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CHAPITRE VI I.

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VICE-CONSUL DE RHODES. CONSULS DU LEVANT. MAUVAISE POLITIQUE DU GOUVERNEMENT FRANÇAIS ENVERS LES TURCS. ILE ET VILLE DE RHODES. RATS. CHANTIERS POUR LA MARINE.

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COLOSSE DE RHODES. STATUES.

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CLIMAT ET FERTILITÉ DE L'ILE. SES NOMS. COMPARAISON DE SON ÉTAT AN

CIEN AVEC SA SITUATION ACTUELLE.

que

PLUS fatigué de la triste solitude de mon petit navire des incommodités que j'y éprouvois, je m'empressai d'en sortir aussitôt que l'ancre fut jetée dans le port de Rhodes. Je me présentai chez le vice-consul de France, le seul des nations d'Europe qui résidât dans l'île. Il n'habitoit pas la ville même de Rhodes, et il faisoit sa demeure dans un petit village grec, hors de l'enceinte de la ville, mais pouvant être considéré comme un faubourg. Je trouvai chez M***. l'accueil le plus honnête et des politesses au-dessus de

celles

celles que la routine a consacrées et que néanmoins les voyageurs ne rencontrent pas toujours. L'on ne voit que trop souvent l'homme auquel le gouvernement confie quelqu'autorité dans les pays étrangers, celui sur-tout que l'amour-propre aveugle jusqu'à lui persuader qu'il change de nature et qu'il n'est plus le même homme, dès qu'il entre en place, composer son extérieur d'une morgue froide et rebutante qu'il prend pour le ton décent, mais affable, de la dignité; craindre l'approche de l'observateur assez clair-voyant pour s'apercevoir de son ineptie, et quelquefois de quelque chose de pis; enfin mettre en jeu une multitude de petits ressorts, parmi lesquels l'incivilité et le manque d'égards sont les plus puissans aux yeux d'un voyageur délicat, pour l'écarter, et, comme je l'ai entendu dire à quelques-uns, pour se débarrasser de recherches importunes. Jaloux d'ailleurs des connoissances que recueille un observateur éclairé, dans des pays que la plupart des personnages dont je parle ne faisoient qu'habiter; s'imaginant que les observations de tout genre dont la plupart étoient incapables, devoient, comme les relations officielles de leur administration, rester une affaire de bureaux et Tome I. K

n'être transmises que par eux seuls, ils employoient leur influence à lui susciter des obstacles et à le contrarier dans ses projets.

Ces réflexions, que la rencontre d'hommes orgueilleux, quoiqu'avec si peu de motifs de l'être, m'avoit fait naître dans le Levant et les colonies, ne m'occupoient point l'esprit à Rhodes. Ami des sciences, M*** honoroit et combloit de prévenances ceux qui les cultivoient, et son zèle ne pouvoit être comparé qu'à l'aimable hospitalité, qu'il se faisoit un plaisir d'exercer envers eux. Il employoit ses loisirs à rassembler divers objets de curiosité qu'il avoit grand soin d'envoyer en France aux sociétés savantes; un assez grand nombre de médailles, tant de l'île de Rhodes que de la Caramanie, avoit été acquis par lui et adressé à l'académie des belles - lettres de Paris; et cette compagnie avoit chargé M. Dacier de sa correspondance avec M ***. L'on regrettoit que son instruction en quelque genre ne fût pas toujours au niveau de sa bonne volonté : il avoit, par exemple, de singulières notions d'histoire naturelle. Quoique je pusse lui dire, il regardoit les salamandres, communes dans son île, comme des animaux incombustibles, et pouvant vivre dans le feu.

Son cuisinier en avoit trouvé une, m'assuroit-il, au milieu du brasier le plus ardent, comme dans son élément naturel : il se plaisoit à me la montrer, conservée dans l'esprit de vin; et sa prévention étoit si forte, qu'il ne faisoit pas attention que le reptile avoit les pattes grillées. Il voulut aussi que je me chargeasse, pour le cabinet d'histoire naturelle, d'un morceau de pierre dont la forme lui faisoit croire que c'étoit une pétrification humaine fort extraordinaire ; sa persuasion à cet égard étoit tellement complète, que, dans une note jointe à l'envoi, il exprimoit son vœu pour qu'une main habile pût enlever la première enveloppe pierreuse sous laquelle il ne doutoit pas que l'on ne découvrit les tégumens, les glandes, les fibres et toutes les parties les plus délicates de la nature vivante.

Ces légères erreurs que l'on n'auroit pas pris la peine de remarquer dans d'autres personnes moins animées de l'amour des sciences, devenoient en quelque sorte respectables chez M***, parce qu'elles étoient la preuve de son envie de se rendre propres tous les genres d'utilité; mais celui dans lequel il se distinguoit le plus, étoit l'exercice de ses fonctions. Aucun des consuls du Levant n'avoit ac

quis une considération plus méritée de la part des commandans militaires des vaisseaux françois; aucun ne s'étoit concilié plus géné ralement le respect et la confiance des capitaines des vaisseaux du commerce. Il eut souvent à lutter en faveur de ces derniers contre le Nazir, ou intendant de marine, qui commandoit à Rhodes, en l'absence du pacha. Cet officier turc, méchant homme, et ennemi des Européens, cherchoit toutes les occasions de les tourmenter. Les navires françois qui abordoient à Rhodes, étoient souvent l'objet des vexations de l'avide musulman, comme de l'énergie courageuse de M*** à les défendre. C'est une justice que se plaisoient à lui rendre toutes les personnes qui prenoient quelque part au commerce du Levant; et mon digne et malheureux ami, l'honnête et sensible d'Entrecasteaux en particulier, qui, pendant ses différentes croisières dans l'Archipel, avoit été témoin des prétentions exagérées du Nazir et de la courageuse résistance de M***, répétoit souvent les témoignages les plus honorables pour celui-ci, et gémissoit de son peu de succès à obtenir la réparation des outrages que les François éprouvoient à Rhodes.

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