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fonction de juger les hommes, que la nature rend tous égaux (Charte, 1, s.), n'est naturelle à aucun d'eux, et que toute autorité d'un homme au-dessus d'un autre, est une participation de celle de Dieu, la fonction de juger est une fonction qu'on peut en ce sens appeler divine, puisqu'on y exerce un pouvoir qui n'est naturel qu'à Dieu, et que nous apprenons dans l'Écriture que ce n'est pas un jugement des hommes que les juges doivent rendre, mais celui de Dieu même (1); et si les fonctions du sacerdoce ont une dignité qui, par d'autres raisons, est beaucoup au-dessus de celle des juges, celle-ci a cet avantage, qu'au lieu que la fonction d'intercéder pour le peuple, essentielle au sacerdoce, renferme l'assujettissement et la dépendance, et ne peut se trouver que dans une nature inférieure à celle envers qui le prêtre ou le pontife est l'intercesseur (2), celle de juger renferme la supériorité et le caractère de l'autorité divine, qui seule a par elle-même le droit de juger.

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Puisque c'est donc une fonction divine qu'exercent lès juges, et que ce sont les jugemens même de Dieu qu'ils doivent rendre, ce leur est un premier devoir de craindre qu'il ne manque leurs jugemens quelqu'un des caractères essentiels qui doivent. les rendre dignes de ce nom; et c'est le premier sentiment que doit leur inspirer cette crainte de Dieu, et qui doit leur graver dans le cœur l'attente du poids de ce jugement qu'il fera des leurs, et des châtimens qu'il prépare à ceux qui n'auront pas fait de la puissance qu'il leur avait confiée l'usage qu'il en ordonnait (3).

La seconde de ces qualités que les juges doivent avoir, est la force et le courage, qui suivent naturellement de cette première, qui est la crainte de Dieu; car le fruit naturel de cette crainte est la fermeté et l'intrépidité à l'égard de tout ce qui peut venir de la part des hommes (4), et l'usage de cette force est de résister à toutes sollicitations, recommandations, et aux autres impressions de la part des personnes puissantes, ou qui pourraient nuire, et de soutenir et protéger la justice et la vérité au péril de tout (5), et surtout dans les occasions où il faut la rendre à ceux qui n'ont pour toute recommandation que leur faiblesse ou leur pauvreté (6); c'est à cause de la nécessité de cette force et de ce courage pour exercer les fonctions de juge, que Dieu défend à ceux qui en manquent de s'engager dans ce ministère, de crainte que la considération de quelque personne puissante ne les porte à quelque injustice (7).

La troisième qualité dont Dieu commande l'usage aux juges,

(1) 2. Paralip. 19. 6. (2) Heb. 5. v. r. (3) L. 14, in fine, c. de jud. 2. Paralip. 19. 6. Sap. 6. 2. (4) Prov. 14. 26. Eccli. 34. 16. Prov. 29. 25. (5) Eccli. 4 33. (6) Isai. 10. 1. 2. Ps. 81. 2. Eccli. 4. v. 8. 9 et 10. Prov. 22. v. 22. 23. Ibid. 31. 9. Prov. 29. 7. (7) Eccli. 7. 6.

est d'avoir en eux-mêmes la vérité, c'est-à-dire, de l'avoir dans l'esprit et dans le cœur, de la connaître et de l'aimer, car c'est dans la connaissance et dans l'amour de la vérité que consiste la sagesse et la principale science d'un juge, et c'est la crainte de Dieu qui donne cette science et cette sagesse (1). C'est par la lumière de la vérité qu'un juge discerne en chaque occasion quel est son devoir, et c'est par l'amour de la vérité qu'il s'y porte et qu'il l'embrasse de toutes ses forces (2); car personne n'ignore que l'amour est le principe unique de nos mouvemens, de nos actions et de notre conduite, et comme nous ne saurions agir que pour quelque fin qui nous attire, c'est à cet attrait où tendent toutes nos démarches comme un poids au centre, et c'est la pente de ce poids qu'on appelle amour; de sorte que si le juge ne sent un attrait dans la vérité et dans la justice, et si son poids a sa pente vers quelque autre objet, il se portera par d'autres attraits à des injustices, et sera sans mouvement pour rendre justice dans les occasions où elle ne sera accompagnée de rien qui l'attire.

La quatrième qualité nécessaire aux juges, est l'éloignement de l'avarice, et cette qualité, comme les autres, suit la crainte de Dieu, qui juge que rien n'est plus méchant qu'un avare (3), et que rien ne lui est par conséquent plus opposé; car l'avare plonge son cœur dans un amour capitalement opposé à celui qui est commandé par les deux premières lois, et qui ruine ces deux fondemens de toute justice, puisqu'il engage l'avare dans une idolâtrie, qui est la source de tous les maux (4).

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Si l'avarice dans l'usage des biens temporels est un si grand crime, qu'elle est appelée une idolâtrie et même la source de tous les maux quel nom pourrait-on donner à l'avarice des juges dans le ministère divin de la dispensation de la justice, puisque ce crime à leur égard n'est pas un simple violement des devoirs communs et mutuels des hommes entre eux, mais encore une prévarication contre l'ordre universel, et contre le devoir de ce service et de ce ministère public, auquel les juges sont singulièrement destinés par leurs fonctions, et cette prévarication de l'avarice des juges est d'autant plus criminelle que l'avarice des particuliers, en ce que les particuliers n'exercent leur avarice que par des voies qui portent les apparences et le caractère de l'iniquité, et qui peuvent être réprimées par l'autorité des juges, au lieu que l'avarice des juges s'exerce par la voie même de l'autorité, qui établit l'injustice par le ministère de la justice.

On peut remarquer ici deux effets de l'avarice, qui sont les plus ordinaires dans le ministère de la justice et qui paraissent les moins criminels.

Le premier est de prendre plus d'émolumens qu'on ne doit en prendre, ou d'en prendre dans des occasions où l'on ne doit pas en prendre.

I.

(1) Eccli. 1. 34. Ps. 110. 10. (2) Sap. 1. 3. Reg. 3. 9. L. 14. c. de judiciis. (3) Eccli. 10. 9. (4) Coloss. 3. 5. Ephes. 5. 5. r. Timoth. 6. 9 et ro.

v. Col. 3. 5.

On se flatte aisément dans cette injustice, et plusieurs circonstances y contribuent; la modicité de chaque prévarication, et l'usage les rendent insensibles, et le profit réel se rencontrant avec l'impunité, l'avarice se porte sans bornes à tous les profits illicites et criminels.

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Le second de ces deux effets de l'avarice dans la personne des juges, c'est de cesser d'exercer les fonctions de la justice lorsqu'il n'a pas d'a tre partie que le public, et dans les affaires des pauvres, qui demandent la justice, et qui sont dans l'impuissance, par leur pauvreté, de récompenser le travail des juges. On doit mettre dans le même rang l'intérêt public saus partie, et celui des pauvres, parce que l'un et l'autre sont également importans, et également abandonnés. ( « 2... Les juges rendront gratuitement la justice et seront salariés par l'état. Loi, 24 août 1790, »)

Ainsi, un juge avare éteint dans son cœur l'amour de la vérité et de la justice, et se porte ou à l'abandonner, ou à la négliger si son intérêt ne s'y trouve joint, ou à prévariquer même si son avarice va jusqu'à cet excès de vendre l'injustice pour de l'argent; mais ce n'est pas assez qu'un juge n'ait pas une pente à l'avarice qui le porte à prévariquer, il doit de plus haïr toute disposition à ce vice, jusqu'à faire céder toujours ses intérêts aux devoirs qui peuvent demander cette préférence, et l'un des usages de cette haine est celui de ne recevoir jamais des présens d'aucune nature (P. 177. ); car cette bassesse ne peut être qu'un mouvement de l'avarice, et renferme deux injustices capitalement opposées à l'intégrité qui doit régner dans le cœur d'un juge: l'une, qu'elle engage ou met en péril les plus sages de favoriser celui de qui ils reçoivent le présent, et par conséquent de prévariquer, se laissant aller à un autre penchant qu'à celui de l'amour de la vérité et de la justice, qui doit être leur principe unique; et l'autre, qu'ils ne peuvent recevoir un présent sans approuver la conduite de celui qui l'offre, ni par conséquent sans lui faire voir qu'approuvant sa vue de les fléchir par le présent, ils y correspondent et entrent en part dans les intentions et dans le commerce qu'il prétend faire d'avoir pour la récompense de son présent la faveur du juge (1).

Comme ce n'est donc que par ce courage et cette force, par cette connaissance et cet amour de la vérité et de la justice, et par cet éloignement de l'avarice, qu'on peut être un bon juge, et que ces qualités ne se trouvent au point qu'il faut qu'avec la vue de Dieu que donne la crainte de manquer à ce qu'on lui doit; c'est cette crainte qui est le fondement de l'intégrité des juges, et ceux qui en manquent ne sauraient que tomber dans des injustices, et c'est par cette raison qu'on voit dans l'Évangile, que le caractère d'un mauvais juge est de n'avoir pas la crainte de Dieu (2).

(1) Exod. 23. 8. Deuter. 16. 19. Eccli. 20. 31. Deuter. 10. v. 17. 18. Prov. 22. 9. Ibid. Isai. 5. 23. (2) Luc. 18. 2. 3. 4.

17.

Quelqu'un pourra penser qu'on a vu des juges parmi les païens, qui, sans la crainte de Dieu ont rendu justice, et qu'aujourd'hui plusieurs de ceux qui connaissent Dieu, sans avoir sa crainte, ne laissent pas de passer pour de bons juges, et qu'il y en a même qu'il vaudrait mieux avoir pour juges avec ce défaut, que d'autres qui paraissent avoir cette crainte : cette objection mérite sans doute qu'on y satisfasse, car encore que ce fût assez, pour l'anéantir, d'y répondre qu'il ne peut y avoir de raison qui puisse balancer l'autorité de la parole divine, lors même que les raisons n'en paraissent point, et que par conséquent les vérités qu'on vient d'expliquer, étant si expresses dans l'écriture, on doit en être convaincu, il n'est pas difficile de faire sentir qu'elles sont si sûres, que rien n'est plus indubitable.

On convient qu'il y a eu des juges et des officiers (1) dans le paganisme qui ont mieux valu que quelques-uns de ceux d'aujourd'hui et des temps passés; mais rien n'oblige à convenir que, pendant qu'on a été dans l'ignorance de la véritable religion, il y ait eu des juges qui, sans les lumières du christianisme, aient eu une si parfaite intégrité, qu'ils aient rendu la justice de la manière dont Dieu veut qu'elle soit rendue, et avec la rectitude et la fidélité qu'il demande; car, pour la rendre de cette manière, il faut avoir un amour ardent et généreux de la vérité et de la justice, une délicatesse de discernement pour la reconnaître, une opposition à toute injustice, à toute mauvaise voie, à toute mauvaise foi, une force et une fermeté à soutenir et protéger uniformément en toute sorte d'occasions la justice et la vérité contre les obstacles de toute nature; un désintéressement qui mette toute considération au-dessous de celle du devoir de rendre justice, une application exacte et fidèle à n'en pas différer l'administration; et toutes ces qualités supposent l'empire de la raison sur les intérêts, sur les passions, sur la froideur, sur la négligence, et sur tous les autres défauts qui peuvent porter ou à quelque injustice, ou à manquer à quelque devoir que Dieu demande de ceux qui rendent la justice; et il n'est pas possible qu'ou ne manque de quelqu'une de ces dispositions, si on n'a pas dans le cœur, pour le principe de sa conduite dans ses devoirs, un amour et un zèle de la vérité et de la justice, dont la crainte de Dieu soit le fondement; car, sans la stabilité inébranlable de ce principe, l'uniformité dans tous les devoirs ne peut subsister, et le juge qui en manque, tombera, ou dans des négligences, ou dans des faiblesses, ou en d'autres plus grandes fautes contre ses devoirs, selon que ses intérêts, ses passions et ses diverses vues pourront l'en distraire et l'en égarer; et comme on sait que dans les ténèbres du paganisme, l'homme n'agit que par les mouve

(1) L. 1 et § 1, ff. de off. præf. præ:. V. tot. hunc tit. et seq. de offic. præf. urb. V. tit. Cod. de offic. præf. prætor. de offic. præf. urb., etc.

mens de ses passions, et que les plus grandes vertus des Romains même n'étaient que l'ambition et la vanité, dont l'avarice est un instrument; ces vices étaient si communs à Rome, et l'avarice même aux officiers de justice, qu'un des premiers pères de l'église a remarqué pour une preuve certaine de cette avarice, l'excès de la corruption et des concussions des officiers de justice, qui donna sujet à une loi expresse pour les réprimer (1) (P. 174, 175, 177.); mais cette loi même, qui ne venait pas de l'esprit de Dieu, n'avait pas aussi pourvu à ce désordre d'une manière digne de la vraie justice, puisqu'elle n'avait défendu aux magistrats de la ville de recevoir des présens, qu'au delà de cent pièces d'or qu'elle leur permettait de prendre pendant une année (2); ce qu'il était assez difficile de contrôler, et n'empêchait pas que l'officier qui aurait voulu se tenir dans ces bornes, mais sans perdre l'avantage d'un présent bien ménagé pour ses intérêts, ne prît en un coup les cent pièces d'or pour une injustice qui pût · les valoir; et pour les magistrats des provinces, proconsuls et présidens qui en étaient les gouverneurs, et qui avaient la fonction de juges des affaires particulières, il leur avait été permis par d'autres lois de prendre des présens de choses qu'on pouvait manger ou boire, pourvu qu'il n'y en eût que pour peu de jours (3).

Il faut distinguer les juges et les officiers dans le droit romain; les officiers ou magistrats étaient ceux qui avaient l'autorité et la juridiction, et on ne leur donnait pas le simple nom de juges, quoiqu'ils eussent le droit de juger, mais ils avaient le pouvoir de commettre leur juridiction et de nommer des juges qui jugeaient les différends des particuliers ainsi, le préteur, le préfet du prétoire, les proconsuls et les présidens qui étaient les gouverneurs des provinces, et d'autres magistrats, avaient leurs juridictions et ils pouvaient juger; mais ils avaient aussi le pouvoir de donner des juges aux parties.

C'est de cette loi que saint Jérôme a dit, dans le chapitre 13 sur Isaïe, qu'elle était une preuve très-certaine de l'avarice des Romains; et il est remarquable sur ce sujet que ce même père a dit au commencement de ses commentaires sur la Genèse, que Cicéron avait été accusé par les Grecs de concussion, lui qu'on sait avoir dit de lui-même qu'il était si régulier sur les présens, qu'il ne prenait pas même ceux que les lois permettaient de prendre. V. Cicer. 5, ad action. 20.

On voit par ces lois que, non-seulement les juges, mais les législateurs même des Romains étaient bien éloignés de la connaissance que nous donne la religion, de l'iniquité des juges qui recevaient les moindres présens, parce qu'ils n'avaient pas assez pénétré la flexibilité de l'esprit au cœur, et celle du cœur aux présens, et qu'ils n'avaient pas même senti les effets naturels

(1) L. 1, ff. ad leg. jul, repet. L. 6 et § 1, ff. eod. V. hunc titul. et tit. c. de lege jul. repet. (2) L. 6, in f. ff. ad leg. jul. repet. (3) L. 18, ff. de off. præsidis. Nov. 124. c. I.

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