seizième siècle par ce dernier imprimeur comme étant des prodiges d'exécution typographique; ami des il serait tombé en extase s'il lui eût été donné de vivre assez longtemps pour voir l'exemplaire unique du Chaucer de 1498, que j'ai eu la bonne fortune de procurer à la bibliothèque de sir Th. Grenville (2).

muses,

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(1) Quelques notes empruntées aux catalogues hébériens, ont paru dans le Bulletin du Bibliophile de Techner, 1840.

Le savant auteur du Manuel du libraire a parlé de ce bibliomane des bibliomanes dans le Manuel (1842, I, 348), et dans la notice mise en tête de son édition des poésies d'Alione d'Asti, 1836, in-8°, p. 31.

(2) Cette édition de 1498 n'est pas indiquée au Manuel. Elle ne se rencontre pas non plus dans la Bibliotheca Grenvilliana, ayant sans doute été acquise après l'impression de ce somptueux catalogue.

Voici quelques exemples des prix payés à la vente Bolland pour certains articles:

Cicero de officiis, Ulrick Zelle; 11 1. st. 11 sh.

Chaucer: Troylus et Cresseyde 1526. Exemplaire imparfait, qui avait appartenu au duc de Roxburge et à Héber; 25 1. st.

Marston Scourge of Villanie (le fléau des scélérats) 1598. Satire d'une rareté effroyable (terrific); 181. 5 sh.

Shakespeare Vénus et Adonis, 1596, in-12, troisième édition; 91 1. st. (2320 francs).

Lucrèce, 1594, in-4° (1). Première édition, 105 1. st. (2677 fr.). Notons en passant que ce dernier opuscule, payé si cher, avait été découvert par Dibdin dans un recoin de la bibliothèque du chapitre de Lincoln; il avait réuni en même temps quelques autres ouvrages rares, enfouis dans le même dépôt, et il avait fait du tout un paquet ficelé en notant qu'il l'évaluait en bloc quatre-vingts guinées; il avait l'intention, lorsqu'il reviendrait à Lincoln, de proposer au doyen et au chapitre de leur acheter ces raretés, mais laissons-lui la parole:

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« Le lecteur jugera de ma surprise et de mon plaisir (mêlé cepen»dant de quelques grains de désappointement) lorsque le baron, un » jour après que j'eus diné avec lui, me conduisit vers l'une de ses » armoires d'acajou, et me montrant ces précieux volumes, me de>> manda si je les avais vus précédemment. Pendant quelques minutes, jeressentis l'obstupui d'Enée. Comment cela est-il possible? m'écriaije enfin. Le secret est dans la tombe des Capulets (2), répliqua mon » ami. Ce sont ces mêmes volumes que vous avez signalés dans votre » Decameron. Quelques années plus tard, j'appris qu'il avait profité >> d'un voyage à Lincoln pour en faire l'emplette, et que mon esti»mation avait servi de base au marché. Cette acquisition ne fut » pas onéreuse à mon honorable ami, puisqu'il fut donné une valeur

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(1) Ni cet ouvrage, ni le précédent n'ont obtenu une mention d'une demiligne dans le Manuel; ils en étaient cependant bien dignes, mais le savant bibliographe français s'est trouvé souvent à l'étroit dans le cadre de quatre volumes, et c'est ce qui explique un silence regrettable sur des livres qu'il connaît mieux que qui que ce soit en Europe.

(2) Citation empruntée à l'une des plus belles tragédies de Shakespeare, Roméo et Juliette.

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