car il eft indiferent à l'Aritmeticien, que fes conclufions s'eñtendent d'vne chofe plutôt que d'vne autre en particulier. Ainfi l'objet de l'Aritmetique n'eft pas les chofes nombrées. Mais le vray objet de l'Aritmetique fera le Nombre felon la troifiéme fignification, c'est à dire, feparé & détaché des chofes, ou le concept general & vniuerfel du Nombre. Et quoy qu'en cete confideration le Nombre ne foit, à proprement parler, qu'vn eftre imaginaire, & qui ne fubfifte qu'en notre entendement, (car l'vnite ou fingularité n'eft pas détachée de la chofe qui eft vne, & hors de cela ce n'eft qu'vne imagination) l'Aritmetique nè laiffe pas d'eftre vne science vraye, & reele, & d'auoir des demonstrations claires & éuidentes, parce que fon objet a vn tel fondement en la chose mefme, que toutes fes conclufions s'y peuuent apliquer quand on veut, ce qui est cause qu'elles font neceffaires, & qu'elles ne dépendent point de la libre operation de noftre efprit, & partant peuuent y engendrer vne vraye fcience. O QVESTION III. Si le Nombre eft quantité continuè. N peut aisément iuger, par la definition que nous auons donée du Nombre, s'il y a de l'aparence de dire auec Steuin, que le nombre eft quantité continue, & non pas difcrete; car puis que le nombre eft vne multitude d'vnitez, c'est à dire, de diuers eftres, qui ont quelque chofe de comun, il s'ensuit que ces eftres font feparez & détachez les vns des autres, & qu'ainfi ils ne font pas quantité continue, autrement 20. homes, ou telle autre multitude d'vnitez feparées, ne feroient pas nombre, qui eft fans doute vne grande abfurdité, & qui repugne au fens comun. Mais on me dira, que l'opinion de Steuin eft, que ces 20. vnitez font veritablement vn nombre, lequel, entant qu'vn n'eft qu'vne quantité, qui n'eft pas disjointe. Le luy acorde, que 20. n'eft qu'vne quantité, mais elle n'eft pas neanmoins continue, puis que fes parties font naturelement feparées ; & ie ne voy aucune confequence de l'vnité à la continuité, car tous les homes d'vne vile ne font qu'vn peuple, & poortant ne font pas atachez par le lien comun de continuité, de mesme que les parties d'vne ligne ou d'vne fuperficie. Cela n'eft que trop conu naturelement ; & pour le montrer encores mieus, ce nombre d'homes ne peut cftre diuifé qu'en certains autres nombres, & en fin en vnitez, apres lefqueles la diuifion ceffe, au lieu que le continu peut eftre diuifé en vne infinité de façons, & en parties qui ne feront pas vnitez, eftant comparées les vnes aus autres ; le tout à caufe de la disjonction des vnitez, qui ne peuuent foufrir la diuifion, & de la conjonction des parties du continu, qui en font toujours capables. Et ne fert de rien d'aleguer auec Steuin, que c'eft notre imagination qui diuife le nombre 60. en 60. vnitez, lequel. n'est pourtant qu'vne entiere quantité, que nous pourions, auffi bien diuifer en 30.dualitez, & en 20. ternitez; & que de mefme forte on pouroit auffi diuifer vne ligne en 60. parties égales par imagination, fans que pour cela elle cefsât d'eftre continue: il nefert de rien, dis ie, d'aleguer tout cela; car premierement, il eft faus que ce foit notre feule imagination, qui diuife le nombre 60. en 60. vnitez, puifque fans que nous y penfions, ce nombre eft de foy-mefme ainfi diuifé. Pour les 30. dualitez, ou 20. ternitez, il eft vray que c'eft noftre imagination qui les conçoit, & qu'en efet il n'eft pas diuifé en femblables parties, parce que la nature n'a point fait de dualitez, ny de ternitez, mais des vnitez seulement. Et ainfi il y a grande diference entre la diuifion en vnitez, & la diuifion en dualitez. Quant à la quantité continue, il eft certain que tant qu'elle demeure continue, ce n'e que notre imagination qui la diuife en tant de parties que nous voulons : mais il y a encores bien de la diference entre cete diuifion & celle du nombre; car le nombre fe trouue reelement diuisé en vnitez, au lieu que la quantité continuë n'eft pas en efet diuifée de cete forte plutôt que d'vne autre : & tant que fes parties ne feront pas actuelement feparées, elle demeurera quantité continue , quoy que la diuifant par imagination, elle puiffe auffi eftre prife pour difcrete. Mais lors qu'elle fera en efet diuifée en parties égales, elle ne fera plus quantité continuë, eftant confideree en fon entier, come il fe voit en la ligne A j AB, laquelle nonobftant que ie la conçoiue diuifée en trois parties égales, est neanmoins continuë, & vne C D B feule ligne que fi ie la diuife en efet en 3. parties égales, AC, CD, DB, elle n'est plus vne A feule ligne, ny quantité continuë, mais trois lignes, qui parconfequent font vn nombre. La difcontinuité n'ariue pas au nombre de la mefme forte, car elle luy eft propre fans aucune diuifion actuele, fes parties n'eftant pas vnies. Steuin dit en fuite de cela, que le nombre eft à la grandeur ce que l'humidité eft à l'eau; alegant plufieurs chofes de l'humidité qui fe pouroient dire auffi de tous les autres accidens, puifqu'ils fuiuent toujours l'extenfion & la diuifion de leur fujet. Mais pour montrer que les mefmes chofes fe retrouuent auffi au nombre pour le regard de la grandeur, il auroit falu prouuer que le nombre fe trouue toujours auec la grandeur: ce qui eft faus, puifque la grandeur n'eft nombre que par imagination lors qu'elle n'eft pas diuifée actuelement, encores qu'elle ayt multitude de parties. Et lors qu'elle eft diuifée en plufieurs parties, elle constitue vn nombre lequel n'eft pas vne qualité en elle, come l'humidité en l'eau, puifque materielement ce nombre n'est autre chose que ces diuerfes parties ainfi feparées, & formelement eft feulement vne denomination exterieure de notre entendement. En fin il s'eft imaginé mal à propos, qu'il y auoit de la contradiction entre ces deus propofitions, Nombre est vne multitude compofée d'vnitez; Nombre eft quantité difcrete: parce, dit il, que fi cete multitude eftconjointe ou compo. Tée, elle n'eft pas disjointe. A quoy ie répons, que ie ne fay perfone qui apele le nombre, multitude conjointe, mais feulement compofée, & qu'il y a des compofez, dont les parties ne font pas conjointes ny vnies come celles d'vn continu. Car vn Parlement eft compofé de Confeillers, qui ne font pas conioins de cete forte : & vne foreft eft composée d'arbres, qui font neanmoins feparez les vns des autres. Pour les argumés, dont Steuin dit qu il pouroit bien impuguer la diuifio de la quantité, en continue & difcrete: i'aurois bien du regret qu'il ne les ait pas inferez das fon liure, fi ie ne iugcois 1 jugeois bien par ceus que je viens de refuter, que ce ne peut cftre rien qui vaille. CETE QVESTION IIII. Si l'unité eft Nombre. ETE queftion, qui n'eft pas de fi peu d'importance qu'on pouroit croire, femble eftre affez decidée dans la premiere, & iene la traiterois pas,fi quelques Aritmeticiens n'eftoient de Topinion afirmatiue. Steuin fe done auffi bien de la pene pour la prouuer, mais encores que fes raifons, pour le moins quelques vnes, femblent auoir de l'aparence, ie ne laifferay pas (fans m'aréter à ce qu'il dit des conformitez qui fe treuuent entre le point, & le zero, que j'auoüc eftre le principe negatif du nombre, come la priuation l'eft du composé naturel) de dire premierement, que L'vnité confiderée abfolument, n'eft pas nombre. La raison cft, que le nombre confifte en multitude ou pluralité de parties, autrement il ne feroit pas quantité: or l'vnité n'eft pas multitu de de parties, n'eftant qu'vne de ces parties, donc l'vnité n'est pas nombre.Et pour confirmation de cecy,on ne dira pas, qu'vn feul home foit vne multitude d'homes,ny generalement qu'vn indiuidu de quelque efpece, foit vn agregé de ces indiuidus, puifqu'il y a de la repugnance entre l'vnité & la multitude. Steuin dit que la partie eft de mefme matiere que fon entier; or I'vnité eft partie de multitude d'vnitez, donc l'vnité est dé mefme matière que la multitude d'vnitez. Et parce que la matiere de multitude d'vnitez, eft nombre, il s'enfuit que l'vnité eft nombre. A quoy ie répons, qu'il eft faus, que la matiere de multitude d'vnitez, foit toujours le nombre: car la matiere d'vne multitude, ce font les chofes qui la cópofent; & partat la matiere de multitude d'vnitez, eft I'vnité mefme, laquele il eft encores question de fauoir, fi c'eft nombre, ou non.Ce qui a trompé Steuin en cet endroit, eft, que beaucoup de nombres peuuent eftre diuifez en d'autres nombres, par exemple 12. en 2. fis fois, qui font encores des nombres, & ainfi il femble que 2, qui eft nombre, foit la matiere de 12. mais ce ne fera pas la derniere diuifion ou refolution des parties de 12. puifque 2. qui eft fa partie, peut eftre encores diuifé en vnitez, de façon B que la vraye matiere de 12.fera l'vnité qui eft matiere de 2.11 eft pourtant certain que 2. eft auffi matiere de 12. puifque 12. cn eft compofé, & qu'ainfi il y a beaucoup de nombres qui font ma tiere les vns des autres, mais non parla derniere; car c'est tou jours l'vnité : & de plus, il n'eft pas vry que toute matiere de nombre foit nombre, puis qu'il y en a beaucoup qui ne fe peuuent refoudre exactement en d'autres nombres, tels que font tous ceus que les A ritmeticiens apelent premiers,come 2. 3.7. qui n'ont point d'autres parties aliquotes que l'vnité. Steuin dit encores, que qui nie que l'vnité foit nombre, fait come qui nie qu'vn morceau de pain foit pain; voulant doner à entendre, que le nombre & l'vnité ne diferent que come le plus & le moins. Or ie luy aduouë que le nombre & l'vnité ne diferent que come le plus & le moins, le nombre estant plufieurs parties dont l'vnité n'eft qu'vne,mais c'eft cete pluralité qui conftitue le nobre en fon eftre de nombre. Pour fa comparaison, il eft certain qu'elle n'eft pas bone, car qui nie qu'vn morceau de pain foit pain, c'est à dire partie d'vn pain, il implique contradiction, parce que partie & morceau font mefme chofe; mais qui nie que l'vnité foit nombre, ne nie pas que I'vnité foit partie de nombre: & come on peut nier, que le morceau de de pain, foit le pain entier dont il eft partic,auffi peut on nier par mefme raifon, que l'vnité qui eft toujours partie de nombre, foit le nombre entier, de mefme que le pić, qui n'eft que partie de la toise, n'eft pas la toife entiere. Le troifiéme argument de Steuin eft tel. Si du nombre doné on ne fouftrait aucun nombre, le nombre doné demeure: donc fi de 3.on fouftrait I'vnité, qui n'eft pas nombre, il demeurera encores 3. N'eft ce pas, à dire le vray, vn bel argument que celuy-là, & bien digne d'vn home raisonable; car c'eft come qui diroit, fi de 20. pistoles ie n'en ôte aucune pistole, il demeure encores 20. piftoles. Or de mefme que de 20. piftoles on peut oter 3.écus, qui ne font pas vnepiftole, & queneanmoins apres cela il ne refte pas 20. piftoles, ainfi de 3. en ayant ôté l'vnite, qui n'est pas vn nombre, il ne reftera pas pourtant le mefme nombre, parce qu'encores qu'on n'en ait tiré aucun nombre il n'eft pas vray de dire qu'on n'en ait rien tiré du tout, carie ne veus pas faire paffer l'vnité pour neant. L'antecedent de cet |