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tion, il faut auparavant considérer ce qu'il y a, dans l'ordre de la société des hommes, qui fait ce bien public, que les crimes et les délits blessent; et on verra aisément en chacun en quoi sa nature a ce caractère.

On suppose ici ce qui a été expliqué dans le traité des lois des fondemens sur lesquels Dieu a établi la société des hommes; et il suffit, pour ce qui regarde les distinctions des diverses sortes de crimes et de délits, de considérer en général le plan de cette société, suivant la description qui en a été faite dans ce traité des lois, et de distinguer dans ce plan l'ordre divin qui l'a établie, et qui la fait subsister par sa providence, par le ministère de la religion dans les lieux où elle est connue, par le gouvernement temporel, et par les liaisons et par les engagemens qui unissent les hommes entre eux, pour former leur société; car c'est par les distinctions de ces fondemens de l'ordre de la société, et de ces liaisons et de ces engagemens, qui sont comme de différentes parties de l'ordre que Dieu y a établi, qu'on peut juger en chaque crime et en chaque délit de quelle manière il blesse cet ordre.

Selon cette vue, on peut distinguer dans l'ordre de la société des hommes comme six différentes parties qui en font les fondemens, et qui composent cet ordre; et selon que les crimes et les délits blessent différemment quelqu'une de ces parties, on pourra les diviser en six espèces.

La première de ces parties de l'ordre de la société consiste dans la dépendance de cet ordre de Dieu qui l'a formée, et qui la maintient par sa providence, par ses lois divines, par les règles du droit naturel, et par la religion dans les lieux où elle est

connue.

La seconde est l'autorité que Dieu a donnée aux puissances temporelles pour le gouvernement.

La troisième est la police générale de chaque état.

La quatrième comprend les deux sortes de liaisons naturelles dont Dieu s'est servi pour former la première espèce d'engagemens qui unissent les hommes; ces deux liaisons sont le mariage qui unit les deux sexes, et la naissance qui unit les parens à leurs descendans, et compose les familles dont l'assemblage doit former la société.

La cinquième renferme toutes les autres espèces d'engagemens qui lient les hommes entre eux pour tous leurs besoins, que Dieu a établis pour les rendre nécessaires les uns aux autres, et exercer entre eux la seconde loi, ainsi qu'on l'a expliqué dans le chapitre 4 de ce même traité des lois.

La sixième et dernière de ces parties qui doivent former l'ordre de la société, regarde chaque particulier, le considérant comme membre de ce corps, et par rapport à ce qu'il doit en sa per

sonne à la société dont il est un membre; ce qui distingue cette sixième partie de la précédente qui regarde les engagemens de chacun envers les autres en particulier, au lieu que cette dernière ne regarde que les engagemens de chacun envers le public; ainsi, par exemple, chaque particulier se doit à soi-même, et doit au public le bon usage de sa personne; qui rend punissables quelques actions, quoiqu'elles paraissent bornées aux personnes de ceux qui les commettent, et elles font, comme on va le voir, une dernière espèce de crimes et de délits.

Parmi toutes les différentes manières dont on aurait pu distinguer les diverses espèces de crimes, ainsi qu'on l'a déja remarqué, on a cru pouvoir choisir celle de les diviser selon qu'ils blessent quelqu'une de ces six parties de l'ordre de la société, puisqu'il est certain que le caractère commun des crimes consiste en ce qu'ils blessent cet ordre; et qu'ainsi, il est naturel de les distinguer par leur rapport à quelqu'une de ces six parties, ce qui fait six différentes espèces de crimes et de délits qui les compren

nent tous.

La première, de ceux qui blessent la première partie de l'ordre de la société, et dont le caractère est d'attenter directement ou indirectement à la majesté divine, tels que sont les blasphemes, les impiétés, les hérésies, les sacriléges, les sortiléges et autres.

La seconde, de ceux qui violeut la seconde partie de l'ordre de la société, et qui blessent le prince et l'état, tels que sont les crimes de lèse-majesté au premier chef, qui regarde la personne du prince; et au second, qui regarde l'état, et les autres crimes qui participent de cette nature.

La troisième, des crimes, qui blessent la police générale et l'ordre public, et qui, d'une part, ne regardent singulièrement l'intérêt d'aucune personne en particulier, et de l'autre ne sont pas proprement des crimes de lèse-majesté, quoiqu'ils blessent l'autorité du prince, tels que sont les crimes des assemblées illicites de monopole, de fausse monnaie, et autres sortes.

La quatrième, des crimes qui blessent les liaisons naturelles du mariage et de la naissance, d'une manière qui trouble l'ordre public, et dont la conséquence demande une punition publique, tels que sont l'adultère, le double mariage, qu'on appelle bigamie ou digamie, le rapt, la supposition d'enfans, l'inceste, le parricide, les attentats sur les personnes des parens, l'exposition des enfans, le crime des mères qui suffoquent leurs enfans à leur naissance, et les autres crimes et délits qui blessent ces sortes de liaisons.

La cinquième, des crimes et des délits qui violent les différens engagemens entre particuliers; ce qui comprend tous les crimes et délits qui blessent quelqu'un, soit en sa personne, ou en son honneur, ou en ses biens, jusqu'à un excès qui mérite quelque

espèce de peine imposée en justice, tels que sont l'homicide, le meurtre, le vol, le larcin, la fausseté, les injures, les libelles diffamatoires, et autres.

La sixième, des crimes et délits, qui, sans blesser les intérêts de personne, troublent l'ordre du public par le mauvais usage que font de leurs personnes les fainéans, les prodigues, ceux qui se désespèrent, les femmes débauchées, et les personnes qui tombent dans ces monstres de crimes qu'on n'ose nommer.

Il est facile de voir par cette distinction de ces six espèces de crimes et délits, qu'elles les comprennent tous, et qu'il n'y en a aucun dont on ne juge d'abord sous laquelle de ces espèces on doit le ranger; et il faut seulement remarquer qu'il peut y avoir quelques crimes et délits compliqués de deux caractères qui se rapportent à plus d'une espèce, mais ceux-là même ont leur situation plus naturelle dans l'une des deux, ce qu'il est très facile de discerner. Ainsi, par exemple, un vol de vases sacrés est un sacrilége, et par ce caractère il est de la première espèce; mais parce que ce crime fait tort à ceux à qui étaient ces vases sacrés, il est par cette seconde vue de la cinquième espèce : mais comme le caractère du sacrilége le distingue des autres vols, il est plus naturellement qualifié sacrilége, et par là il est de la première espèce.

C'est suivant cet ordre qu'on expliquera dans ce troisième livre toutes les différentes espèces de crimes et de délits, non en les réduisant tous à six titres, selon ces six espèces générales, mais les rangeant sous leurs titres propres, et mettant les titres dans l'ordre de ces six espèces, comme ils sont dans la table, où ceux de la première sont les premiers, et les autres de suite, chacun dans l'ordre de son espèce.

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La matière des crimes et des délits renferme deux sortes de règles la première, de celles qui sont propres à chaque crime et à chaque délit, telles que sont celles qui regardent leur nature, leurs caractères, la conséquence d'en rechercher les coupables, et de les punir, les peines proportionnées à la qualité du crime ou du délit, et les autres semblables. La seconde, de quelques règles qui sont communes, ou à toute sorte de crimes et de délits, ou à quelques-uns; ainsi, les règles de l'égard qu'on doit avoir à l'intention de l'accusé, et aux circonstances, sont communes à tous crimes et à tous délits, et celles de l'effet que doivent avoir l'intention et les circonstances pour obtenir la rémission d'un crime capital, sont propres à quelques crimes, et ne conviennent pas à tous; ainsi, les règles qui regardent en général les preuves des crimes conviennent à tous crimes et délits; et celle de la preuve qu'on tire de la question des accusés, sont propres à des crimes capitaux.

Pour distinguer ces deux sortes de règles, et les ranger cha

cune en son lieu, on expliquera celles de la première dans les titres propres de chaque crime et de chaque délit selon leurs différentes natures qui diversifient ces règles, et pour les règles de la seconde sorte, on les réduira sous six titres, qui seront les derniers de ce livre. Le premier, où l'on expliquera les causes des crimes dans les dispositions, et l'intention des criminels et de leurs complices. Le second, des différentes circonstances des crimes, et des égards qu'on doit y avoir. Le troisième, des accusations et des engagemens des accusateurs. Le quatrième, des diverses sortes de preuves des crimes et délits. Le cinquième, des peines, des crimes et délits. Le sixième et dernier, des manières dont les accusés sont ou justifiés, ou déchargés des peines des crimes.

TITRE PREMIER.

Des crimes et délits.

On a parcouru en général toutes les différentes natures d'affaires et de commerces qui se passent entre les hommes, les manières de la communication et de l'usage des biens et des travaux entre eux, et les manières dont les biens passent d'une génération à l'autre. On a vu aussi que la Providence a ainsi multiplié ces communications et ces usages, pour tenir les hommes dans l'exer. cice de la loi de l'amour. Et comme toutes ces matières se rapportent à cette loi capitale, toutes les lois particulières qui en sont les règles, ne sont que des suites de cette première loi, qui est le fondement et le principe de toutes les autres, et qu'elles tendent toutes à unir les hommes, et les contenir dans la paix, sans laquelle ils ne peuvent garder la loi qui commande de s'aimer.

C'est cette paix qui est l'ouvrage naturel de la justice, et qui est la fin de toutes les lois; mais parce que la plupart des hommes ne connaissent, ne recherchent, et n'aiment aucune autre paix que l'usage tranquille de tous les objets de leur amour propre, et que la recherche de cette fausse paix engage souvent les mêmes à la poursuite des mêmes objets, loin de s'unir ils se divisent, et n'en viennent pas seulement à des contestations et à des différends, qui les obligent à les faire régler par les voies de la justice; mais ils se portent à des entreprises, pour se rendre eux-mêmes les maîtres de ce que demandent leurs intérêts et leurs passions; et il arrive souvent aussi que, sans division et sans différends, les passions portent à des excès d'une autre nature, dont les conséquences ou la seule vue troublent le public; ainsi, les hommes se portent différemment à toutes les diverses espèces d'entreprises, de violences, et d'autres excès, qu'on appelle crimes ou délits.

Ce sont ces crimes et ces délits, qui troublent la paix en tant de manières, qui feront les matières de ce troisième livre, qu'il faut maintenant considérer pour les mettre en ordre.

On appelle crime ou délit une injustice qui mérite punition, ce n'est pas qu'il y ait aucune injustice qui ne mérite une punition proportionnée à la désobéissance à la loi qu'elle viole, puisque toute injustice renferme le violement de quelque loi, et que l'effet de la loi n'est pas seulement de commander ou de défendre, mais de punir ceux qui ne font pas ce qu'elle commande, ou ceux qui font ce qu'elle défend; mais comme il y a deux sortes de lois, celles de la religion et celles de la police, dont on expliquera dans la suite les caractères et les différences, les injustices sont différemment considérées et punies par ces deux espèces de lois; et il arrive souvent que des injustices, qui, dans la religion, sont de grands crimes, comme l'avarice, la haine, l'envie, et autres semblables, qui violent davantage la loi de l'amour, ne sont regardées dans l'ordre de la police que comme des injustices d'un genre dont elle ne prend aucune connaissance, si les crimes de cette nature ne passent au dehors à des excès qui troublent son ordre; de sorte que plusieurs injustices, qui sont de grands crimes dans la religion, sont impunies dans la police, et qu'on n'appelle crimes dans la police que les injustices qui méritent une punition selon sa conduite et selon ses règles. On verra en son lieu les causes de cette différence entre la conduite de la religion et celle de la police; mais il suffit ici de remarquer l'un des fondemens de cette différence, qui consiste en ce que la religion ne se contente pas de la fausse paix qui s'entretient par l'amourpropre, mais qu'elle tend à établir une véritable et une parfaite paix, qui soit l'ouvrage d'une justice universelle, qui observe toute la loi; et qu'aussi. elle produit en ceux qui aiment et gardent cette justice, ce double effet de former dans l'intérieur de l'esprit et du cœur une paix sincère, et de les contenir dans la paix extérieure avec tous les autres, et avec ceux même qui n'aiment pas la paix, ou qui la haïssent: et ainsi elle condamne et punit différemment, et par des peines proportionnées à son esprit et à sa conduite, toutes les injustices qui violent cette double paix; mais comme cet esprit de la loi divine et de la religion tend principalement à corriger ceux qu'elle punit, et les ramener à la paix qu'elle leur propose, cette loi de paix n'use des peines en cette vie, que pour ramener ceux qu'elle punit, et s'abstient de toutes celles qui ne sont pas propres à un tel effet: mais comme cet esprit de la religion ne règne pas dans la multitude, et ne forme pas en tous la paix intérieure, Dieu a pourvu, par une autre conduite de sa loi divine dans la police, à corriger ou réprimer ceux que l'esprit de la religion ne corrige pas, et qui se portent à des violences et à des entreprises, et à d'autres

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