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verses sortes de belles fleurs, et les plantes aromatiques y répandent au loin leur odeur forte et suave. Des orangers, des citronniers, des grenadiers et d'autres arbres fruitiers, forment encore des bosquets autour des habitations; la plupart ne perdent jamais leur parure du printemps; la plupart aussi se couvrent de fleurs odoriférantes, et le henné y mêle le parfum de ses grappes. Sous cest berceaux embaumés et silencieux, dans lesquels des eaux amenées par des canaux souterrains entretiennent la verdure et la fraîcheur, l'on aimeroit à se rappeler que la déesse de l'île les consacra pour ses plus doux mystères, si les jouissances du cœur pouvoient exister dans des lieux que les déchiremens de la destruction environnent, et qui font naître des souvenirs affligeans.

Dans tous les endroits qu'une inepte tyrannie n'a pas condamnés à une stérile nudité, les plantes céréales donnent des moissons abondantes; mais les espaces qu'elles occupent sont très circonscrits, si on les compare aux campagnes qu'elles ont couvertes, et qui ne présentent plus que les livrées de l'abandon et de la misère. Le froment et l'orge furent un des principaux objets

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d'exportation; aujourd'hui ils suffisent à peine à la subsistance de la population de l'île, même lorsqu'ils échappent à un autre fléau, formidable par la quantité vraiment prodigieuse, plutôt que par la force de ses élémens. Des milliers de myriades de sauterelles viennent quelquefois en nuages épais fondre sur les champs, prêts à. rendre au cultivateur l'échange de ses travaux et de ses sueurs. L'incendie est moins prompt: dans quelques instans les tiges des plantes sont couchées et coupées en morceaux, les épis dévorés, les récoltes anéanties et les campagnes désolées.

Ces ravages ne se bornent pas aux moissons; les sauterelles dépouillent aussi le mûrier de ses feuilles, et elles livrent ainsi à la mort l'insecte précieux qui s'en nourrit : d'autres plantes utiles deviennent leur proie. A leur approche toute verdure disparoît, et elles rongent même jusqu'à l'écorce des arbres.

C'est de cette funeste combinaison de l'oppression du gouvernement et des marques accidentelles, mais malheureusement trop souvent répétées de la colère de la nature, que dérivent l'état de langueur et le dépérissement presque total de l'agriculture de · Chypre.

L'on

L'on a cherché à expliquer comment des insectes ailés, à la vérité, mais peu susceptibles d'un vol de longue durée, pouvoient paroître tout-à-coup, comme un orage dévastateur, sur des terres que la mer entoure. Des naturalistes ont pensé que les sauterelles, hors d'état de traverser un grand espace de mer, se rendoient en Chypre avec les vaisseaux de Syrie, dans lesquels elles se tiennent cachées pendant le voyage1; mais il seroit difficile d'expliquer, dans cette hypothèse, la subite apparition de ces nuages animés dans certaines années, tandis que dans d'autres l'on n'en voit pas. D'un autre côté, les navigateurs ne devroient-ils pas s'apercevoir de cette multitude prodigieuse d'étrangers, et pourroit-on supposer qu'ils consentissent à les transporter complaisamment dans des pays où la disette et la désolation débarqueroient avec eux? Il est d'ailleurs un fait certain, et qui éloigne l'idée de l'embarquement des sauterelles; c'est que les rivages de la mer, sur les côtes de l'île de Chypre, sont

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Hasselquitz, Voyage dans le Levant, publié par C. Linnæus, et traduit de l'allemand, par M***, partie 2, pag. 176. Lettre à M. Linnæus, datée de Smyrne, le 29 août 1751.

Tome I.

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quelquefois couverts et infectés au loin de leurs cadavres flottans sur la surface des eaux; et ces vastes naufrages supposent une traversée plus périlleuse qu'une navigation sur des vaisseaux. L'on ne peut donc douter que ces essaims de sauterelles n'arrivent du continent, où, de l'aveu de M. Hasselquitz, ils doivent se former au milieu des déserts de l'Arabie, et d'où ils partent soutenus et poussés par les vents.

La pointe la plus orientale de l'île de Chypre, le cap Saint-André, n'étant guère éloigné des côtes de la Syrie que de vingt à vingt-cinq lieues, un coup de vent peut aisément y apporter des insectes légers, qui s'aident de leurs ailes, et qui ont beaucoup de force et d'agilité. L'on sait positivement que les sauterelles voyageuses ont traversé des mers plus larges que ce détroit. M. Niebur rapporte qu'au mois de novembre 1762, une quantité prodigieuse de sauterelles s'abattit dans les environs de Dsjidda, ville d'Arabie, sur les bords de la mer Rouge, après avoir franchi cette mer, qui, à cet endroit, a plus de cinquante lieues de largeur; il en périt beaucoup, à la vérité, dans le trajet, ce qui n'empêcha pas qu'elles ne se répandissent

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dans les campagnes en nombre inconcevable1. J'ai vu moi-même des sauterelles s'abattre sur un vaisseau, dans une navigation le long des côtes occidentales de l'Afrique," par le travers du cap Blanc, et hors de la vue de toute terre. Nous ne pouvions penser que ces insectes se fussent embarqués avec nous; ils nous arrivoient de l'est, et ils étoient d'une espèce inconnue en France; toutes leurs parties étoient d'un jaune pale, ou de couleur de feuille morte. Ceux qui ne se contentent pas d'étudier la nature dans les li vres ou dans les collections, et qui parcourent avec quelqu'attention les immenses galeries qu'elle a disposées elle-même avec un ordre admirable pour en faire un sujet éternel de contemplation, ceux-là, dis-je, ont pu remarquer que la grande sauterelle verte de nos prés s'élève avec rapidité à une assez grande hauteur et se soutient assez longtemps en l'air, lorsque le temps est chaud, le ciel serein et l'atmosphère sans humidité; l'on jugera d'après cela, que les espèces errantes, vraisemblablement plus nerveuses, comme plus exercées aux voyages, peuvent,

* Description de l'Arabie, édit. française, tome I, in-4°., pag. 148 et suivantes.

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