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CHAPITRE PREMIER

Les grands systèmes

1. J.-P. DE CROUSAZ. 2. L'ABBÉ DUBOS. - 3. LE PÈRE

B

ANDRÉ.

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4. L'ABBÉ BATTEUX.

IEN avant le XVIIe siècle, on trouve en France des théories artistiques, mais les systèmes esthétiques proprement dits n'apparaissent qu'avec le commencement du XVIIe siècle. Aux Arts poétiques, qu'on rencontre déjà vers le xve siècle, et aux traités. techniques de la peinture ou de l'architecture, succèdent, vers la fin du règne de Louis XIV, les études esthétiques à tendances psychologiques et philosophiques.

Après le grand siècle, où dans tous les arts, le génie français avait enfanté tant de chefs-d'œuvre, après la première fièvre de la création, on en vint naturellement à se poser la question : « Qu'y a-t-il de commun entre toutes ces œuvres d'art créées ? Quel est le but même de l'art et quelle est sa raison d'être ? »

A la fin du xvIIe siècle, n'écrit-on pas, par exemple, à propos de la littérature théâtrale, des livres, des brochures, des traités, des sermons, des préfaces, des apologies? Ne se demande-t-on pas constamment si le théâtre a une valeur morale ou non?

On pousse même l'esprit critique beaucoup plus loin, et au nom de la raison on compare la production artistique du grand siècle français à celle des Grecs et des Romains. C'est là le fait essentiel, le fait qui contribua le plus à l'éclosion de l'esprit philosophique en matière esthétique. C'est pendant la querelle des anciens et des modernes, cette lutte longue et parfois peu intéressante, qu'on prépara le terrain propre à l'éclosion des systèmes esthétiques. Et certainement ce ne furent pas ceux qui prirent part à la lutte qui profitèrent davantage de la querelle, mais ceux qui n'en étaient que de simples spectateurs. Perrault, dans ses Parallèles, comme Fontenelle, dans sa Digression, ne présentent que des doctrines artistiques, mais ceux qui viendront après eux sauront, voir les choses

d'un peu plus haut; ils ne seront partisans ni des anciens ni des modernes et ils échafauderont des systèmes esthétiques (1).

On a soutenu, avec beaucoup de bon sens, que la querelle des anciens et des modernes est le résultat de l'influence de l'esprit cartésien; effectivement, les modernes triomphèrent à l'aide de l'idée cartésienne du progrès (2). Emile Krantz est allé encore plus loin en voulant tirer de l'oeuvre de Descartes une esthétique entière (3). Cette tentative nous paraît trop audacieuse, car dans les quelques lettres de Descartes à Balzac, que Krantz analyse, on trouve bien quelques jugements d'ordre artistique, mais on est trop loin de la moindre remarque proprement esthétique.

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Peut-être l'esprit cartésien a-t-il eu une influence prépondérante sur l'évolution artistique en France influence que l'on constate d'ailleurs dans la première moitié du xvire siècle - mais Descartes et son siècle n'ont guère dépassé le stade artistique, tel que nous l'avons défini. Les systèmes esthétiques à proprement parler n'apparaissent qu'avec le xvIIIe siècle.

1. Le premier travail d'esthétique en langue française est le Traité du Beau que J.-P. de Crousaz publia à Amsterdam en 1715. Cet auteur étant professeur de philosophie et de mathématiques à l'Académie de Lausanne, son traité est nettement marqué de l'esprit de ces deux sciences. En effet, Crousaz examine la question du

(1) Consulter: Brunetière, L'évolution des genres, etc. (L'évolution de la critique, 1890. Quatrième leçon). Brunetière écrit, étudiant Charles Perrault : « Grâce en effet aux préjugés mêmes qu'il apportait dans la question, auteur d'un poème sur la Peinture, frère de l'architecte de la colonnade du Louvre, ami de Fontenelle, et comme tel un peu frotté de science, contrôleur enfin des bâtiments du roi, on pourrait dire qu'il a mis la critique littéraire sur le chemin de l'esthétique générale, en mêlant constamment, dans son Parallèle, aux réflexions de l'ordre uniquement littéraire, des considérations, souvent ingénieuses, tirées des autres arts ou de la science même, et en tâchant de les concilier ou de les coordonner les unes et les autres sous la loi de quelques principes généraux. » (Loc. cit., p. 120). Le chapitre entier serait à consulter.

Consulter Rigault, Histoire de la querelle des anciens et des modernes, 1850.

(2) Consulter G. Lanson, L'influence de la philosophie cartésienne sur la Littérature française, dans la Revue de Métaphysique et de Morale. Juillet 1896.

Brunetière nie cette influence, Manuel de l'Histoire de la Littérature française, p. 147.

(3) Emile Krantz, Essai sur l'Esthétique de Descartes étudiée dans le rapport de la doctrine cartésienne avec la Littérature classique française au XVIIe siècle (thèse), 1882.

beau, d'une manière suffisamment positive et objective, pour l'époque à laquelle il écrivait.

Sa méthode, qu'il prend soin de nous indiquer, est celle de son temps, c'est la méthode cartésienne. «...J'éviterai soigneusement, écrit-il, de bâtir sur des principes douteux, je me conduirai avec tout l'ordre et toute la précaution qui me sera possible, je ne passerai point à une seconde pensée, sans avoir bien établi la précédente; et j'aime mieux charger mon discours de quelques réflexions superflues, que de hasarder quelques fausses vraisemblances, et de laisser quelques-unes de mes propositions à demi prouvées » (1). Ne nous fait-il pas craindre d'ailleurs dans une phrase rappelant l'instrospection cartésienne que pareil à l'araignée qui bâtit ses toiles de sa propre substance, lui aussi ne fasse sortir la Sagesse tout équipée de son cerveau. « J'ai écarté de mon esprit, écrit-il, toutes les impressions que j'y avais reçues, pour rentrer uniquement dans moi-même, et me réduire aux notions les plus simples et les plus incontestables » (2). Heureusement, il oublie de temps en temps sa menace.

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Examinons sa doctrine. Ceux qui disent cela est beau, selon Crousaz, «s'apercevront qu'ils expriment par ce terme un certain rapport d'un objet avec des sentiments agréables, ou avec des idées d'approbation, et tomberont d'accord que dire, cela est beau, c'est dire, j'aperçois quelque chose que j'approuve, ou quelque chose qui me fait plaisir » (3).

Comme on le voit par cette citation, Crousaz se fonde sur l'analyse psychologique pour définir le beau. Les idées et les sentiments prennent part au jugement esthétique; parfois ils sont d'accord et l'objet mérite le nom de beau aux deux points de vue : rationnel et affectif; mais parfois les idées et les sentiments se combattent et alors le même objet à un égard plaît et à un autre ne plaît pas.

Pourtant Crousaz ne peut s'empêcher de donner, dans une certaine mesure, la préférence aux « idées» ou, si l'on veut, à la raison. On voit surtout cela dans la définition qu'il donne du goût. Pour Crousaz le goût est une raison spontanée, une raison intuitive. « Le bon goût nous fait d'abord estimer par sentiment ce que la raison aurait approuvé, après qu'elle se serait donné le temps de l'exa

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miner assez pour en juger sur de justes idées. Le mauvais goût au contraire nous fait sentir avec plaisir ce que la raison n'approuverait pas» (1). Mais, tout en reconnaissant que Crousaz est rationaliste en partie, nous ne saurions être pleinement d'accord avec Croce qui veut voir en Crousaz un «< cartésien éclectique » et écrit que ce dernier « replaçait le beau non dans ce qui plaît, dans le sentiment dont on ne peut discuter, mais dans ce qu'on approuve, et qui se réduit par suite à des idées » (2).

Si nous laissons de côté pour un instant la psychologie et si nous examinons les caractères de l'objet beau, nous verrons que Crousaz les définit par l'ancienne formule de l'unité dans la variété, qu'il rajeunit un peu. En effet, pour notre auteur, la variété doit être tempérée par l'uniformité, la régularité, l'ordre et la proportion (3). Malgré l'amendement de Crousaz, cette définition reste si nulle qu'on s'explique mal la colère de Diderot contre notre auteur, qu'il essaie d'écraser à l'aide de l'autorité de Saint Augustin. En multipliant les caractères du beau, vous le particularisez, s'écrie Diderot, pour qui les abstractions les plus vagues sont encore trop peu vagues (4).

Mais à côté de cette définition du beau, Crousaz en donne une autre qui nous semble beaucoup plus intéressante: le beau consisterait dans la relation de toutes les parties à un seul but. Cette conception finaliste de la beauté, il l'applique à l'architecture, tout d'abord, mais aussi bien aux autres arts qu'à la nature et même à l'homme. « Le corps humain est fait pour vivre, écrit-il, pour vivre en santé, pour agir et pour exécuter les ordres de l'âme. Tout ce qui contribue à quelqu'une de ces quatre fins contribue à la perfection du corps, et tout ce qui accompagne ces dispositions doit paraître beau à un esprit et à des sens qui ne seront pas prévenus de quelques faux principes » (5).

Examinant la question des parures féminines, il applique le même critère élargi. « Les parures qui cachent des défauts, ou qui exposent plus avantageusement ce qui est effectivement beau et qui méritent l'attention, vont au but pour lequel elles sont des

(1) Loc. cit., p. 68.

(2) B. Croce, l'Esthétique comme science de l'expression et linguistique générale, II partie, p. 201 (Trad. de Bigot, parue en 1904).

(3) Loc. cit., p. 13-16.

(4) Diderot, Recherches philosophiques sur l'origine et la nature du beau. (5) Loc. cit., p. 29.

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