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Ecrits satiriques de Franklin au début

de la révolution1.

I.

RÈGLES POUR FAIRE D'UN GRAND EMPIRE UN PETIT.

Mémoire présenté à un nouveau ministre à son entrée en

fonctions.
1773.

Un ancien sage s'estimait en ceci, que s'il ne savait pas jouer du violon, il savait comment d'une petite cité on en fait une grande. La science que je veux révéler, moi qui ne suis qu'un moderne ignorant, est justement le contraire,

Je m'adresse à tous les ministres qui ont l'administration de vastes empires, que leur étendue même rend fatigant de gouverner, parce que la multiplicité des affaires ne laisse pas de temps pour jouer du violon.

1o Et d'abord, Messieurs, considérez qu'un grand empire, comme un gros gâteau, est plus facile à entamer par les bords. Portez donc d'abord votre attention sur les provinces les plus éloignées, afin qu'une fois débarrassés de celles-là, le reste suive par ordre.

2o Pour que la possibilité d'une séparation existe toujours, prenez un soin particulier afin que les provinces ne soient jamais incorporées à la métropole, qu'elles n'aient pas les mêmes droits, les mêmes priviléges commerciaux et enfin qu'elles soient gouvernées par des lois plus sévères, toutes de votre fabrique, sans qu'on leur donne jamais aucune part au choix des législateurs. En faisant et en maintenant avec soin de pareilles distinctions, vous agirez (je suis ma comparaison du gâteau) comme un sage fabricant de pain d'épices, qui, pour faciliter la

1 Extraits de la Correspondance de Benj. Franklin, traduite et annotée par Ed. Laboulaye.

division, fend à moitié sa pâte là où il veut qu'une fois cuite, elle se casse en morceaux.

3° Peut-être ces provinces éloignées ont-elles été acquises, achetées ou conquises par le seul effort des colons ou de leurs ancêtres, sans l'aide de la mère-patrie. Si par hasard ces colons augmentaient la force de la mère-patrie, toujours croissant en nombre et toujours prêts à l'aider dans ses guerres, s'ils augmentaient son commerce par des demandes toujours croissantes à ses fabriques, s'ils augmentaient sa marine, lui employant de plus en plus ses vaisseaux et ses matelots, peut-être croiraient-ils avoir quelque mérite et avoir droit à quelque faveur; ayez soin de tout oublier ou d'en être blessés comme d'une injure qu'ils vous auraient faite. Et si c'étaient des whigs zélés, des amis de la liberté, nourris dans les principes de la révolution, rappelez-vous tout ceci, mais pour les en punir. Quand une révolution est solidement établie, de pareils principes ne sont pas seulement inutiles; ils sont odieux et abominables.

4° Vos colonies se soumettent pacifiquement à votre gouvernement, elles ont montré toute l'affection qu'elles portent à vos intérêts, elles ont souffert leurs maux en patience; il n'importe! Supposez-les toujours disposées à la révolte et traitez-les en conséquence. Logez chez elles des soldats qui, par leur insolence, provoquent l'émeute et qui la répriment avec des balles et des baïonnettes. De cette façon, vous ferez comme ces bons maris qui, par soupçon, maltraitent leurs femmes; avec le temps, vos soupçons deviendront des réalités.

5o Aux provinces éloignées, il faut des gouverneurs et des juges qui représentent la personne royale, et exercent partout la part d'autorité qu'il leur a déléguée. Or vous, ministres, vous n'ignorez point que la force du gouvernement dépend beaucoup de l'opinion du peuple, et que cette opinion du peuple dépend beaucoup du choix des gouvernants qu'on lui donne. Si donc, pour les gouverner, vous envoyez aux colons des hommes sages et bons, qui étudient l'intérêt et favorisent la prospérité de

la province, les colons penseront que le roi est sage et bon, et qu'il désire le bien-être de ses sujets. Si, pour les juger, vous leur envoyez des hommes instruits et droits, ils penseront que le roi est un ami de la justice. Cela attachera davantage vos provinces au gouvernement du roi. Faites donc bien attention à ceux que vous recommanderez pour ces fonctions. Si vous pouvez trouver des prodigues qui ont dissipé leur fortune, des joueurs ruinés, des spéculateurs en faillite, cela fera d'excellents gouverneurs, car il est probable qu'ils seront rapaces et qu'ils irriteront le peuple par leurs extorsions. Des procureurs chicaniers, des légistes ergoteurs, ne feraient pas mal non plus, car ils disputeront et querelleront sans cesse avec leurs petits Parlements. Si de plus ils sont ignorants, entêtés et insolents, tant mieux. Avec des clercs de procureur et des avocats de cour d'assises, vous ferez des juges excellents, surtout s'ils ne gardent leur place qu'à votre bon plaisir. Tous ensemble contribueront à imprimer dans l'esprit des colons cette idée de votre gouvernement qui convient à un peuple dont vous voulez vous débarrasser.

6o Pour confirmer ces impressions et les enfoncer davantage, ayez soin, chaque fois qu'un opprimé vient à la capitale pour se plaindre de mauvaise administration, d'oppression ou d'injustice, ayez soin, dis-je, de punir le plaignant par de longs. délais, des frais énormes, et enfin par un jugement rendu en faveur de l'oppresseur. De toute façon, ceci aura un effet admirable. Vous éviterez l'ennui de recevoir de nouvelles plaintes, tandis que vos gouverneurs et vos juges seront encouragés à de nouvelles violences et de nouvelles injustices. Par là, le peuple sera de moins en moins affectionné, et finira par être désespéré.

7° Quand ces gouverneurs auront rempli leurs coffres, et se seront rendus si odieux aux colonies qu'ils n'y pourront plus rester en sûreté, rappelez-les et récompensez-les avec des pensions, Vous pouvez même les faire baronnets, si ce corps res

pectable n'en prend pas d'ombrage. Tout cela encouragera les nouveaux gouverneurs à suivre les mêmes pratiques et fera détester le gouvernement du roi.

8. Si tandis que vous êtes engagés dans une guerre, vos colonies rivalisent à qui vous fournira le plus d'hommes et d'argent sur votre simple réquisition, si elles donnent au delà même de leurs forces, réfléchissez qu'un penny que vous leur prenez d'autorité est plus honorable pour vous qu'une livre sterling qu'elles vous offrent par amitié; méprisez donc leurs dons volontaires et prenez le parti de les harasser par des taxes nouvelles. Il est probable que les colonies se plaindront à votre Parlement d'être taxées par un corps où elles n'ont pas de représentants. «Cela, diront-elles, est contraire au droit commun. >> Elles pétitionneront pour obtenir justice. Que le Parlement insulte à leurs plaintes, qu'il rejette leurs pétitions, qu'il refuse même d'en entendre la lecture, qu'il traite les pétitionnaires avec le dernier mépris. Pour produire la séparation désirée, rien ne peut avoir un meilleur effet; on pardonne l'injure, on ne pardonne pas le mépris.

des

9o En établissant ces taxes, ne faites jamais attention aux lourdes charges qui pèsent déjà sur ce peuple obligé de défendre ses frontières, d'ouvrir des routes, de bâtir des ponts, églises et d'autres édifices publics, toutes choses que vos ancêtres ont faites pour vous, mais qui saignent à blanc la bourse d'un peuple nouveau. Oubliez les restrictions que vous avez mises sur leur commerce dans votre seul intérêt, oubliez les avantages que ce monopole donne à vos marchands exigeants. Ne faites pas attention à la richesse que vos marchands et vos manufacturiers acquièrent par le commerce colonial, à la facilité que cette richesse leur donne pour payer des taxes à l'intérieur; ne voyez pas qu'ils mettent le plus fort de la taxe dans le prix de leurs articles, et qu'ils le font ainsi payer par le consommateur; tout cela, et ces milliers de vos pauvres qu'emploient et que soutiennent les colons, oubliez-les complétement; il le

faut. Mais n'oubliez pas de rendre Vos taxes arbitraires encore plus pénibles pour vos provinces, en déclarant hautement que votre droit de les taxer n'a pas de limites, de telle sorte que, lorsque vous leur prenez un shilling par livre, vous avez un droit évident sur les dix-neuf qui restent. Il est probable que vous affaiblirez ainsi toute idée de sécurité et que vous convaincrez les colons que, sous un tel gouvernement, ils n'ont rien qu'ils puisseut appeler leur propriété; ce qui ne peut manquer de produire les plus heureuses conséquences!

10° Il est possible que quelques-uns de ces colons se fassent encore illusion et disent : « Si notre propriété n'est plus à nous, << du moins il nous reste encore quelque chose qui a son prix; << nous avons la liberté constitutionnelle, liberté de la personne « et de la conscience. Ce roi, ces lords, ces communes, qui sem<< blent trop loin de nous pour nous connaître et pour s'inquiéter << de nous, ne peuvent nous enlever notre droit d'Habeas corpus, << notre droit d'être jugés par un jury de notre voisinage; ils ne « peuvent nous priver de l'exercice de notre religion, ni changer « notre constitution ecclésiastique, ni nous forcer d'être, sui<< vant leur bon plaisir, ou papistes ou mahométans. »

Pour dissiper cette illusion, commencez par embarrasser leur commerce avec des règlements infinis, impossibles à retenir et à observer; faites saisir leurs propriétés à chaque infraction; ôtez au jury le jugement de ces propriétés; remettez-le à l'arbitraire de juges nommés par vous, tarés dans le pays, payés et avantagés sur ces condamnations, et révocables à votre bon plaisir. Ensuite, faites déclarer formellement par les deux Chambres que toute opposition à vos édits est une trahison, que tout colon suspect de trahison sera saisi suivant une loi tombée en désuétude, et transporté dans la métropole de l'empire pour y être jugé. Rendez une loi afin que ceux qu'on accuse de certains autres délits soient chargés de chaines et envoyés loin de leurs amis et de leur pays, pour être jugés de

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