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d'habiles interprètes et des juges éclairés? Rien ne nous permet encore de nous livrer à cette flatteuse illusion.

M. LE ROI vous a fait connaître, par une description détaillée et par de curieuses citations, deux raretés bibliographiques que possède la Bibliothèque de la ville. Le premier livre a pour titre l'Art et Science de Rhétorique pour faire Rimes et Ballades, imprimé en 1493 par Ant. Vérard; l'autre est intitulé: le Couronnement (c'est-à-dire la Glorification) du Roi François I.", et imprimé en 1615 par le Moine-sans-Froc. Cet ouvrage, dont le frontispice est remarquable par des pointes et des jeux de mots dessinés fort à la mode à cette époque, est écrit en vers et en prose. Malgré cette apparence puérile, il contient sur la campagne d'Italie et sur la bataille de Marignan des détails peu connus, mais authentiques, qu'on chercherait vainement ailleurs. Mais la fortune ne fut pas toujours favorable au vainqueur de Marignan ; et, quel que soit l'intérêt qui s'attache aux lettres écrites par François I. durant sa captivité, lettres dont M. Le Roi vous a pareillement entretenus, mieux vaudrait pour la France et pour luimême que la défaite de Pavie ne lui eût point fourni l'occasion de les écrire.

er

Tous les amis de l'antiquité connaissent le charmant conte de la Lucíade ou de l'Ane, lourdement paraphrasé dans les Métamorphoses d'Apulée, qu'on ne lirait guère si l'auteur n'y avait intercalé la charmante fable de Psyché. Ceux qui n'ont point lu la Luciade dans l'orignal grec, l'ont du moins lue dans l'excellente traduction de P. L. Courrier. Mais quel est l'auteur du conte dans lequel le bon sens, dit Courrier, se refuse à ne voir que l'abrégé d'une fable brute et informe. C'est à Lucien qu'on l'attribue d'ordinaire, et il figure dans toutes les éditions de cet auteur. Courrier a contredit cette opinion dans une préface écrite avec la verve mordante et la finesse qu'on lui connaît. Mais ses raisons n'ont point convaincu M. DE BOUCHEMAN, qui l'a revendiqué pour Lucien, au lieu d'en faire honneur, comme Paul-Louis, à Lucius de Patras. Mais Courrier lui-même croyait-il à son paradoxe ? il est permis d'en douter, et M. de Boucheman n'a pas eu besoin d'employer, pour le réfuter victorieusement, d'autres rai

sons que les preuves alléguées par ce savant helléniste pour démontrer le contraire.

M. de Boucheman vous a fait, sous le titre modeste de Fragments d'étude sur Shakespeare, une série de communications dont le terme est arrivé trop tôt pour ses auditeurs. M. de Boucheman n'a point voulu vous offrir un travail complet sur les œuvres de ce génie si original et si varié, il s'en est excusé sur la difficulté de la tâche et sur sa propre insuffisance; il vous a représenté les obstacles insurmontables qui s'opposent toujours à ce qu'on puisse faire apprécier dignement et avec une entière équité les œuvres d'un auteur, et sur-tout d'un poète étranger, par un auditoire trop peu familiarisé avec sa langue; mais je ne sais s'il vous a convaincus de l'insuffisance derrière laquelle il s'est retranché pour borner son travail aux pièces les plus faibles et les moins connues. Les analyses de la Tempête, de Cymbeline, de Timon d'Athènes, de la Douzième nuit et de bien d'autres pièces, vous ont fait regretter que notre collègue ait renoncé à vous entretenir d'Hamlet et d'Othello, de Macbeth et du Roi Lear. S'il est vrai, comme il vous l'a dit, que des pièes faibles et peu lues perdent moins de leur valeur sous l'influence énervante d'une traduction, et sur-tout d'une traduction en prose, on peut répondre que les ressources du traducteur se multiplient quelquefois avec les difficultés de sa tâche, et l'intérêt qui s'attache aux chefs-d'œuvre du génie. Quoi qu'il en soit, et malgré les limites regrettables qu'il a voulu assigner à son travail, M. de Boucheman vous a montré que la mine exploitée par lui ne manque ni de richesse ni de fécondité, et qu'en négligeant de s'initier aux œuvres les plus obscures d'un grand écrivain, on se prive à la fois d'un grand profit et d'un grand agrément.

Au début de ces communications, M. de Boucheman vous a lu une Introduction très étendue, dans laquelle il a recherché les causes qui ont amené parmi nous ce qu'on pourrait appeler la réhabilitation de Shakespeare, en partie méconnu et souvent travesti par Voltaire, qui cependant lui a fait plus d'un emprunt, et contribua, contre son gré sans doute, à lui donner en France une popularité contre laquelle il protesta jusqu'à son dernier sou

pir. Il vous a montré que cette réhabilitation, malgré les travers et les ridicules qui l'ont accompagnée, n'est point l'œuvre de la mode ni l'effet d'un engouement passager, mais qu'on doit l'attribuer à une appréciation mieux éclairée, moins partiale et moins exclusive des conditions de la littérature en général, et de la littérature de chaque peuple en particulier. Il n'est point aisé de déterminer d'après des principes fixes et invariables la supériorité relative des écrivains d'une même littérature dans un même genre ; il est encore moins aisé d'assigner un rang aux auteurs qui ont écrit à des époques et dans des langues différentes, et la difficulté n'est pas moins grande quand il s'agit de déterminer la valeur relative des chefs-d'œuvre d'un même écrivain. La critique qui voudrait tout soumettre à un inflexible niveau serait étroite et mesquine, et le parti le plus sûr pour elle est de se régler sur l'opinion de chaque peuple, et de s'en tenir à la sanction du temps, qui seul met à sa place et classe définitivement les écrivains et leurs ouvrages.

Cependant M. de Boucheman n'a-t-il pas ici restreint outre mesure le rôle et les droits de la critique littéraire? Fidèle historien de vos travaux, je dois le dire, M. ANQUETIL a craint que la critique ne fût trop déshéritée, et il a essayé de lui restituer son privilége. Il y a, vous a-t-il dit, dans la littérature, aussi bien que dans les arts, des principes fondés sur l'immuable notion du beau et sur l'essence même de l'esprit humain, et qui, sans rien enlever à l'imagination d'une liberté légitime, l'éclairent, la guident et l'empêchent de s'égarer en sacrifiant à la mode et au mauvais goût des contemporains. On peut, d'après ces principes, établir des rangs entre les écrivains et leurs ouvrages, et rendre raison de la préférence des peuples et des siècles, préférence qui n'est qu'un fait, dont la critique a le droit et le devoir d'assigner la cause. Si la connaissance approfondie d'une langue est indispensable à quiconque veut apprécier complètement l'exécution d'une œuvre littéraire, et sur-tout d'un poème où l'exécution est chose capitale, on peut, même sans cette connaissance, apprécier le fond et la composition qui, dans une œuvre sérieuse, n'ont pas moins d'importance.

Tout le monde connaît le passage où Tacite parle des chants nationaux des anciens Germains et des bardes qui les composaient ou qui les conservaient religieusement dans la mémoire des peuples. Ces chants, conservés ainsi par la tradition orale et plus tard par la tradition écrite, ont été réunis au XII. siècle par un poète inconnu, qui a rattaché, sous le titre de la Fin tragique des Nîbelongs, des héros de différentes époques au principal événement de l'histoire des Bourguignons, la défaite de leur roi Gundicar par Attila. Ce poème, auquel par un anachronisme facile à expliquer, l'auteur a donné la couleur du moyen-âge féodal et chevaleresque, n'a été jusqu'ici traduit en français que par fragments. M. LEFAIVRE en a entrepris la traduction complète, et il poursuivra prochainement la lecture de ces quarante chants, dont il ne vous a fait connaître encore que les sept premiers.

Vous devez aussi à M. BOUCHITTÉ la traduction de Lybussa, l'un des plus jolis contes de Muscus, cet esprit gracieux et charmant, chez qui le goût du merveilleux est heureusement tempéré par une délicatesse toute française, inconnue à la plupart de ses compatriotes.

M. DE GAUCOURT vous a entretenus d'un huitième livre de fables publié par M. de Stassart, l'un de nos correspondants. Dans ces fables écrites avec goût et pleines de pensées délicates, M. de Gaucourt a dû vous signaler de spirituelles allusions aux folies contemporaines. Ennemi de l'intrigue, adversaire déclaré des chimériques utopies, M. de Stassart mérite de prendre place à côté de l'un de nos plus aimables et les plus caustiques académiciens, dont on ne saurait dire s'il met plus d'esprit à composer ses apologues mordants qu'il ne met de grâce et de finesse à les lire.

Virgile tirait des perles du fumier d'Ennius, et Molière disait qu'il reprenait son bien partout où il le trouvait. Jean de La Fontaine en faisait autant et sans nul scrupule. C'est ce que vous a montré M. LAMBINET en vous entretenant des Nuits facétieuses de Straparole de Caravage traduites en français par messire Jean Louveau d'Orléans, et Pierre Larrivay, Champenois. Molière a fait à Straparole de nombreux emprunts dans son Ecole des femmes, et La Fontaine lui doit non-seulement le joli conte de Belphegor,

mais encore le Thésauriseur et le Singe et les Animaux malades de la peste.

S'il est des folies atroces qui font pleurer, il en est d'inoffensives qui nous font rire. Telle est la manie des hommes qui se mêlent de prédire l'avenir, ou de ceux qui croient à ces prédictions. Vous vous rappelez encore le rire homérique que M. CHAMBELLANT a provoqué le jour où il vous a entretenus des Centuries de Nostradamus expliquées sérieusement par un ancien magistrat. Et qui ne rirait en écoutant un grave personnage qui prétend démontrer que Michel de Notre-Dame a prédit les principaux événements de l'histoire de France depuis soixante ans : la violation des sépultures de Saint-Denis, le massacre des prêtres, la fuite et l'arrestation de Louis XVI à Varennes, son supplice, la campagne d'Italie, l'avénement de Napoléon à l'empire, son mariage avec Marie-Louise, sa chute et son retour, la naissance du duc de Bordeaux, enfin la destruction inévitable de Paris, prédiction dont l'accomplisse. ment doit vérifier bientôt la sagacité et la lucidité de l'interprète ? Tout cela est bien frivole sans doute, mais nos séances sont assez sérieuses pour qu'on s'y délasse quelquefois.

Avant d'arriver à la poésie par laquelle je terminerai ce rapport, je dois vous rappeler un apologue que M. de BOUCHEMAN vous a dit avoir traduit du Cochinchinois, mais dont il n'a montré le texte original à personne. Il est vrai que très peu d'entre nous sont familiarisés avec cet idiome, et capables de juger si la traduction est fidèle. L'auteur de l'apologue prétend qu'il fut un temps où les pierres parlaient, et qui sait si elles ne parlent pas encore? Lasses d'être foulées aux pieds et salies par la boue, les pierres s'entendi. rent et formèrent une pyramide qui subsista quelque temps. Mais la pyramide avait un sommet qui foulait les pierres immédiatement placées au-dessous, et fut culbuté par elles; celles-ci furent culbutées de même à leur tour par les pierres inférieures, et de la pyramide il ne resta plus que des débris épars sur le sol. M. de Boucheman n'a pas cru devoir vous dire le sens de l'apologue : j'imiterai sa discrétion.

La poésie a continué de tenir sa place dans vos séances à côté des travaux plus sérieux qui les remplissent d'ordinaire.

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