CHAPITRE XI Fondation de la colonie de Pennsylvanie. William Penn; ses pre mières années. Il obtient la propriété du territoire. But dans lequel il veut établir une colonie. Générosité dont il fait preuve à l'égard des colons. Organisation intérieure de la colonie. Fondation de Philadelphie. Rapports de Penn avec les Indiens. Il part pour l'Angleterre. Dissensions de la colonie pendant son absence. Réclamations des habitants à son retour; leur ingratitude; mort de Penn. Fixation de la ligne de démarcation entre les colonies de Pennsylvanie et de Maryland. Description de Philadelphie vers le milieu du dix-huitième siècle. COLONIE DE PENNSYLVANIE. La Pennsylvanie fut fondée d'une manière complétement différente des autres colonies, car une charité religieuse et fraternelle, seule, fit concevoir à son fondateur l'idée d'abandonner ses droits sur le sol dont il était propriétaire, et d'y établir une colonie. · William Penn avait été élevé en Angleterre et instruit à l'université d'Oxford. Dans les derniers temps du séjour qu'il y devait faire, il prit part à des assemblées de quakers et fut chassé de l'université. Il se rendit alors en France, où il étudia à Saumur les doctrines calvinistes. L'exil ne fit qu'exciter davantage son enthousiasme religieux, et, de retour dans sa patrie, il s'enrôla, au grand désespoir des siens, dans la secte des quakers. Comme la persécution enflammait à cette époque tous les esprits en Angleterre, Penn, dont la générosité était renommée parmi ses anciens camarades, résolut de fonder en Amérique une colonie où tous ceux qui étaient persécutés à cause de leurs opinions religieuses pourraient trouver un asile. Son père, fameux amiral de la marine anglaise, mourut sur ces entrefaites. Il lui était dû par le gouvernement anglais une somme de seize mille livres sterling (400,000 fr.) qu'il avait prêtée au roi Charles II avant son avénement au trône. William Penn s'adressa au roi et lui demanda une province en Amérique en paiement de sa dette. Le roi consentit, mais Penn dut s'engager à lui envoyer tous les ans, en signe de fidélité, deux peaux de castor. Connaissant rapports qui lui furent faits que la contrée dont il était devenu propriétaire était couverte de forêts, Penn désira l'appeler « Sylvanie » (du mot latin sylva , forêt), mais le roi intervint et ordonna que le nom du propriétaire fût ajouté à ce mot et qu'ainsi elle s'appelât « Pennsylvanie. » En 1681, Penn organisa un premier convoi d'émigrants, et l'année suivante il s'embarqua sur un vaisseau portant le nom de « Bienvenu, ) pour se rendre lui-même dans sa colonie et commencer ce qu'il appelait la « Sainte expérience » (Holy experiment). Il avait fait précéder son arrivée d'une sorte de lettremanifeste dont voici la teneur : par les « Mes amis, je vous souhaite toute espèce de bonheur a ici-bas et plus haut. Ceci est pour vous faire savoir qu'il a plu à Dieu, dans sa providence, de vous meta tre dans mon lot, de vous confier à mon soin. C'est « une affaire que jusqu'à présent je n'ai point entre- . prise, mais Dieu m'a donné la conscience de mon « devoir et un esprit honnête pour agir droitement. « J'espère que vous ne serez point contrariés par ce a changement et par le choix du roi, car vous voici a maintenant solidement établis, et non pas à la merci « d'un gouverneur qui vient pour faire grande for( tune. « Vous serez gouvernés par les lois que vous ferez ( vous-mêmes; vous vivrez libres, et, si vous voulez, « comme une nation sage et industrieuse. Je n'usura perai aucun droit, et n'opprimerai personne; Dieu a m'a inspiré une meilleure résolution et m'a donné sa ( grâce pour l'exécuter. « En somme, je me prêterai cordialement à tout ce « qu'un homme sage et libre peut raisonnablement « désirer pour sa sûreté et son bonheur. Je prie Dieu o de vous diriger dans la voie de la justice, pour que « vous prospériez, et vos enfants après vouis. « Je suis votre véritable ami. ( WILLIAM PENN. « Londres, le 8 du mois d'avril 1681. » Toutes ces promesses devaient être fidèlement tenues. L'enthousiasme, déjà grand pour la personne de Penn, fut au comble à son arrivée en Amérique. On le reçut avec les honneurs qu'on eût rendus à un roi, et il est de fait qu'il méritait la reconnaissance qu'on lui témoignait, car il avait permis à tout pauvre émigrant de s'établir sur ses terres. Il n'exigea aucune compensation pour lui-même et promit, en outre, d'assurer à tous leur entière liberté de parole et de conscience. Lorsque Penn descendit à terre, la population, composée de Suédois, d'Anglais et de Hollandais, se porta à sa rencontre, et on donna lecture devant elle des actes signés du roi ; puis, s'adressant au peuple, Penn, le « roi-quaker, » comme on l'appelait quelquefois, répéta avec un accent sincère les engagements qu'il avait pris dans sa lettre du mois d'avril. En 1683, Penn acheta le terrain où il désirait fonder sa principale ville, à quelques Suédois qui l'avaient eux-mêmes obtenu des Indiens. Il lui donna le nom de Philadelphie (ce qui veut dire : amour fraternel), et en traça le plan suivant celui de la vieille cité de Babylone. Au début, la nouvelle ville de Philadelphie n'eut que quatre ou cinq petites chaumières, mais au bout de la première année on y pouvait compter une centaine de maisons, et en trois ans elle prit plus d'importance que New-York n'en avait acquis en cinquante ans. Toutefois cette dernière a depuis longtemps regagné sa supériorité sur Philadelphie, à cause des avantages que lui donne, pour le commerce, sa situation géographique. a Il semble que la seule préoccupation de Penn ait été de rendre sa colonie aussi heureuse que possible. Il assista, avant de retourner en Angleterre, à un grand conseil des chefs indiens, tenu sous un vieil orme, à Shackamaxon, et dans l'allocution qu'il prononça à cette occasion, il leur dit : « Nous sommes a ici, vous et nous, sur le large sentier de la bonne « foi et de la bonne volonté; aucun avantage ne doit « être pris par l'un sur l'autre. Je ne comparerai pas ( notre amitié à une chaîne, parce que les anneaux « peuvent se rouiller, et qu'un arbre, en tombant, « peut la rompre, mais nous sommes les deux parties « d'un même corps ; nous sommes faits de la même ( chair et du même sang. ) Les Indiens, touchés par ces douces paroles, lui répondirent : « Nous vivrons en paix et en amitié avec « Penn et ses enfants tant que le soleil et la lune lui( ront. ) Ce traité ne fut point écrit; les Indiens en conservèrent le souvenir par des chapelets de wampum 1, et Penn aimait à en parler, disant que c'était le premier traité auquel on n'eût point juré fidélité et qui ait été aussi fidèlement observé, car, dans les guerres que les Indiens eurent si fréquemment avec les colonies européennes, ils ne versèrent jamais une goutte de sang d'un quaker. Penn retourna alors en Angleterre, après un séjour 1 Coquillages qui leur servaient de monnaie. . |