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Leyde, 25 janvier 1754.

« Monsieur,

« J'ai lu avec beaucoup d'attention cet ouvrage. Il est bien << écrit et renferme bien des idées et bien rangées. Avec tout « cela, j'ai peine à croire qu'il soit très-utile au public. Il <<< renferme bien des idées hasardées. J'ai trouvé divers en<< droits incompréhensibles. La fin surtout ne m'a pas agréé. << Si je m'intéressais pour l'auteur, je verrais avec peine « qu'il fît imprimer un ouvrage dans cet état, indépendam<< ment de ce qu'il dit sur la nécessité. Il s'exprime sur cet << article d'une manière dure et imprudente, à mériter le << blâme, même de ceux qui sont de son opinion. »>

L'année suivante, Trembley ayant découvert le véritable auteur, lui écrivit de nouveau :

<< La Haye, 13 novembre 1755.

« J'ai appris à Bruxelles que vous étiez l'auteur de l'Es«sai de psychologie. Je vois que personne n'en doute ici; « si je ne vous connaissais pas', j'aurais honte de vous « avoir parlé si librement sur cet ouvrage. »

Enfin, un peu plus tard, dans une lettre de Londres, en janvier 1756, il essaye de rectifier ce que le premier jugement avait d'un peu trop absolu. « Le livre en question ne m'avait pas déplu, j'y ai trouvé au contraire des choses exquises. Le tour ne m'en a pas plu. J'y ai remarqué des choses délicates, dites trop vivement. Il y en a, ce me semble, d'autres qui ne sont pas de la même force que le reste. Ce dont je blâme l'auteur, c'est d'avoir trop tôt publié un ouvrage qui, étant sur un sujet si délicat, ne devait voir le jour qu'après avoir été exposé à la critique de génies très-différents et de gens de différents genres de vie. M. Allamand a admiré cet ouvrage avec raison, et cependant il est convenu de ce que je lui ai dit. Pour la diversité d'opinions, il n'y a rien à quoi

je prenne moins garde. J'espère que nous philosopherons souvent ensemble, et je suis sûr que nous nous aimerons toujours. >>

On voit que la critique de Trembley était bien vague et bien peu caractérisée, et qu'il reconnaît d'ailleurs de grandes qualités dans l'ensemble de l'ouvrage.

Dans l'édition complète de ses OEuvres, publiée en 1783, Bonnet ajouta à son Essai de psychologie, entièrement revu et accompagné de notes nouvelles, plusieurs ouvrages ou opuscules de philosophie, qu'il détacha de celui qu'il avait projeté, et dont les matériaux furent employés pour l'Essai précédent et pour la Contemplation de la nature. Ce sont, en particulier, un traité des Principes philosophiques sur la cause première et sur son effet. Il y démontre encore une fois l'existence d'une cause première, l'harmonie de l'univers et l'existence de Dieu. Il y esquisse une réponse aux objections des sceptiques sur l'origine du mal et aux doutes sur la perfection divine, adoptant les idées de Leibnitz, qui considère Dieu comme créant toujours ce qu'il y a de meilleur, et le mal comme un effet accidentel né d'une cause mystérieuse et cachée dont il ne nous est pas permis de sonder les profondeurs. Il a sur ce difficile problème des idées d'une grande élévation, et qui sont autant à l'avantage de la raison et de la philosophie qu'à celui de la religion et du christianisme.

On trouve encore, à la suite de l'Essai de psychologie, quelques morceaux critiques, où il apprécie et analyse avec beaucoup de justesse la doctrine de Leibnitz, des Considérations sur les bornes naturelles de nos connaissances, une lettre en réponse au Discours de J.-J. Rousseau sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes. Il y combat brièvement les singuliers paradoxes du fameux citoyen de Genève, et démontre fort bien que si la société n'eût pas

été dans le plan de la Providence, Dieu eût créé l'homme avec des conditions toutes différentes et ne lui eût donné aucun des instincts sociaux; des Méditations sur l'origine des sensations et sur l'union de l'âme et du corps; enfin l'Essai d'une méthode pour découvrir quelques vérités de philosophie rationnelle. On trouvera, au chapitre II de cet écrit, une nouvelle démonstration, que l'on peut appeler géométrique, de la spiritualité de l'âme 1.

Ce chapitre est une des meilleures réfutations du prétendu matérialisme attribué à Bonnet.

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CHAPITRE HUITIÈME.

Lettre de

Mariage de Bonnet avec mademoiselle de la Rive. Caractère de la famille de la Rive. Éloge qu'il en fait à son ami Trembley (1756). Réaumur à ce sujet. Lettre de Haller. Bonnet contribue à encourager les talents du jeune Saussure. Mort du naturaliste Réaumur (1757). Lettre de Bonnet à M. de Fouchy, secrétaire perpétuel de l'Académie des sciences. Fragment de l'éloge de Réaumur, par M. de Fouchy. Correspondance de Bonnet avec le professeur Allamand au sujet de la publication de l'Essai analytique (1759). Lettre de M. Allamand. M. Roger, ami de Bonnet, obtient que l'ouvrage soit imprimé aux frais du gouvernement danois. Mort de M. Roger. Lettre de Bonnet au comte Bernstorf. Réponse de celui-ci.

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Le succès et l'importance des premiers travaux de Charles Bonnet l'avaient voué à une vie entièrement studieuse et méditative; aussi son existence fut-elle dès lors exclusivement consacrée aux objets de ses constantes préoccupations. Cependant il n'était, pour cela, ni d'un caractère misanthrope, ni d'une humeur insociable; mais, outre son goût naturel et le temps dont il avait besoin pour continuer ses études, plusieurs raisons physiques contribuaient à l'éloigner du monde bruyant et agité des salons. L'état de ses yeux devenu trèspénible, un commencement de surdité qu'il avait contracté dès son enfance, son aversion pour le jeu, toutes ces causes, jointes au temps qu'il craignait de perdre, le renfermaient dans le cercle de l'intimité. Néanmoins le désir de trouver une douce société sans sortir de sa maison, le goût naturel qu'il avait toujours eu pour les tranquilles plaisirs de la famille le portèrent à chercher une compagne qui consentît à partager sa vie. Si la condition de l'homme isolé et absolument libre a dû plaire naturellement à beaucoup de philo

sophes, en leur épargnant les soucis et les embarras du ménage, d'autres, par des motifs aussi bons que les premiers, n'ont pas partagé ce sentiment. Les uns cherchaient, avant tout, le dégagement des soins matériels; ceux-ci, au contraire, chez qui le raisonnement n'étouffait pas le sentiment, ont mieux aimé augmenter la somme de leurs affections, étendre les pures jouissances de l'âme, et partager avec une compagne aimée les peines et les plaisirs de la vie. Si, dans la vie de l'homme de lettres et du philosophe, l'isolement donne une grande liberté de temps, d'autre part, la présence d'une compagne sur laquelle on puisse se reposer des affaires intérieures que nul homme ne peut éviter tout à fait, facilite l'emploi de tous les instants et permet de jouir entièrement de ceux que l'on peut consacrer aux sciences. Le repos nécessaire après le travail se rencontre aussi plus facilement quand il n'est besoin que de se laisser aller aux charmes de la société qui vous entoure, que lorsqu'il faut chercher la distraction au dehors, où trop souvent on ne rencontre que fatigue et déception. Charles Bonnet vit sans doute les choses sous ce point de vue, et ses réflexions le conduisirent à rechercher une femme aimable, spirituelle, de goûts analogues aux siens, et capable, par la culture de son intelligence, de s'associer à ses travaux. Il la trouva dans la personne de Marie de la Rive. Sa famille était noble et une des plus anciennes de la république de Genève, où elle avait possédé longtemps les premières places dans la magistrature. L'origine de cette famille n'est pas clairement indiquée, mais il paraît qu'elle vint à Genève dans le quatorzième siècle 1. M. de la Rive père était un homme considérable dans la ville et fort estimé.

1 Nous ignorons où se trouve le lieu indiqué dans les Mémoires de Bonnet. Il dit: Mondowitz; c'est peut-être Mondovi,

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