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Les beaux-arts cherchent avant tout, selon Chastellux, à procurer des sensations agréables et les hommes goûtent ces sensations indépendamment de toute utilité. « Un banc, un fauteuil, attirent ou repoussent les regards suivant la forme qu'on leur a donnée, et cela indépendamment de toute idée de convenance ou d'utilité » (1).

Les beaux-arts n'imitent pas passivement la nature. « Soyons donc plus justes envers les beaux-arts et rendons-leur les titres de noblesse qu'on veut leur òter. Ils ne sont pas seulement imitateurs, mais créateurs; et non contents de copier la nature, ils savent l'embellir, ils savent exprimer la pensée de l'homme, pensée qui n'est que le résultat de ses désirs ambitieux et de l'ardeur avec laquelle il cherche le plaisir ».

La nature est aussi une source de sensations agréables, mais l'art est plus expressif, il nous touche bien plus qu'elle. « La nature, il est vrai, aussi riche que belle, est pour nous une source féconde de sensations vives et intéressantes: mais comme les objets qui les excitent sont semés au hasard et variés à l'infini, comme les vicissitudes des temps, des saisons, des modifications communes à tous les êtres, ou particulières à notre individu, nous empêchent souvent de recevoir des impressions profondes et durables, l'art est venu à son secours; et secondé par ces deux grands moyens, l'abstraction et l'exagération, il est parvenu à nous intéresser et nous toucher plus que la nature même » (2). Et l'art arrive à dépasser la nature, par l'idéal qui excite des sensations agréables, qui inspire à l'homme une haute idée de ses propres forces et qui donne un grand essor à l'imagination. Rocafort a écrit, résumant bien l'idée de Chastellux : « Ainsi l'idéal est, pour de Chastellux, le maximum d'effet artistique d'une œuvre d'art. La nature semble un artiste maladroit ou impuissant qui n'a pas su l'atteindre, et l'artiste est chargé de deviner son intention et de la réaliser mieux qu'elle ne l'a fait. Cela revient à deviner des mots inachevés sur les lèvres qui les balbutient » (3). Telles sont les idées de Chastellux, que Winckelmann avant lui avait développées - mais que l'on trouve déjà dans les dialogues de Platon.

(1) L'homme commence par se construire une cabane. « Mais bientôt, ayant le loisir de considérer son ouvrage. il y cherchera autre chose que l'utilité ». Et, de la cabane, « qui n'était qu'un asile commode», il fera « un palais régulier ». (Ibid.), (2) Ibid.

(3) Rocafort, Les doctrines littéraires de l'Encyclopédie, 1890, p. 63.

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Après les travaux du chevalier de Chastellux, si intéressants, il faut attendre le nouveau siècle pour trouver des œuvres concernant l'esthétique. Les quelques écrits de la fin du siècle ne sont réellement pas dignes d'être cités ici. Les. idées prédominantes pendant la fin du XVIe siècle, dont la plus saillante est l'utilité sociale de l'art, nous les retrouvons dans une petite brochure parue en l'an VI (1). L'homme est fait pour vivre en société - quoi qu'en dise Rousseau - les arts ont un but social et moral «... les arts font partie des institutions politiques... ». Jadis on confondait «<leur moyen, qui consiste à plaire, avec leur objet, qui consiste à être utiles ». Et l'auteur cite un passage de Mirabeau : « Gardez-vous de croire les arts de pur agrément étrangers aux considérations de la politique. Le but de l'association est d'assurer les jouissances de l'homme; comment dédaigner ce qui les multiplie ?... Tous les beaux-arts sont une propriété publique ; tous ont des rapports avec les mœurs des citoyens... L'enthousiasme des arts nourrit celui du patriotisme, et leurs chefs-d'oeuvre consacrent la mémoire des bienfaiteurs de la patrie... »

Tels sont les derniers écrits pseudo-idéologiques et réellement médiocres de la fin du siècle.

(1) P. Chaussard, Essai philosophique sur la dignité des arts, 1798. Il faut signaler encore cet autre ouvrage, dont le titre est assez significatif : G.-M. Raymond, De la peinture considérée dans ses effets sur les hommes en général et de son influence sur les mœurs et le gouvernement des peuples. Paris, an VII (1799).

SECONDE PARTIE

Les systèmes esthétiques en France pendant le XIX siècle (1800-1900)

CHAPITRE PREMIER

Les préoccupations morales, sociales et utilitaires du commencement du XIXe siècle.

1. Mme DE STAEL.-2. LES THÉORICIENS DE SECOND ORDRE. 3. STENDHAL. 4. KÉRATRY.

L

-

E XIXe siècle reprend les problèmes de la fin du xvire; on recherche encore et avant tout l'utilité sociale ou morale de l'art. L'esthétique proprement dite piétine sur place, sans produire rien de nouveau, pendant plus de quinze ans.

-1. On trouve pourtant, dans le livre de Mme de Staël, intitulé : De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (1), des éléments féconds puisés en partie dans les littératures étrangères; cet ouvrage n'est pas un travail d'esthétique, mais il doit cependant retenir quelque peu notre attention. Essayons de mettre en ordre les idées directrices de ce gros volume.

En premier lieu, la pensée qui hante Mme de Staël à tout moment, qui constitue le leitmotif du livre et qui indique à quelle date il a été écrit : c'est la préoccupation morale, utilitaire et sociale envisagée comme but presque unique de l'art. On ne peut citer les passages où cette idée est développée, car il faudrait copier le livre en entier. Mme de Staël va jusqu'à dire que sous la monarchie «< ce qui dégradait les lettres, c'était leur inutilité » (2). A propos de la tragédie, elle écrit : « Le principe de l'utilité se retrouve dans ce genre comme dans tous les autres. Ce qui est vraiment beau, c'est ce qui rend l'homme meilleur » (3). Ailleurs, elle écrit : « Un écrivain ne mérite de gloire véritable que lorsqu'il fait servir l'émotion

(1) Publié en 1800. Nous utilisons l'édition de 1838, tome second des Euvres complètes.

(2) Loc. cit., p. 352.

(3) Loc. cit., p. 373.

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