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M. de Malesherbes ne tarda pas à répondre à cette lettre dans les termes suivants :

« A Malesherbes, ce 24° d'octobre 1762.

<«< Votre ouvrage, monsieur, a été examiné par les censeurs <«< commis à cet effet, et ils ont pensé qu'il ne devait pas être « permis en France. Mais cela n'empêche pas qu'on ne laisse << parvenir à leur destination le petit nombre d'exemplaires « que vous destinez aux savants avec lesquels vous êtes en « relation. On en laissera aussi entrer un petit nombre que <«<le libraire vendra pour son compte, en justifiant du nom << des personnes à qui il les aura fournis. La délicatesse des « matières traitées dans un ouvrage de métaphysique peut << en rendre la lecture dangereuse pour le public, quoique «< cette même lecture soit nécessaire aux physiciens ; et un << ouvrage dont vous êtes l'auteur est sûrement trop utile « aux physiciens et aux naturalistes pour les en priver, etc. »>

D'autres lettres furent encore échangées sur ce sujet. Malesherbes offrait au philosophe de laisser entrer en France tous les exemplaires qu'il voudrait adresser aux savants et aux membres des Académies, et même aux particuliers qu'il désignerait, en maintenant toutefois l'interdiction de l'ouvrage pour la vente. Ce compromis ne pouvait convenir à Bonnet. Il se hâta de répliquer au magistrat par une seconde lettre où il établissait sa justification et faisait voir qu'évidemment la religion de M. de Malesherbes avait été surprise, sa justice mal éclairée, et qu'enfin il en appelait à un examen plus approfondi qu'il sollicitait de tout son pouvoir. Des démarches actives de ses amis et admirateurs parmi lesquels il faut compter Tronchin, le savant médecin, et la duchesse d'Anville, qui s'intéressait vivement aux lettres et aux auteurs, mirent fin à cet embarras; l'interdiction

fut définitivement levée, ce dont Charles Bonnet reçut la nouvelle par la lettre suivante de Mairan, membre de l'Académie des sciences et avec lequel il était lié d'amitié.

<< Paris, 9 décembre 1762.

«Votre affaire est finie, mon très-honoré confrère, alors << que je n'osais l'espérer. Le mal est éclairci et le nuage dis« sipé. On s'est adressé à un lecteur plus intelligent et moins << ombrageux. Je vis avant-hier M. de Malesherbes chez lui, «< il est plein des sentiments d'estime dus à votre personne « et à vos ouvrages. Cependant l'affaire n'est pleinement « décidée que d'hier matin, et j'en reçus l'après-midi une << lettre qui m'autorise à vous mander que comme il n'y a « point eu de défense par écrit, la permission de l'entrée de « votre livre n'a pas besoin d'être écrite; qu'il suffira que « M. de Malesherbes en soit instruit, et qu'il donnera à la «< chambre syndicale de la librairie les ordres nécessaires. « Vous pouvez, si vous voulez, faire entrer à Paris l'édition << entière. Je ferai bien plaisir à M. Duhamel de le lui ap<< prendre demain à l'Académie des sciences. Pour moi, je « me sens soulagé de vous savoir quitte de ces embarras, << sans compter que je serai plus tôt possesseur de votre << ouvrage 1.

« Je suis,

etc.

<< MAIRAN. »

Au premier abord, cette défense d'un ouvrage scientifique tel que les Considérations, a de quoi surprendre; mais il faut se souvenir qu'on était dans un siècle où l'excès du libre examen avait dégénéré en impiété, et que bien des écrivains sous le voile de discussions philosophiques avaient porté la main sur les plus respectables croyances de la religion catholique, et même sur le christianisme

1 Mémoires de Bonnet, leltre 11o.

en général. On avait donc le droit d'être sur ses gardes. Buffon avait vu quelques parties de son Histoire naturelle déférées aux docteurs de la Sorbonne pour certaines hypothèses astronomiques. Il avait suffi pour lui, comme pour Bonnet, de présenter les explications convenables.

L'année qui suivit celle de la publication du livre sur les Corps organisés, l'Académie des sciences et belles-lettres de Lyon et l'Académie électorale de Bavière envoyèrent toutes deux à l'auteur un diplôme d'association.

CHAPITRE ONZIÈME.

Bonnet compose la Contemplation de la nature (1764). — Esquisse et but de cet ouvrage; nécessité d'une cause première. - Plan général de la nature; enchaînement de tous les êtres organisés. Variétés dans l'organisation des animaux. Yeux des insectes; détails de leur conformation. L'homme, les sensations, rapports du physique et du moral. ments, le calorique, l'électricité. Physiologie végétale. Physiologie animale, fonctions, digestion. Respiration et organe de la voix. — - Sécrétions.

- Les élé

La même collection de matériaux sur l'histoire naturelle qui avait déjà fourni l'Essai analytique sur les facultés de l'âme et les Considérations sur les corps organisés donna aussi les éléments de la Contemplation de la nature que Bonnet mit en ordre et publia en 1764. Il en avait conçu l'idée depuis longtemps et voulait présenter sous cette forme un tableau abrégé, une sorte d'esquisse du plan général de l'univers. Les Considérations sur les corps organisés avaient offert des traits de détails du tableau. La Contemplation de la nature devait le développer tout entier. Avant de l'offrir au public Bonnet avait longtemps hésité; sa modestie lui faisait trouver cet ouvrage faible et il avait voulu le détruire; il aurait même exécuté son projet sans la prière d'un de ses amis, M. Bennelle. Après l'avoir presque refait et entièrement revu, il l'adressa à un autre ami, M. Allamand, professeur à Leyde, auquel il demanda son avis sur l'opportunité de cette publication.

M. Allamand lui répondit le 13 mai 1763 :

« La lecture que j'ai faite de votre manuscrit, me porte à remercier très-fort l'ami qui vous a empêché de jeter

«< ce livre au feu. Quoique superficiel il renferme cependant << de bonnes idées; il est si propre à faire naître dans << l'âme des lecteurs, des réflexions vraiment philosophiques << sur les ouvrages de la nature, que ç'aurait été une véri<< table perte pour le public s'il en avait été privé. Aussi, << sans hésiter, je le ferais mettre sous presse; M. le comte « de Bentinck, l'aîné, en a déjà lu chez moi une partie, et <<< il est de mon avis sur le contenu. >>

Il faut observer que le mot superficiel employé ici par M. Allamand, voulait dire qu'il le trouvait tel en le considérant comme un ouvrage purement scientifique; mais la Contemplation de la nature était surtout adressée par l'auteur aux débutants dans l'art difficile d'observer, et pour leur donner le goût de l'histoire naturelle plutôt que pour la leur enseigner. Comme cet ouvrage est un des plus importants de son auteur, nous en donnerons une analyse complète.

Le but principal du philosophe dans cette nouvelle production avait été de peindre aux yeux de tous d'une manière à la fois pittoresque et savante l'ordre admirable, l'harmonie sublime qui règne dans toutes les productions de ce globe que nous habitons. Il voulait ainsi nous initier au merveilleux spectacle de l'histoire naturelle. Il avait dû sans aucun doute son idée fondamentale au Spectacle de la nature de l'abbé Pluche, ouvrage où beaucoup de science se trouve enveloppée sous des formes ingénieuses mais dépourvues d'élégance, et parfois quelque peu puériles. Toutefois notre philosophe sut mettre à profit l'idée vraiment utile de Pluche et fit comme lui un tableau de tous les phénomènes du monde extérieur. La première édition parut à Amsterdam chez Marc-Michel Rey, 2 vol. in-8°, 1764. Plus tard, lorsqu'il se décida à publier une édition complète de ses œuvres, il voulait refondre entièrement son travail, mais la

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