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férens crimes', que l'exemple des supplices, et qu'on ne peut guérir en chacun l'ambition, l'avarice, la débauche, le libertinage, l'impiété, l'envie, les haines, et les autres passions et déréglemens, qui portent à ces différentes sortes de crimes ceux même qui ont des biens, et quelques-uns qui n'ont pas manqué d'éducation, il ne paraît pas impossible de pourvoir dans un état à faire subsister toutes les familles, ou par leur travail s'il peut y suffire, ou par un secours qu'on ne peut sans injustice leur refuser; à punir ceux qui, étant sans biens, et pouvant travailler et gagner leur vie, demeureraient dans l'oisiveté; à faire incessamment une recherche exacte dans les pauvres familles, pour y reconnaître et châtier ceux qui manqueraient au travail; à veiller à des visites dans toutes les maisons soupçonnées de donner retraite à des fainéans, et de recéler les choses volées; à faire rendre compte à toutes personnes dont la condition serait inconnue, de leur domicile, de leur famille, de leur emploi, et enfin on pourrait entrer dans un détail de précautions justes et possibles, qui, diminuant le nombre des fainéans et des vagabonds, diminuerait aussi les crimes qui suivent de la fainéantise; cette recherche produirait d'ailleurs ce bien dans l'état, d'y multiplier les travaux et les commerces, et d'ajouter à la tranquillité publique une des meilleures voies pour la maintenir; et quoique cette police renfermât la nécessité d'officiers chargés d'y veiller, et l'usage de travaux publics, soit par des établissemens de manufactures, ou autres, et qu'elle obligeât par conséquent à des dépenses considérables, ce ne serait pas un inconvénient; car il n'y aurait pas de proportion entre la charge de cette dépense, et les avantages que cette police bien entendue, bien exécutée, causerait en plusieurs manières, et même par le simple effet de diminuer considérablement la fainéantise, et les vices qui en sont les suites.

Pour les autres sortes de crimes, il ne faut pas en espérer la cessation, non plus que celle des vices et des passions, et il faut au contraire reconnaître que ce n'est que par un effet singulier de la providence de Dieu, que le nombre de toutes sortes de crimes n'est pas plus grand, comme il le serait s'il abandonnait chacun à ses passions; mais sa conduite sur la société des hommes modère en plusieurs la pente aux vices et aux passions, par le simple effet de la raison et d'un naturel moins corrompu : de sorte que la multitude est éloignée des habitudes qui portent aux crimes, et prend le parti de se contenir dans l'ordre extérieur de la police temporelle, et cet ordre est d'ailleurs principalement maintenu par l'union de la religion et de la police, et par le bon usage que doivent faire de l'esprit de l'une et de l'autre, et les particuliers pour se contenir dans tous leurs devoirs et ceux qui ont part au gouvernement et à l'administration de la justice, pour réprimer ceux qui troubient cet ordre.

C'est par cette conduite de Dieu sur le genre humain, et par le concours de la religion et de la police, qu'encore que les crimes qui troublent l'ordre de la société y soient très-fréquens par rapport aux grands maux qu'ils causent, on peut dire en un autre sens que, par rapport à la pente universelle qui porte les hommes au mal, les crimes qui vont jusqu'à l'excès de mériter quelque supplice, y sont trop fréquens à proportion des autres maux qui ne vont pas jusqu'à cet excès: car il faut distinguer dans la société des hommes, deux sortes de maux, qu'y causent les passions et les mauvaises inclinations de la plupart de ceux qui en sont les membres. L'une, de cette multitude infinie d'infidélités, d'injustices, de tromperies, de procès injustes, de querelles, d'inimitiés, de divisions, et d'autres maux, qui inondent la société, et qui, étant les ouvrages de l'avarice, de l'ambition, de la haine, de la colère, de l'envie, et de toutes sortes de cupidités, de vices et de passions, sont, devant Dieu et dans le langage de la religion, de différens crimes, dignes des supplices que sa justice prépare à ceux qui violent sa loi, quoiqu'ils n'aillent pas à cet excès, qui met au rang des crimes, au sens que donne à ce mot le langage des lois humaines. Et l'autre de ces sortes d'injustices, est de celles-là même que les lois humaines appellent des crimes, et qu'elles punissent de diverses peines : et il faut encore distinguer entre toutes ces injustices des hommes, qui ne sont pas du nombre des crimes, au sens que les lois humaines donnent à ce mot, quoiqu'elles puissent être crimes devant Dieu, celles qui ne causent aucun trouble dans la société, et qui ne font tort qu'à ceux qui y tombent; et celles qui, faisant tort à d'autres qu'à ceux qui les commettent, blessent l'ordre de la société. Les premières, qui ne causent aucun trouble dans la société qui mérite d'être vengé par les lois humaines, et qui ne font tort à personne, sont une matière des règles de l'église, qui en ordonnent les remèdes, et qui prescrivent à ses ministres les manières de corriger, et d'en guérir ceux qui les commettent, par des voies proportionnées à l'esprit de la religion, qui demande la justice dans le fond du coeur, et la police temporelle n'y prend point de part; mais pour celles qui blessent l'ordre de la société, et qui vont à cet excès, qui fait les crimes et les délits, elles sont nou-seulement une matière des règles de l'église qui les défend, mais elles sont de plus la matière de la police temporelle et de l'administration de la justice, qui doit réprimer les entreprises et maintenir chacun dans ses droits, ce qui fait le devoir de ceux qui sont préposés à cette police et à cette adininistration. Ainsi, la police temporelle, qui doit régler l'ordre extérieur de la société, s'exerce en deux différentes manières, qui se rapportent à toutes les espèces d'injustices qui troublent cet ordre.

La première, qui regarde en général tontes sortes de troubles, d'entreprises et d'injustices, qui ne sont pas du nombre des crimes et des délits, et qui ne méritent ni supplice, ni punition; et la seconde, qui regarde la punition des crimes et délits, qui peuvent mériter des supplices ou d'autres peines. Et c'est ce qui distingue la matière de ce troisième livre de toutes les autres matières des lois, soit du droit public ou du droit privé.

Il a paru nécessaire de faire toutes ces réflexions générales sur cette matière des crimes et des délits, pour donner l'idée du rang qu'elle tient dans le droit public, et de l'usage des lois qui la règlent; il reste maintenant à expliquer en quoi consiste le détail de cette matière, et les vues qu'on s'est proposées pour le mettre en ordre.

La matière des crimes et des délits renferme deux parties dont chacune a ses règles de natures différentes, qu'il faut distinguer, et qui doivent avoir leur rang séparé. La première de ces deux parties comprend tout ce qui regarde les distinctions des diverses espèces de crimes et de délits, et de leurs peines, les règles de la proportion des peines aux crimes et aux délits par les vues de leur énormité, de leur matière, de leur conséquence, de la nécessité de l'exemple, ou des considérations opposées qui peuvent y apporter du tempérament, les règles des égards que méritent les différentes circonstances de la qualité des personnes, de leur âge, du temps, du lieu, des dispositions des accusés, qui distingnent ceux qui ont délinqué par dessein, par promptitude, par quelque effet d'un cas fortuit, et les autres circonstances semblables, les distinctions qu'on doit faire entre les principaux accusés et leurs complices, et autres qui peuvent avoir participé aux crimes et aux délits; quelles doivent être les preuves des crimes, et comment on les tire, non-seulement des dépositions des témoins et des écrits, s'il y en a, mais aussi de la bouche même des accusés, soit par leur confession, ou par les conséquences qui se tirent de leurs réponses, comme s'ils nient des vérités connues, ou s'ils allèguent des faits évidemment faux, ou s'ils varient dans leurs interrogatoires, et donnent d'autres ouvertures' qui servent à leur conviction. Quels sont les cas où l'on peut venir à la torture, qu'on appelle la question; quelles sont les règles de l'abolition, rémission ou pardon des crimes par des lettres du prince.

La seconde partie des matières des crimes et des délits contient ce qui regarde l'instruction des procès criminels, les manières de faire les plaintes, accusations et dénonciations, les informations et les autres preuves; les décrets pour la capture des accusés, ou pour obliger à comparaître en justice ceux qui ne doivent pas être emprisonnés, leurs interrogatoires, les recolemens et confrontations des témoins quand il y faut venir, et le 35

III.

reste qui regarde les procédures nécessaires pour l'instruction des procès criminels.

Il est facile de juger que ces deux sortes de matières étant différentes, elles doivent être traitées séparément, et que celles de cette seconde partie sont de l'ordre judiciaire, et doivent être expliquées dans le quatrième livre, où l'on expliquera tout ce qui regarde les procédures qui se font en justice, tant pour les procès civils, que pour les procès criminels; et ces matières des procédures pour le criminel feront la seconde partie de ce quatrième livre. Ainsi, il reste pour la matière de celui-ci les règles qui regardent le détail de cette première partie des crimes et délits qu'on vient d'expliquer, et dont il est nécessaire de tracer le plan.

L'ordre naturel de ces matières met au premier rang ce qui regarde les distinctions des différentes espèces de crimes et de délits; car avant que d'expliquer le détail d'une matière, il faut en avoir connu la nature; et c'est même dans la nature des choses qu'on découvre les fondemens et les principes des vérités essentielles qui les regardent; et que quand il s'agit des règles qui sont les vérités de la science des lois, c'est dans le fonds de la nature de ce qui fait leur objet qu'il faut les puiser.

Les distinctions des différentes espèces de crimes et de délits peuvent se faire différemment par diverses vues, comme par la différence entre les crimes publics et les délits privés, entendant cette distinction selon qu'elle se rapporte à notre usage, expliqué au commencement de ce préambule; ou par les différens degrés de malice et d'énormité des crimes, distinguant les plus grands des moindres. Ainsi, les meurtres sont plus grands que les larcins, et les séditions plus que des calomnies et des libelles diffamatoires; ou par la conséquence de l'intérêt public, plus grand en quelques-uns qu'en d'autres. Ainsi, les rebellions à justice troublent plus le repos public que les larcins, et la fausse monnaie plus qu'un crime de faux; ou par la différence des objets que les crimes peuvent regarder. Ainsi, les blasphemes, les impiétés, l'athéisme, et les autres crimes de lèse-majesté divine, regardent Dien même. Ainsi, les attentats contre les princes et contre l'état, qu'on appelle crimes de lèse-majesté, regardent le souverain et l'ordre du gouvernement. Ainsi, les vols, les meurtres, l'adultère, les libelles diffamatoires et autres regardent les particuliers, soit en leurs biens, ou en leur honneur, ou en leurs personnes ; ou par la différence des peines que les différens crimes peuvent mériter; car quelques-uns de lèse-majesté divine sont moins punis que d'autres contre les particuliers. Aiusi, les blasphemes ne sont pas punis de mort comme l'homicide. On pourrait encore, par une autre vue, distinguer les crimes dont les officiers des seigneurs peuvent connaître de même que les juges royaux, et

ceux qu'on appelle cas royaux, dont il n'y a que les juges royaux qui puissent connaître, comme la fausse monnaie, la sédition et plusieurs autres.

On pourrait encoré distinguer par d'autres vues les diverses espèces de crimes, et les placer en différens ordres; mais il semble que la manière la plus simple et la plus naturelle de distinguer les diverses sortes de crimes et de délits, et de considérer, premièrement, quel est le caractère commun à tous, qui les met au nombre des crimes et des délits, et remarquer en chacun ce qu'il a de propre et de singulier dans sa nature, qui fait qu'elle participe de ce caractère: Cette idée, qui peut avoir pour quelques-uns quelque obscurité, deviendra facilemeut claire par une simple explication de ce caractère, et par deux exemples de quelques crimes, dans lesquels ou le considère.

Le caractère commun, qui fait tous les crimes et tous les délits, est qu'ils blessent l'ordre de la société des hommes d'une manière qui offense le public, et qui par là mérite quelque châtimeut; et ce caractère est tellement essentiel à la nature des crimes et des délits, que comme il se trouve en tous, il n'y a point aussi d'action de ce caractère qui ne soit un crime ou un délit. Ainsi, une sédition est un crime, parce qu'elle trouble l'ordre de la société des hommes, et qu'elle offense le public et le prince même, et par là mérite quelque châtiment; et la sédition offense le public parce qu'elle trouble la tranquillité publique par une entreprise qui met ceux qui doivent obéir à la place de ceux qui commandent, et qui rend des mutins et des scélérats dispensateurs de l'autorité; et par là elle offense aussi le prince. Ainsi, la fausse monnaie est un crime, parce qu'elle trouble l'ordre de la société des hommes, et qu'elle offense le public et le prince même, et par là mérite quelque châtiment. Et la fausse monnaie offense le public, parce qu'elle cause une infinité de pertes à toute sorte de particuliers, trouble les commerces, et fait injure au prince, qui a seul le droit de donner cours àla monnaie qu'il fait battre, ou dont il veut approuver l'usage.

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On voit dans ces deux exemples que chacun de ces deux crimes a le caractère de blesser l'ordre de la société, et d'offenser le public; et on voit en chacun ce qu'il a de propre et de singulier dans sa nature, qui fait qu'elle participe de ce caractère : la sédition, en troublant la tranquillité publique, et entreprenant sur le gouvernement et l'autorité; et la fausse monnaie, en causant ces troubles dans le commerce, et ces pertes aux particuliers; et il faut discerner de même, en chaque crime et en chaque délit, ce caractère qui leur est commun, et distinguer aussi de. même en la nature de chacun ce qu'elle a de propre qui blesse l'ordre de la société, et qui offense le public d'une manière qui soit punissable; et pour faire ce discernement et cette distinc

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