INTRODVCTION A LA DOCTRINE DES INCOMENSVRABLES. PREMIERE PARTIE CONTENANT VN TRAITE DES Nombres, neceffaire pour l'intelli- PREPARATION AV TRAITE DES NOMBRES. A conoiffance des Nombres ou quantitez comenfurables, eft telement neceffaire pour aquerir celle des incomenfurables, qu'Euclide ayant à traiter de ces dernieres,' a efté contraint de mefler l'Aritmetique auec la Geometrie, & d'inferer dans fes Elemens, trois liures de nombres qui contienent leurs plus belles proprietez. Ie pourois bien y renuoyer le Lecteur ou fupofer qu'il en fut inftruit, fans en faire icy aucune mention. Mais voulant le foulager en tout ce qui me fera poffible, & la doctrine de ces trois liures eftant bien plus ample qu'il n'eft befoin pour cete matiere, i'en ay recueilly 24. propofitions, qui auec leurs definitions & axiomes font fufifantes pour l'intelligence de ce traite; fans. neanmoins me détourner de la metode ordinaire des Geo- metres, qui outre leurs principes, n'admetent rien que ce qui a efté demontré auparauant, ayant retranché le fuperflu, & non pas le neceffaire. Ie fay bien que c'eut efté affez d'expli A quer fomairement les definitions, & ie ne failois pas état au comencement, de m'y étendre beaucoup mais eftant tombé depuis quelque tems fur vn liure, qui n'eft pas nouueau à la verité, mais lequel m'auoit efté inconu iufques alors, qui eft l'Aritmetique de Simon Steuin, ou i'ay trouué plufieurs opinions erronées touchant les nombres, & les incomenfurables: l'ay creu qu'il ne feroit pas hors de propos de les refuter, afin de defabufer ceus qui pour quelque aparence de probabilité, pouroient les auoir receuës; & de preuenir les efprits, qui n'en estans qui n'en cftans pas encores infectez, s'y laifferoient peut eftre aifément emporter, fur la reputation d'vn home, qui a efté tenu pour l'Archimede des Pays bas; quoy qu'il n'y ait rien, ce me semble, dans fes écrits, qui merite vne fi grande aprobation, qu'eft celle qu'il a rencontrée ; & mesmes qu'il done affez fouuent des témoignages d'vn efprit fort confus, & qui ne poffede pas bien les chofes dont il parle. C'eft ce qui m'obligera de traiter icy quelques queftions Aritmetiques, & d'eftre vn peu plus long en cete Introduction, que ie ne m'eftois propofé. Mais come tout cela eft pour l'inftruction du Lecteur, ie ne pense pas qu'il y trouue rien qui ne luy foit agreable. ic QVESTION I Que c'est que Nombre. E Nombre eft vne chose fi conuë par la lumiere naturcle; qu'il ne faut eftre ny Filofofe, ny Matematicien, pour le definir: & ie ne croy pas qu'il y ait perfone, qui fache exprimer fes penfées, qui eftant interogé fur la definition du Nombre, ne réponde auffi tôt, que c'eft vne multitude d'eftres, ou de chofes qui ont quelque conuenance entre elles. Et quoy que peut eftre, il ne parle pas d'abord de cete conuenance, il fera neanmoins fort facile de luy faire auoüer, & luy-mefme auec vn peu de raifonement reconoitra, qu'il eft neceffaire que les chofes nombrées foient homogenées, c'eft à dire, qu'elles ayent quelque chofe de comun en quoy elles conuienent, & qu'il eft impoffible de nombrer les chofes heterogenées, ou entre lefqueles il n'y a aucune conuenance. Par exemple, on ne poura pas metre en vn feul nombre, des cheuaus, des maisons, des fleurs, & d'autres choses ainfi diferentes, mais feulement celles qui font de mefme efpece, ou de mefme genre pour moins. Ainfi l'on poura bien dire de plufieurs animaus, quoy que de diuerfes efpeces, que leur nombre eft 100. 200. &c. mais plus proprement les chofes nombrées doiuent eftre de mefme efpece, come 30. homes, 50. chiens, & chofes femblables, qui participent vne mefme nature. Chacun de ces cftres de mefme genre, ou de mefme efpece, eft apelé par les Aritmeticiens, vnité, come eftant de foy-mef me, & felon fon effence, vn, & fimple, l'effence des chofes ne fe pouuant diuifer, pour le moins en parties Fifiques, quoy qu'il fe puiffe faire, que chacune des chofes qui conftituent le nombre, reçoiue diuifion, lors qu'elles ont quantité continuë; mais ccla eft accidentel au nombre, & l'vnité ne s'y doit pas confiderer entant que diuifible, mais feulement entant qu'elle est vne en effence, puifque le nombre ne laiffe pas d'eftre nombre, quoy que fes vnitez foient indiuifibles & qu'on peut bien nombrer des homes, des Anges, & generalement toutes les chofes qui ont vneftre propre, & vne feule fubfiftence, laquele ne reçoit ny augmentation, ny diminution, & qui par confequent ne fe peuuent diuifer, pour le moins en parties femblables à leur total; car vn chien ne peut eftre diuifé en parties qui conferuent l'effence du chien, encores que fon cors le puisse estre come quantité continue; & les chofes fpiritueles ne peuuent eftre diuifées qu'en parties Metafifiques, qui font le genre & la diference. On peut donc definir l'vnité, ce qui peut eftre conceu come vne feule chofe,foit qu'il puiffe, ou ne puiffe pas estre diuifé en plufieurs parties. Cette definition comprend generalement toutes les chofes imaginables, & eft à mon auis plus propre que celle d'Euclide, qui dit, que l'vnité eft felon quoy chaque chofe eft apelée vne; ce qui femble eftre plutôt la definition de la fingularité ou particularité de chaque chofe, que de l'vnité mefme, ou de la chofe qui eft vne, laquele neanmoins cft ce qui doit eftre confidere dans le nombre, puis le nombre n'eft pas reelement diftingue des chofes nombrees prifes enfemble, n'en eftant que l'agrege, Celant ainfi, fapt que 4 ; nous dirons auec la plus-part des Aritmeticiens, que le nom bre eft vne multitude compofée d'vnitez, c'est à dire, d'estres qui ont quelque chofe de comun, & chacun defquels peut eftre conceu come vne feule chose. Steuin mesmes demeure en partie d'acord de cete definition : mais outre qu'il veut faire paffer l'vnité pour nombre, il la reftreint au nombre Aritmetique entier & en done vne autre, qui est, à fon auis, comune au nombre Aritmetique & au Geometrique; chofe entierement ridicule, puifque le Nombre Geometrique eft vne espece de quantité, toute diferente de l'Aritmetique, come nous ferons voir en la 2o. partic. Mais fans toucher maintenant à cete queftion, & fupofant que le nombre Geometrique foit auffi bien nombre que l'Aritmetique ; voyons fi la definition generale donée par Steuin, eft bone & legitime. Le nombre, dit-il, eft ce qui exprime la quantité de chaque chofe; ou, pour vfer de ces termes, cela par lequel s'explique la quantité de chaque chofc. Ce qui eft proprement definir le terme numeral, & non pas le nombre, car c'eft le propre du terme numeral, d'exprimer cete quantité; mais le nombre est la chose mesme où fe retrouue cete quantité: par exemple, en ce nombre, 20. homes, le terme numeral (vint) exprime la quantité de ces homes, & les 20. homes font le nombre mefme, ou les chofes nombrées. D'ailleurs, cete definition conuient auffi bien à la quantité continue, c'eft à dire, à la grandeur, qu'au nombre mefme. Car la ligne B, diuifée en 6. parties égales, exprime auffi bien les vnitez du nombre C, come le nombre C, compofé de fis vnitez, defigne les parties de la ligne B. De plus, cete definition eft encores defectueule, en ce que le nombre eft quantité, B C6 non feulement par expreffion, mais encores par efet, puis qu'if confiite eft compofé de parties, qui eft proprement en quoy T'effence de la quantité. Et partant, la nature du nombre n'eftant pas bien expliquée de cete forte, nous demeurerons dans la definition d'Euclide fans y rien changer. CH QVESTION II. Quel est l'objet de l'Aritmetique. HACVN fait, que l'Aritmetique eft la fcience des Nombres, & que par confequent le Nombre eft fon propre objet; mais parce que le mot de Nombre fe peut prendre diuerfement, il fera fort à propos, pour éuiter dorénauant la confufion, de determiner, deuant que de paffer outre, en quelle figni fication il eft for objet. Il faut donc remarquer, qu'il y a trois principales fignifica. tions du Nombre, plus confiderables que les autres. Premierement, le Nombre fe prend pour le terme numeral, ou pour les mots qui expriment le Nombre, tels que font ceusey, trois, quatre, dis, quinze, &c. qui font plus proprement les noms des nombres, que les nombres mefmes. Segondement, pour les chofes nombrées, qui eft la vraye & plus naturele fignification du Nombre; car il eft certain, come l'ay déja dit, que le nombre n'eft pas reclement diftingué des chofes nombrées. Et en troifiéme lieu, le Nombre fe prend pour le concept ge. neral du nombre, détache des choses nombrées, come lors que nous conceuons generalement ces nombres, 3, 4,6, &c. fans nous figurer ny homes, ny cheuaus, ny aucune autre chose de toutes celles, qui peuuent eftre nombrées, ou faire nombre: mais feulement vne multitude vague, que nous ne voulons atacher à aucune forte d'eftres particuliers, de mefme que quand nous formons vn concept de l'effence de quelque chofe, par exemple que nous conceuons l'home en general, fans aréter notre penfée fur Alexandre, ny fur Cefar, ny fur aucun home particulier. Or il eft certain que l'Aritmetique n'est pas vne science nominale, c'eft à dire, qui ne s'aréte fimplement qu'aus noms, mais qu'elle eft reele, & confidere la nature de fon objet; & partant que ce n'eft pas en la premiere fignification qu'elle a pour objet le Nombre. Auffi peu confidere t'elle le Nombre apliqué aus chofes |