CHAPITRE VI Probisher reprend les plans de Cabot et arrive à la baie de Baffin. – Sir Francis Drake passe par le détroit de Magellan ; il explore Jes côtes de l'océan Pacifique jusqu'à la baie de San-Francisco. Sir Humphrey Gilbert crée quelques établissements dans l'ile de Terre-Neuve. – Sir Walter Raleigh fonde une colonie dans l'ile de Ransoke. Il revient en Angleterre où il introduit l'usage du tabac et de la pomme de terre. Il organise une seconde expédition; son entreprise échoue complétement. Formation des Compagnies de Plymouth et de Londres; résultats différents qu'elles obtinrent dans leurs essais de colonisation. Nous devons d'abord remarquer qu'à cette époque le nom d'Amérique du Nord était à peine employé. D'après les cartes faites de 1530 à 1560 par différents à navigateurs qui avaient exploré les côtes du Nouveau Monde, nous voyons que le nom d'Amérique fut, dès l'origine, donné à l'Amérique du Sud. Ce fait est d'ailleurs facile à expliquer, car c'est cette partie du continent qu'Améric Vespuce visita et décrivit dans ses relations de voyages, la prenant pour une ile. Plus tard, lorsque les Espagnols vinrent s'établir dans l'Amérique du Nord, ils l'appelèrent a Floride; » les Français lui donnèrent le nom de Canada ou Nouvelle-France, et ces deux nations s'en disputèrent la possession, chacune des deux ayant, par ses conquêtes, des droits à peu près égaux. Pendant ces débats et ces luttes, les Anglais n'a- . vaient pas oublié que Jean Cabot et son fils Sébastien ។ avaient, les premiers, mis le pied sur le continent américain. Sir Walter Raleigh et quelques hommes de courage voulurent entreprendre de coloniser pour le compte de l'Angleterre les terres découvertes par ces navigateurs. Les Anglais avaient toujours revendiqué leurs droits à la possession de tout le territoire compris entre le Canada et la Floride; ils l'avaient nommé « Virginie ». pour plaire à leur reine Élisabeth, qui aimait à être appelée « la reine vierge. » Mais, jusque vers l'année 1575, ils ne semblèrent pas vouloir s'occuper activement d'une conquête que les susceptibilités de nations rivales pouvaient rendre périlleuse. Frobisher fut le premier à inaugurer une nouvelle ère de voyages en reprenant les plans de Cabot. Il se mit à la recherche de la route des Indes par le nordquest, mais, arrêté par les glaces, dans la baie de Baffin, il déclara toutes les terres qu'il avait devant lui apanage de la couronne d'Angleterre, puis revint dans son pays. Sir Francis Drake fit plusieurs expéditions au Nouveau Monde. Se trouvant dans l'isthme de Panama, il grimpa au haut d'un arbre très-élevé d'où il aperçut l'immensité de l'océan Pacifique. Il revint en Angleterre où il arma quelques navires, puis, traversant le détroit de Magellan, il remonta toutes les côtes de l'Amérique du Sud et arriva dans la baie de San-Francisco. Après avoir fait quelques réparations à son navire, il se remit en route et, passant par le cap de Bonne-Espérance, retourna en Angleterre, ayant ainsi fait le tour du Monde. Sir Humphrey Gilbert ne chercha point à faire de nouvelles découvertes. Connaissant, par les rapports qui avaient été publiés, les ressources du continent américain, il pensait qu'il était préférable, au lieu de courir après des épices et de l'or introuvables, de former sur ces nouvelles terres des colonies permanentes. Il transporta quelques compagnies d'émigrants dans l'île de Terre-Neuve, où elles s'établirent, puis il entreprit de retourner en Angleterre dans une barque ne mesurant pas dix tonnes. A moitié chemin, il fut surpris par une tempête épouvantable qui détruisit son embarcation; ni lui, ni aucun des marins qui l'accompagnaient ne survécurent à cette catastrophe. Quoique le roi d'Angleterre Henri VII eût remis à Jean Cabot une commission royale pour les découvertes faites par lui sur les côtes de l'Amérique du Nord, il n'avait jamais songé à exercer effectivement sa souveraineté. Un temps considérable se passa avant que l'Angleterre ne fît valoir ses titres : c'est lorsque le pouvoir de cette puissance se fut agrandi par le commerce et que sa jalousie fut excitée par les richesses que l'Espagne tirait de ses colonies transatlantiques, c'est alors seulement, sous le règne d'Élisabeth, que sir Walter Raleigh' adopta les vues de son frère de lait Gilbert, et voulut continuer son projet. 1 Il importe de ne pas laisser passer, sans en esquisser les principaux traits, la figure originale de ce « grand pasteur de l'Ocean. >> Ayant obtenu de la reine Élisabeth le don de tout le territoire appelé Virginie, il partit, emmenant une nombreuse troupe de ses compatriotes et débarqua à l'île de Ransoke, où il posa les premiers jalons d'une colonie. Mais là encore, les difficultés éprouvées auparavant se présentèrent de nouveau : les colons refusèrent de cultiver la terre pour se livrer exclusivement à la recherche de l'or et des pierres précieuses. On était loin de s'attendre au seul résultat qu'eut ce voyage. Raleigh et quelques-uns de ses compagnons, lorsqu'ils virent l'insuccès de leurs efforts de colonisation, retournèrent en Angleterre, où ils introduisirent l'usage du tabac et de la pomme de terre. On raconte à ce sujet une anecdote peu connue : dans ce premier voyage en Amérique, Raleigh avait contracté l'habitude de fumer; de retour en Europe, il se retirait souvent dans son cabinet de travail pour satisfaire ce goût, alors étrange. Ayant un jour donné l'ordre à un de Gentilhomme accompli, c'est lui qui jeta son manteau brodé sous les pas d'Elisabeth, pour qu'elle ne mit pas le pied dans la boue. Rival presque heureux du comte d'Essex, il fut, sous le règne suivant, en butte aux vengeances de l'ami du comte, de Jacques [er. Envelopps dans un complot, il fut condamné à mort; son innocence était tellement manifeste qu'on n'osa point exécuter la sentence, mais on enferma le condamné dans la Tour de Londres. Les douze années qu'il y resta furent consacrées au Nouveau Monde qui, avant comme après cet emprisonnement, fut le but de tous ses voyages et de toutes ses pensées. Il écrivit une foule d'ouvrages sur l'Amérique, dont quel. ques-uns se lisent encore aujourd'hui. Un acte de piraterie qu'il exerça dans son dernier voyage donna au roi Jacques l'occasion d'exercer sa vengeance et de faire revivre l'arrêt de mort porté contre Raleigh. Agé de soixante-dix ans, en 1618. l'intrépide et opiniâtre homme de mer perit sur l'échafaud. ses domestiques de lui apporter un pot de bière, celui-ci, voyant de la fumée sortir de la bouche de son maître, crut qu'il était en feu, et, perdant la tête, lui jeta à la figure le contenu du pot de bière qu'il tenait à la main, puis il courut hors de la maison, appelant au secours, dans la certitude que sir Raleigh allait être réduit en cendres. Sir Walter Raleigh, quoique déçu, ne fut point découragé par le peu de succès de son premier voyage; mais la seconde fois, au lieu d'envoyer aux colonies qu'il voulait à toute force établir, des hommes seuls, il y envoya des familles entières. Celles-ci commençaient à prospérer, lorsque, par suite de circonstances inconnues, les établissements anglais furent détruits et tous les habitants disparurent, sans qu'il ait été jamais possible de retrouver leurs traces. Enfin, dégoûté, et ayant englouti dans son entreprise la plus grande partie de sa fortune, Raleigh abandonna ses droits au roi Jacques I'', qui, le 10 avril 1606, les divisa entre deux compagnies qui venaient de se former. Le roi décida que de tout le territoire appelé Virginie qui leur était cédé, il serait formé deux parts dont l'une, celle du nord, appartiendrait à la Compagnie de Plymouth, et l'autre, celle du sud, serait la propriété de la Compagnie de Londres. En outre, il était stipulé qu'afin d'éviter toute chance de querelles, aucune des deux compagnies ne pourrait fonder d'établissement à une distance du territoire de l'autre, moindre de cent milles. |